L’univers de cristal

Un multivers protéiforme et infini

Nous avons déjà esquissé à plusieurs reprises la notion dérangeante, certains diront même iconoclaste ou blasphématoire, de multivers.

Ce concept nous est très précieux car nous l’utilisons dans notre roman : « Cathédrales de brume », tout en intégrant d’autres paramètres émotionnels qui propulsent nos héros vers des archipels psychiques insoupçonnés.

Mais revenons à ce multivers que nous décrivons métaphoriquement comme un « univers de cristal »…

L’idée même d’univers multiples se substituant au notre est très ancienne. Elle filigrane les approches cosmologistes d’Anaximandre, de Nicolas de Cues, de Giordano Bruno ou de Leibniz.

Elle jalonne en fait toute l’histoire de la philosophie et trouve écho au sein de nombreuses cosmogonies.

Pertinent dans le domaine des sciences, le concept d’ « univers en cascade » -généralement appelé multivers– constitue une révolution conceptuelle s’assimilant à la rupture née des innovations coperniciennes. Le géocentrisme est mort. Et la notion d’univers unique et pérenne est probablement morte aussi.

Paix à son âme.

Le point de départ de ces théories visant à décrypter l’existence d’un multivers infiniment plus complexe que notre univers fait référence à un constat simple. Nous vivons sur une planète tellurique qui est très peu représentative du contenu moyen du cosmos. En extrapolant cette immense diversité qui fait chatoyer l’univers, on peut légitimement se demander si notre univers n’est pas, lui aussi, qu’un élément anecdotique et non significatif d’un ensemble colossalement plus grand et plus complexe : le multivers !

Ceci nous invite donc à mettre en œuvre une vision cosmologique globale (ceci fait étroitement référence à notre exigence d’une vision holistique du Monde) en constatant que notre environnement direct -la Terre en l’occurrence- n’est absolument pas représentatif du Tout…

S’il existe bien d’innombrables étoiles, d’innombrables galaxies et d’innombrables amas de galaxies, pour quelles raisons notre univers devrait-il être unique ?

Dans le cadre des théories physiques modernes, la Relativité générale d’Einstein et la Physique quantique s’accommodent parfaitement de cette hypothèse audacieuse. Le modèle d’Einstein démontre que la géométrie de l’espace-temps est structurée par la matière qu’il contient. Or ce modèle prédit un espace infini dans deux des trois géométries utilisées en cosmologie.

Si l’espace est potentiellement infini, notre univers n’est donc qu’un brimborion en son sein.

Dans le même ordre d’idées, certains des fondements de la Physique quantique : les équations d’onde de Schrödinger par exemple (équations fondamentales de la Physique quantique qui décrivent dans le temps l’évolution d’une particule massive non-relativiste) impliquent « théoriquement » l’existence d’une multiplicité des univers.

Mais c’est naturellement dans le cadre des grandes théories d’unification de la gravitation quantique, c’est à dire la Gravitation quantique à boucles et la Théorie des cordes, que le concept du multivers prend toute sa valeur.

Et son insolente grandeur…

Nous ne décrirons pas ici ces théories complexes qui fascinent et déroutent les esprits les plus hardis. Les excellents ouvrages de Jean-Pierre Luminet et de Brian Greene satisferont toutes vos curiosités.

Nous dirons simplement que la Théorie des cordes présuppose que, dans les premiers milliardièmes de seconde du big bang, la taille de notre univers augmenta brutalement et monstrueusement.

Ce processus d’inflation cosmique est actuellement validé par la presque totalité de la communauté scientifique internationale. Il conduit inéluctablement à la notion d’un méta-univers situé en amont de notre propre univers et qui serait agité d’une perpétuelle inflation.

L’espace et le multivers se créent sans cesse et se diversifient sans cesse.

Baroque, extravagant et totalement protéiforme, ce multivers s’alimente aux sources de sa propre exubérance.

Un monde inquiétant et fascinant à la fois…

Le modèle de multivers le plus accompli -et le plus séduisant- est décrit par Andrei Linde (Stanford University).

Ce dernier a formulé, dès 1982, une théorie qui tente de dépasser les faiblesses du modèle du big bang.

Linde critique la théorie du big bang en raison des nombreux problèmes physiques et philosophiques qu’elle soulève. Il considère notamment que les équations physiques qui déterminent le big bang prédisent un univers beaucoup plus petit qu’il ne l’est en réalité. Par ailleurs, le modèle théorique n’explique pas pourquoi les différentes régions de l’univers se ressemblent et pour quelles raisons les lointaines galaxies sont distribuées de façon aussi uniforme dans toutes les directions au sein de l’univers.

Linde proposa donc la théorie d’un univers auto-reproducteur et à très forte croissance (self-reproducing inflationary univers) qu’il a modélisé grâce à des simulations sur ordinateur.

Selon lui, la croissance de l’univers à son origine aurait obéi à un modèle d’« inflation chaotique ». La théorie de Linde décrit un univers semblable à une bulle qui produirait des bulles identiques, et ainsi de suite. L’univers ainsi décrit enfanterait de nouveaux univers par autoreproduction et selon une arborescence empruntée aux mathématiques fractales.

Pour Linde, il faudrait donc imaginer l’univers comme un ensemble de bulles reliées entre elles et qui se développent de manière totalement fractale, c’est-à-dire que chaque partie ressemble au tout.

Il y aurait donc eu création d’un univers à partir duquel plusieurs bulles se seraient formées de façon indépendante. Ces nouvelles bulles seraient en fait des points de l’univers qui seraient entrés en expansion en eux-mêmes. Donc, sans affecter l’univers originel.

Chacun de ces univers aurait ses propres lois de la physique et pourrait donner naissance à d’autres univers, et ainsi de suite.

Ce mécanisme engendrerait un univers auto-reproducteur éternel et infini dans le temps et dans l’espace. Ceci conduit à un multivers particulièrement fécond dans sa capacité à rendre compte du réel. Ce « maelström cosmique » permet l’émergence de lois physiques multiples tout en prédisant l’existence d’univers-bulles déconnectés les uns des autres.

Dans ce cadre ambitieux, les mathématiques qui décrivent notre réel (donc celui de notre univers) sont à réinterpréter comme étant de simples paramètres environnementaux. Parmi d’autres…

A la lecture de ce qui précède, vous comprenez aisément pour quelles raison cet « univers de cristal » aux entrelacs oniriques et baroques nous fascine.

Il satisfait parfaitement nos exigences de mise en abyme tout en nous révélant -une fois de plus- que le visible n’est qu’une infime parcelle de l’invisible.

Matière noire, énergie sombre, quintessence, multivers… la liste est longue !

Et nous continuerons à en décrypter les arcanes; dans nos romans comme dans nos deux blogs.

Pour votre plaisir. Pour le nôtre aussi…