Pour une vision holistique du Monde

Regarder bien au-delà des apparences...

Nous venons d’achever l’écriture de notre troisième livre. Intitulé « Les métamorphoses d’Eros », cet essai met en lumière et prône une vision holistique du Monde qui nous permettrait, peut-être, d’endiguer les sombres crépuscules environnementaux et sociaux qui nous attendent à la croisée des décennies à venir.

Dans le droit fil de la logique qui dynamise cet essai assez iconoclaste, le moment est probablement venu d’en dire un peu plus sur les motivations qui nous conduisent à écrire ensemble.

La juxtaposition de nos personnalités et de nos expériences peut surprendre. En effet, nous avons :

–          d’un côté une star du X qui se passionne pour la cosmologie et l’Histoire de l’Egypte antique, tout en assumant pleinement sa sensualité libertine,

–          de l’autre côté un ancien dirigeant de la FNAC, féru de philosophie platonicienne, et qui écoute du Dark Metal tout en lisant de la poésie.

Notre tandem littéraire peut légitimement dérouter. Et pourtant, notre association est pertinente car elle s’inscrit dans une logique toute simple. Nous allons succinctement la résumer ici.

L’esprit humain est capable de mettre en œuvre des choses admirables, mais il est systématiquement bridé par trois contraintes :

–          la brièveté de la vie,

–          la balourdise de notre corps en regard de l’agilité de notre esprit,

–          les carcans et rigidités mentales qui étouffent notre imagination et nos potentialités.

A l’évidence, nous ne pouvons guère bousculer les deux premiers constats. Nous pouvons en revanche lutter contre la troisième tendance qui engourdit notre esprit et nous convie à la médiocrité.

A travers nos deux premiers romans, notre nouvel essai et ce blog, nous souhaitons exploser ces frilosités psychiques afin d’élargir enfin le regard et acquérir ce que nous appelons une vision holistique du Monde, des autres, et de soi-même.

Ce troisième point est naturellement le plus important…

Pour faire court, une vision holistique des choses s’oppose au réductionnisme. On prend donc chaque situation dans sa globalité en partant du principe qu’un Tout représente toujours plus que la somme de ses parties. A cette vision élargie, apaisée et « panoramique » de la Nature et des êtres qui nous entourent, s’ajoute une totale mise en abyme qui s’appuie sur ce nous appelons le « paradigme de l’iceberg ».

Explication…

La partie visible d’un iceberg représente moins de 10% de celui-ci. Dans un autre registre, l’univers que nous détectons avec nos instruments de mesure représente moins de 5% du total. Et ce dernier s’inscrit probablement dans un ensemble beaucoup plus vaste que les théoriciens de la cosmologie nomment « multivers »…

Le visible ne symbolise donc qu’une infime partie de l’invisible, son épiphanie en quelque sorte comme le résume parfaitement René Char. Et il en est de même pour nous… Ce que nous appréhendons des autres, et de nous-même, n’est qu’une parcelle de cette entité protéiforme et complexe que l’on appelle un être humain !

La mise en abyme est donc impressionnante. Et passionnante…

Elle est surtout indispensable, car la décennie qui se profile devant nous sera essentielle. La période allant de 2011 à 2020 nous permettra :

–          soit d’infléchir enfin notre folle course vers les tragédies énergétiques, climatiques et humaines que nous façonnons avec une précipitation coupable (l’un de nos précédents articles : « Le calendrier de l’Apocalypse » est particulièrement explicite…),

–          soit de cristalliser définitivement les crépuscules douloureux qui assombriront l’avenir de nos enfants.

Dans nos romans, comme dans « Les métamorphoses d’Eros », nous nous efforçons donc d’éveiller le dormeur qui gît en chacun de nous. Ceci passe par une farouche volonté de transgression positive. Car le progrès et les réalisations majeures ne sont possibles qu’avec une démarche délibérément transgressive.

Reliant la sensualité la plus débridée et une approche purement néoplatonicienne de la vie, l’étrange connivence que nous symbolisons tous les deux s’explique à cet instant.

Pour voir plus loin, plus large, plus profond, il faut préalablement s’être définitivement débarrassé des scories réductrices qui instrumentalisent l’existence et gangrènent notre imagination. Et ces scories portent des noms connus de tous : préjugés, racisme, hypocrisie, intolérance, frustrations… Toutes ces petitesses honteuses qui rassurent, tout en nous donnant illusoirement l’impression d’exister réellement.

Exister, c’est autre chose !

Exister en être responsable, c’est savoir se positionner à la confluence de ses propres émotions et de la grandeur du Monde. Comme le dit si bien Goethe, c’est conjuguer en soi « la grammaire mystérieuse qui décline pavot et roses »  (Le Livre du Paradis).

Paul Claudel est encore plus précis lorsqu’il affirme que : « pour connaître la rose, quelqu’un emploie la géométrie et un autre emploie le papillon » (L’oiseau noir dans le soleil levant).

La vision holistique du Monde que nous prônons dans nos ouvrages s’inspire du papillon.

Et nous revendiquons pleinement ce choix…

Le Marquis de Sade était-il un humaniste ?

Le monde décrit par le Marquis de Sade se transcende dans un univers carcéral

Certains personnages alimentent après leur mort des cohortes d’interprétations baroques et souvent contradictoires.

Le Marquis de Sade en représente probablement le plus fascinant archétype.

Tout le monde connaît les romans érotiques du divin Marquis qui contribuèrent à l’éducation sexuelle de nombreux adolescents tout en leur décryptant les joies de la masturbation… Tout le monde connaît aussi la cruauté arrogamment assumée de certains de ses récits.

A première analyse le constat est donc le suivant : la Marquis de Sade est un débauché dont les écrits incitent à jouir de la vie en abusant des autres. Un triste sire en quelque sorte…

Au fil des décennies, les œuvres du Marquis libertin s’éclairèrent enfin sous un jour différent et l’« ogre sadique » laissa la place à un philosophe révolté. Sade fut ainsi récupéré dans la mouvance des philosophes du Siècle des Lumières tout en demeurant un immoraliste compulsif. Il fascina donc les intellectuels du vingtième siècle et repris sa place au Panthéon de la littérature moderne.

Il bénéficie même d’une édition complète de ses œuvres dans la prestigieuse collection de la Pléiade…

Mais, en 2005, un écrivain -Jean-Baptiste Jeangène Vilmer- jette un pavé dans la mare en mettant en lumière une autre facette du divin Marquis. Son livre s’appelle « Sade moraliste » et cette définition en forme d’oxymore désarçonna une bonne partie des spécialistes et amateurs de Sade.

Comment pouvait-on le considérer comme étant un moraliste, alors que son libertinage déviant fait généralement l’apologie du crime, de la torture et du viol ?

Une lecture attentive des œuvres du Marquis de Sade révèle pourtant une autre facette de sa personnalité. Citons juste quelques lignes : « C’est dans le silence des lois que naissent les grandes actions » (Juliette). Dans un autre ouvrage intitulé Dialogue entre un prêtre et un moribond, il va beaucoup plus loin encore en précisant : « Toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot : rendre les autres aussi heureux que l’on désire l’être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n’en voudrions recevoir ».

Sa lucidité rejoint souvent cette vision holistique du Monde que nous prônons nous-mêmes dans nos romans et que nous théorisons dans un essai que nous venons de terminer : « La cause de ce que tu ne comprends pas est peut-être la chose du monde la plus simple. Epures ta raison, bannis tes préjugés ». Puis il poursuit : « Rien ne périt, mon ami, rien ne se détruit dans le monde, aujourd’hui homme, demain ver, après-demain mouche, n’est-ce pas toujours exister ? ». Sa lucidité parfois devient totale, absolue, même si le cynisme de la remarque peut choquer, lorsqu’il affirme : « La cruauté n’est autre chose que l’énergie de l’homme ».

Les informations télévisées dont les médias nous abreuvent jusqu’à l’écoeurement en sont le fidèle reflet…

Oksana dans un univers purement "sadien"...

Dans son livre, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer démontre que Sade est simultanément un philosophe libertin du Siècle des Lumières (ce que personne ne conteste désormais) mais aussi un moraliste qui décrit et encense le vice, la cruauté et le mal, uniquement afin de dénoncer les brimades dont il est la victime à travers ses nombreux emprisonnements.

L’œuvre de Sade est donc essentiellement une œuvre carcérale et il ne faut pas confondre l’auteur avec les personnages de ses romans. Bien au contraire, il s’est battu avec deux siècles d’avance contre la peine de mort.

Ecoutons-le une dernière fois : « Il découle, on le sent, la nécessité de faire des lois douces, et surtout d’anéantir pour jamais l’atrocité de la peine de mort, parce que la loi qui attente à la vie d’un homme est injuste, inadmissible ».

La loi qui attente à la vie d’un homme est injuste, inadmissible… peut-être verrez-vous différemment le Marquis de Sade et ses outrances désormais !

Un humaniste disions-nous en préambule… Ceci confirme éloquemment cette affirmation de René Char que nous nous approprions à travers chacun de nos romans : « le visible n’est que l’épiphanie de l’invisible ».

Ceci se vérifie à chaque instant de la vie.

Dialogue avec une mygale

Il est souvent plus facile de dialoguer avec une mygale qu'avec un militant politique (quel que soit le parti...)

Il est toujours simultanément passionnant et attristant d’assister en spectateur muet à une discussion entre plusieurs personnes. En quelques secondes on a tout compris : on va encore assister à un dialogue de sourds…

En effet, même si la discussion est dénuée de toute visée polémique et de toute agressivité, on s’aperçoit immédiatement que chacun parle pour soi et que l’écoute de l’autre est une ambition remisée aux oubliettes. Au-delà même des mots, la gestuelle et les mimiques se suffisent à elles-mêmes. Lorsqu’une personne parle, l’autre -ou les autres- réfléchissent déjà à leurs propres réponses.

C’est ainsi que chacun pérore à l’aune de sa propre logique sans réellement chercher le sens congru du discours de l’autre. Ceci est parfaitement logique car chaque être humain s’aheurte sans cesse aux frontières immatérielles de sa propre « bulle émotionnelle et psychique ».

Nous ne sommes pas totalement indifférents aux autres -espérons-le en tout cas- mais seules les ramifications de l’autre qui nous concernent vraiment nous intéressent. Tout le reste s’embrume et se noie dans un brouhaha informationnel que l’on oublie à la seconde.

C’est pour cette raison que les discussions constructives au sein de la famille, avec les amis, les collègues de travail ou les relations extérieures n’abordent que la surface des choses.

Nous avons déjà plusieurs fois évoqués ici ce que nous décrivons comme étant le « paradigme de l’iceberg ». Paradigme que l’on peut résumer ainsi : tout comme l’iceberg dont nous ne voyons émerger que 10% de la masse totale, l’invisible l’emporte toujours au détriment du visible. Or comme nous ne nous intéressons souvent qu’aux apparences, nous frôlons sans cesse la vraie vie en nous réfugiant prudemment au sein d’une mince bulle qui nous évite de nous impliquer réellement.

C’est ainsi que les discussions entre les êtres humains sont généralement infécondes. Elles se concrétisent uniquement lorsque de réels centres d’intérêts réunissent les êtres.

Naturellement ce cas de figure est rare. Trop rare.

Conscient de ce constat que chacun peut aisément faire, prétendre dialoguer avec une mygale peut paraître absurde, extravagant ; voire malsain. Et pourtant…

Mais avant d’aller plus loin, il n’est probablement pas inutile de nous remémorer ici quelques détails concernant ces charmantes bêtes poilues.

Les mygales forment un sous-ordre d’araignées appartenant au groupe des orthognathes. Le sous-ordre compte actuellement 15 familles, lesquels totalisent 301 genres et 2456 espèces.

Les mygales, comme les autres araignées, sont dépourvues de squelette interne (endosquelette). En effet, elles ne possèdent qu’une cuticule qui joue le rôle de squelette externe (exosquelette). Les animaux à mue ont une croissance non linéaire car l’épiderme synthétise des protéines qui forment une couche non cellulaire au niveau de la surface du corps: la cuticule.

Cette couche est plus ou moins rigide, ce qui empêche l’organisme de croître. Ainsi, l’animal doit donc se débarrasser de cette exuvie afin de continuer sa croissance. Lorsqu’elles sont jeunes, les mygales muent tous les deux ou trois mois, à chaque stade de la croissance, laissant régulièrement ainsi des exuvies dans leur sillage.

L’une des plus intéressantes mygales est parfois appelée « mygale à genoux rouges » ou « grande mygale mexicaine ». Son nom scientifique est infiniment plus poétique : Brachypelma smithi…

Cette mygale est d’un naturel placide. Elle mesure parfois 8 centimètres de diamètre ce qui la rend assez impressionnantes pour celles et ceux qui sont arachnophobes.

De plus en plus rare dans son habitat d’origine, Brachypelma smithi est désormais élevée en terrarium ou sa reproduction ne pose aucun problème.

Cette araignée facétieuse et peu agressive nous interpelle car elle semble se situer très au-delà du relationnel habituel des humains. Or cette limitation est bien regrettable car un contact est tout à fait envisageable avec cette créature qui fascine et surprend en même temps.

Un reportage étonnant illustrait ceci il y a quelques années. L’histoire se passait à New York. On voyait une fillette d’une dizaine d’années jouer avec une grosse mygale à genoux rouges tout en tissant avec elle une relation qui outrepassait largement les barrières sclérosantes qui emprisonnent l’immense majorité des êtres humains ; même ceux qui se prétendent totalement désinhibés…

La mygale vivait une grande partie du temps sur les épaules de la fillette et regardait la télévision en même temps qu’elle, démontrant éloquemment ainsi que deux êtres fondamentalement différents peuvent « partager » des attitudes, des gestes, des relations.

On peut donc « dialoguer » avec une mygale, même si le sens du mot doit être pris ici dans un sens très large.

Mais l’émotion prévaut, et c’est ce qui importe.

L’histoire de cette petite fille et de sa mygale de compagnie peut donner le sentiment d’être une anecdote sympathique ; sans plus.

Hélas, il suffit de se promener dans la rue, ou de regarder les informations télévisées pendant une demi-heure, pour réaliser immédiatement qu’il est apparemment beaucoup plus difficile de dialoguer avec certains êtres humains… qu’avec une mygale !

L’ostracisme, le rejet de l’autre et la haine des différences demeurent constants. Il est affolant de constater qu’une fillette peut établir une relation forte et pérenne avec une mygale à genoux rouges, alors que des millions d’êtres humains se haïssent tout simplement parce qu’ils refusent de connaître l’ « autre » et de dialoguer avec lui.

Nous serons neuf milliards en 2050 et le contexte environnemental et social sera considérablement plus difficile qu’en 2010.

Que faire ?

Observons les mygales et posons-nous une question toute simple : les différences doivent-elles nous enrichir ou nous opposer ?

L’avenir du Monde est dans la réponse que ces neuf milliards d’êtres humains donneront.

Qui veut parier sur le résultat ?

Hrotswithae von Gandersheim : une vision holistique du Monde au… Xe siècle !

Hrotshwithae : une lumière prophétique et bienveillante surgissant avant l'an mil...

« Si la tranquillité de l’eau permet de refléter ce qui se présente, que ne peut celle de l’esprit ? »

Tchouang Tseu – Zhuangzi

Nous en conviendrons aisément, Hrotswithae a un patronyme quasiment imprononçable, et seuls les lectrices et lecteurs attentifs du Tambour se souviendront que Gunter Grass nomma ainsi un personnage secondaire dans l’épisode décrivant les tournées théâtrales sur le front de l’ouest.

Redécouverte par les humanistes allemands au XVIe siècle et étudiée à la Sorbonne au XIXe, Hrotswithae von Gandersheim est simultanément célébrée en Allemagne comme étant la première poétesse et dramaturge de son pays, tout en demeurant passablement oubliée du grand public. Baroques, fougueuses et pleines d’une vie bouillonnantes, ces 6 pièces de théâtre inspirées des comédies de Térence (190-159 av J.C.) : Calimachus, Abraham, Pafnutius, Dulcitius, Sapentia et Gallicanus, constituent la plus ancienne trace connue du théâtre médiéval occidental puisqu’elles furent principalement écrites vers 970. C’est-à-dire au Xe siècle, période qui fut pourtant qualifiée par de nombreux historiens comme étant un « siècle des ténèbres, siècle de fer et de plomb ».

On observera toutefois que cette hâtive réputation de siècle barbare s’estompe progressivement au fur et à mesure de nos investigations. On sait désormais que la renaissance carolingienne -dont Alcuin fut l’un des acteurs majeurs- et la renaissance ottonienne qui lui succéda, forgèrent un environnement spirituel qui s’éloigne des archétypes usuels qui prévalent encore dès que l’on évoque cette époque.

Née probablement vers 935 en Saxe, Hrotswithae fit partie du chapitre des dames nobles de l’abbaye de Gandersheim, cette expression définit des chanoinesses issues de l’aristocratie et dont la vie n’était nullement recluse. Ces chanoinesses pouvaient en effet quitter l’abbaye pour voyager ou se marier. Elles avaient une éducation de très haut niveau et pouvaient exercer d’innombrables activités dans le monde profane, dont celles de poétesse et de dramaturge.

Hildegard von Bingen -qui joue un rôle essentiel dans l’intrigue de notre premier roman : « Cathédrales de brume »- demeure naturellement le plus illustre exemple de cette capacité d’ouverture vers le Monde et vers les autres. Capacité que Plotin traduit magistralement lorsqu’il précise : « Je m’efforce de faire remonter ce qu’il y a de divin en moi à ce qu’il y a de divin dans l’univers ».

Une leçon de plus à méditer lorsque l’on examine attentivement les outrances, les hypocrisies, les fanatismes et les incroyables retours en arrière que notre siècle concocte avec obstination.

Il faut se remémorer que les abbayes du Haut Moyen Age étaient lieux de culture, de rencontres et d’échanges. On admet désormais qu’elles étaient simultanément une école, un lieu de pèlerinage et d’asile, mais aussi une université, une école, une auberge, un conservatoire de musique, un hôpital, une bibliothèque, et ce que l’on appelle désormais un peu pompeusement : un centre socioculturel. Exactement à l’opposé de l’image qu’elle donne actuellement et qui symbolise le recueillement, le retrait sur soi et le silence, l’abbaye était à cette époque le lieu de vie situé à la confluence de toutes les innovations, de toutes les inventions, de toutes les rencontres.

Dans ce contexte fécond, Hrotswithae écrivit une œuvre riche, dense et foisonnante.

Mettant à profit sa parfaite connaissance des auteurs classiques, elle laissa principalement à la postérité des poèmes historiques qui concélèbrent la dynastie ottonienne à travers une véritable geste d’Otton (l’abbesse de Gandersheim était la nièce d’Otton Ier, roi de Saxe et de Germanie) et un ensemble de poésies qui s’organisent en légendes successives autour de plusieurs icônes du christianisme : Saint Pélage, Saint Gengoul, la Vierge Marie, Denys l’Aéropagite, Sainte Agnès, Théophile et Basile de Césarée.

On observera aussi que Hrotswithae rédigea un manuscrit intitulé : Tuba saeculorum, dont le caractère « prophétique » marqua les esprits après la première guerre mondiale. Cet ouvrage étrange est censé révélé l’avenir lointain du saint Empire germanique. Rappelons que nous sommes alors quelques décennies avant l’an mil !

Or plusieurs passage sont troublants. Nous n’en citerons qu’un seul ici qui remémorera immédiatement d’horribles souvenirs aux descendants des « poilus » de 14-18 : « les peuples creuseront des trous comme des taupes tandis que l’air se remplira de l’odeur de la mort ». On ne peut mieux décrire, en une seule phrase, les conditions de vie dans les tranchées…

Toutefois, sa notoriété s’établit principalement autour des six drames qu’elle composa et qui préfigurent, plusieurs siècles à l’avance, ce que sera le théâtre européen.

Exclusivement conçues pour être lues et non pour être jouées, ces pièces mettent naturellement en lumière l’aspiration à la virginité, au martyr, tout en validant d’exceptionnelles histoires de conversions tardives. Mais, en dehors de leur caractère apologétique qui ne nous émeut guère désormais, ces textes sont pleins de sève, de traits d’humour. Et surtout ils portent un regard neuf sur une époque injustement oubliée ou vilipendée.

A titre d’exemple, Hrotswithae organisa deux de ses pièces, Abraham et Pafnutius, en diptyque illustrant limpidement le rôle essentiel de la femme dans le salut. Cette symbolisation allégorique porte les fruits d’une vision inédite du rôle de la femme dans la mystique occidentale.

Par ailleurs, notre aventureuse dramaturge décrivit dans Pafnutius la douloureuse et complète rédemption de Thaïs, une ancienne courtisane. Rédemption qui, hélas, se traduira par son décès trois ans plus tard.

A la lecture de cette pièce on est étonné par la liberté de ton employée. On imagine difficilement une chanoinesse évoquer crûment des détails souvent lubriques, car l’activité débridée et luxurieuse de Thaïs en tant que courtisane ne fait l’objet d’aucune censure. Ces récits dramatiques sont même parfois scatologiques.

Thaïs étant recluse depuis trois ans dans la même pièce, elle évoque sans honte le fait « d’être forcée de satisfaire dans un seul et même lieu tous les besoins de mon corps ».

Ces descriptions sont étonnantes car elles sont clairement mises en lumière dans la pièce, sans être pour autant grossières ou inutilement choquantes. On admire ici la magie d’une femme éminemment cultivée et qui sut mettre son savoir au service de sa foi et des siècles futurs.

Puissions nous en faire de même en investissant dans le futur au lieu de nous contenter de dévorer le Présent comme si l’éternité était à nous.

A l’époque de Hrotswithae von Gandersheim, la seule vision imaginable était celle, ensorcelante et profondément énergisante, d’un Monde infini, généreux et ouvert.

D’un Monde de l’âme s’apparentant étrangement à ceux qu’Hugo von Hofmannsthal décrit dans L’entretien sur des poèmes : « Les paysages de l’âme sont plus merveilleux que les paysages du ciel étoilé : non seulement leurs Voies Lactées sont des milliers d’étoiles, mais leurs gouffres d’ombres, leurs obscurités, sont une vie multipliée par mille, une vie dont la cohue a terni la lumière, que la profusion a étouffée ».

Ce Monde merveilleux n’est plus. Grâce à nous.

Et les propos d’Hofmannsthal sont prémonitoires car notre profusion a étouffée la vie et nous ne conservons désormais que les gouffres d’ombres, les obscurités.

Nos obscurités…

Héraclite : un météore dans la nuit

Grâce à Héraclite, tout est possible...

L’Histoire de l’humanité est constellée de destins hors normes. Certains transcendent l’humain, d’autres l’avilissent.

Indéniablement, Héraclite d’Ephèse se situe dans la première catégorie.

Nous avons une tendresse toute particulière pour ce philosophe présocratique que des philosophes aussi prestigieux que Nietzsche et Hegel plaçaient au-dessus de tous les autres.

Un philosophe que l’on mit aussi en parallèle avec Lao Tseu. Il est vrai que leurs apophtegmes se rejoignent parfois en une troublante complicité.

Résumer sa vie est un exercice obligatoirement parcellaire si l’on prend en compte les 2 500 ans qui nous séparent.

Héraclite naquit à Éphèse vers 550 avant J. C. Issu d’une famille de prêtres et de rois (il était un descendant de Codros dont le fils -Androclès- fonda la ville d’Ephèse), il aurait renoncé aux titres et aux honneurs de sa classe.

De son œuvre, ne nous sont parvenus que des fragments épars. Trois thèmes majeurs et récurrents se dégagent : la recherche d’un fondement unique du monde comme totalité, l’unité des contraires et l’écoulement des choses.

Sa recherche du principe matériel du monde le conduit à la considération des éléments premiers: la terre, l’eau, l’air, le feu. À l’origine du Tout était le feu. Soumis à la volonté divine, le feu se transforma en mer, puis la moitié de la mer devint la Terre que nous habitons.

Dans cette perspective, l’origine du monde s’orchestre autour de l’opposition des contraires, du mouvement universel des astres et de l’obsédante cyclicité d’un « éternel retour ».

Il n’y a pas opposition entre le concept de mouvance perpétuelle et celui d’éternel retour. Seule une différence d’échelle entre en jeu.

A l’aune d’une vie humaine : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » car l’eau du fleuve n’est jamais exactement la même à chaque seconde qui passe. Fort de cette analyse, Héraclite démontre par ailleurs que le « devenir » est le lien obligatoire entre les phénomènes.

A l’aune du cosmos, le principe de cyclicité peut se réapproprier une vraie pertinence : « ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l’a fait, mais il était toujours. Il est et il sera, feu toujours vivant, s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure ».

On reconnaît immédiatement ici le caractère prémonitoire d’une analyse qui se fonde sur l’observation de la nature lorsque l’esprit se dépare enfin de tous les carcans qui, trop souvent hélas, le paralyse.

Or ce feu toujours vivant qui s’allume et s’éteint en mesure… c’est la vie des étoiles au sein de leur galaxie tutélaire.

Un brasier stellaire naît des scories d’une étoile défunte (nova ou supernova), puis elle vit pendant plusieurs milliards d’années. Elle s’enfle démesurément, explose et meurt. Et de ses cendres naîtra une autre étoile qui, à son tour, ensemencera l’univers à la fin de sa vie.

Nous touchons ici le génie et l’hallucinante modernité d’Héraclite : il ne s’interdisait rien !

Il laissait fuser son imagination et observait la nature et les hommes avec un regard sombre, inquisiteur. Mais ce regard était empreint aussi -et surtout- d’une fantastique capacité d’émerveillement.

Cela n’échappera à personne, Héraclite d’Ephèse nous fascine.

Il nous fascine tellement que nous lui avons réservé un rôle essentiel dans l’intrigue de « Cathédrales de brume »…

Comme nous le précisions en préambule, les plus grands philosophes du XIXe et du XXe siècle célébrèrent sa lucidité et ses capacités à regarder sans cesse et sans tabou « au-delà des apparences ».

Cette qualité demeure encore assez rare à notre époque pour être soulignée ici.

Nietzsche ne s’y est pas trompé lorsqu’il écrit : « Plus on a voulu cerner de près le problème de savoir comment, par un reniement de soi, le défini a jamais pu être engendré de l’indéfini, comment la temporalité est née de l’éternité et l’iniquité de la justice, plus la nuit s’est obscurcie » (La philosophie à l’époque tragique des grecs). 

Dans le droit fil de l’analyse de Nietzsche, l’héroïsme de l’insondable qu’Héraclite nous propose en partage doit nous interpeller : regardons plus loin ; et différemment.

Se positionner au-delà du défini, de la temporalité et d’une iniquité viscéralement ancrée en nous, symbolise un exercice difficile. Presque insurmontable.

Mais Héraclite est là. A nos côtés.

Il nous convie à l’impossible. Comme nous l’avons déjà précisé dans notre article consacré à Sir Ernest Shackleton, oser l’impossible est la seule attitude raisonnable !

Sans cela, la nuit citée par le grand philosophe allemand s’obscurcira.

Et elle nous engloutira…

L’ère noétique

Pourrons-nous -rapidement- mettre en oeuvre une vision holistique du monde, des autres et de nous-mêmes ?

Nous venons de changer de Monde…

Naturellement, la crise économique actuelle bouleverse nos priorités et chacun s’interroge, s’inquiète ; se panique parfois.

Mais le vrai changement se situe bien au-delà de la remise en cause du libéralisme outrancier et de son cortège d’erreurs tragiques. Le vrai changement est lié au fait que nous entrons, insensiblement il est vrai, dans une ère nouvelle qui marginalisera le processus intellectuel qui nous englue depuis quelques siècles et qui affirme que le réel est obligatoirement réductionniste et logique.

Les sciences du complexe démontrent que cet axiome est erroné et qu’un Tout est rarement la simple addition de ses composantes. Bien au contraire, un Tout symbolise bien plus que la somme de ses parties.

Nous le savons tous déjà, plus ou moins intuitivement. Mais la mise en œuvre d’un réseau de connaissance planétaire accessible immédiatement, et au sein duquel chacun peut équitablement contribuer, modifie totalement cette logique purement mécaniste du monde qui tyrannisa nos espérances, notre curiosité et notre capacité d’émerveillement.

Une qualité beaucoup trop rare à notre époque…

Nous entrons donc tout doucement dans une nouvelle ère : l’ère noétique.

Le préfixe grec noos  signifie connaissance, intelligence, esprit. La science qui s’adosse à cette émergence s’appelle la noétique. Elle se concentre sur l’étude et le développement de toutes les formes de connaissance et de création qui engendrent et nourrissent la noosphère.

Prémonitoirement esquissée par Pierre Teilhard de Chardin, la noosphère définit la masse de savoirs et d’informations qui recouvre notre planète de ses réseaux. Un grand merci à l’ADSL…

Dans le cadre d’une ère noétique débarrassée du carcan d’un réductionnisme stérile, les nouvelles ambitions humaines seront cognitives et culturelles, imaginatives et créatives.

La vertu essentielle sera le talent : intelligence, intuition, imagination.

L’Homme ne sera plus narcissiquement le centre et l’aboutissement de tout, mais redeviendra un chaînon majeur dans le processus de l’évolution.

Notre responsabilité sera alors de passer de la sociosphère, monde des sociétés humaines qui repose sur le politique et l’économique (et dont les crises actuelles démontrent les limites et l’extrême dangerosité), à la noosphère où les qualités humaines développées nous permettront, peut-être, d’endiguer notre processus suicidaire actuel.

Cette « révolution douce » sera singulièrement simplifiée par le développement accéléré de technologies qui ouvrent des horizons inédits en matière de connaissance et de créativité.

Dans cette optique, la seule issue possible pour nous consisterait à survaloriser quelques comportements simples et facilement accessibles à tous. On peut citer ici :

–          remplacement de la logique du « ou » par la logique du « et »,

–          privilégier les approches globales et holistiques (dans notre thriller écologique qui vient juste de paraître : « Katharsis », nous prônons par ailleurs la mise en œuvre d’une vision holistique du Monde…) au détriment des approches purement mécanistes et réductionnistes,

–          réconcilier rationalité et intuitivité,

–          sortir enfin des logiques pyramidales et outrancièrement hiérarchiques. Là encore, la crise actuelle révèle crûment les limites de ce système qui confine à l’absurde et détruit l’humain,

–          privilégier les réseaux sociaux riches et fluides ; c’est le fondement même de la noosphère : richesse et fluidité…

–          se réapproprier une relation forte avec la Nature, le cosmos et la vraie vie, sans tomber dans les excès d’un panthéisme de carnaval,

–          remplacer progressivement les logiques d’appropriation et de pouvoir au profit des logiques d’association et d’échange.

Réussirons-nous à vaincre nos démons ? Réussirons-nous à ouvrir enfin cette « porte psychique » colossale qui simplifierait et apaiserait les relations humaines ?

Remémorons-nous cette donnée toute simple : nous serons neuf milliards d’êtres humains en 2050 !!!

A première analyse (il suffit de regarder les journaux télévisés pendant une semaine pour s’en convaincre) cette ambition est généreuse, intelligente ; mais sans aucune chance de succès.

Peut-être…

Mais il convient de se souvenir ici d’une civilisation qui parvint presque à maintenir cette harmonie frôlant le miracle. Il s’agit de la civilisation minoenne qui prospéra en Crête pendant de nombreux siècles avant qu’un volcan capricieux se déchaîne et broie ce magnifique exemple d’association entre les êtres.

Pour réussir il suffirait d’écouter Goethe lorsqu’il évoque « la grammaire mystérieuse qui décline pavot et roses » (Le livre du Paradis).

Saurons-nous structurer à la perfection la grammaire mystérieuse qui conjugue pavot et roses ?

Réponse dans moins de dix ans…

Par-delà le Bien et le Mal

Brisons les carcans psychiques qui recroquevillent nos espérances tout en amputant nos possibilités...

« L’Homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer »

René Char – Feuillets d’Hypnos

Tout est dit.

Le poète résume en une seule phrase la grandeur et l’horreur qui tapissent simultanément l’âme humaine. Au-delà du bien. Au-delà du mal…

Essayer de s’exhausser au-delà du bien et au-delà du mal peut, a priori, paraître incongru et vain. En effet, chacun possède sa propre définition du bien et du mal. Et tout l’art d’une société « efficace » consiste à maintenir une barrière hermétiquement close entre ces deux définitions morales.

Cette recherche obstinée d’un manichéisme autorisant des définitions ayant valeur d’exemple est toutefois parfaitement ambiguë. Deux exemples suffisent.

Dans notre imaginaire contemporain, certains tabous absolus cristallisent l’horreur à leur simple évocation. L’inceste et le cannibalisme en font partie.

Et pourtant… Dans d’innombrables sociétés humaines -du Néolithique à l’époque contemporaine- ces deux comportements étaient tolérés, voire ouvertement prônés, dans certaines populations humaines.

Nous les abhorrons en 2010, mais plusieurs sociétés ont pratiqué l’inceste et le cannibalisme en toute quiétude et sans aucun tabou. Le cannibalisme était même couramment pratiqué au milieu du XXe siècle dans les Îles Salomon (à Malaïta pour être précis) et en Papouasie Nouvelle-Guinée. Quant à l’inceste, il était souvent pratiqué dans les familles royales de l’Egypte antique.

Le bien et le mal n’ont donc pas la même valeur partout ; et à toutes les époques.

Deuxième exemple ; contemporain celui-la.

Dans l’infini registre des horreurs spécifiques à l’être humain, on trouve en excellente place l’odieuse compilation des mutilations sexuelles féminines. Chaque année, des millions de fillettes et de jeunes femmes subissent l’excision et -plus atroce encore- l’infibulation.

Pour l’immense majorité des humains, ces pratiques dégradantes et barbares sont honnies et symbolisent le mal. Sa quintessence en quelque sorte.

Cette approche est parfaitement logique et il n’est pas difficile d’y adhérer. Mais, dans plus de 50 pays, ces pratiques sont, soit tolérées, soit clairement considérées comme étant un signe presque obligatoire d’admission de la jeune épouse dans la société.

Après cette épouvantable épreuve, elle est enfin reconnue au sein du groupe social : mutilée, avilie… mais intégrée !

Comme nous venons de le voir brièvement, les définitions de ce qui est « bien » et de ce qui est « mal » paraissent très simples. Mais elles ne le sont pas toujours, dès que l’on prend en compte la singularité humaine depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours.

Jean Rostand a par ailleurs merveilleusement synthétisé ceci lorsqu’il précisa : « On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, ont est un dieu » – Pensées d’un biologiste.

La notion de ce qui est potentiellement « mal » est donc éminemment muable et prompte à la métamorphose…

Afin de hausser le réel d’un ton, tout en nous efforçant de conférer un supplément d’âme à notre vie, nous prônons dans nos romans une approche différente.

Une approche qui positionne l’humain à l’aplomb de son propre abîme.

Ceci peut effrayer a première vue, mais la mise en œuvre d’une vision désinhibée et globale de nous-même et du Monde (ce que nous nommons vision holistique dans « Katharsis ») présente un avantage fondamental : elle nous connecte vraiment au monde !

Pour faire simple, nous revendiquons une triple démarche :

–          l’acceptation définitive, et dans chaque étape de notre vie, du paradigme de l’iceberg. Pour mémoire, rappelons que cela signifie que le visible (la partie émergée de l’iceberg) ne représente toujours qu’une infime partie du tout. Le visible n’est que l’épiphanie de l’invisible. Et nous aimons l’invisible…

–          la nécessité d’une mise en abyme permanente (on écrit parfois mise en abîme ou mise en abysme). Utilisée principalement en littérature et en peinture, cette expression symbolise l’inclusion d’un élément dans un autre. Cette mise en abyme se réitère souvent à plusieurs reprises au sein de la même œuvre artistique, créant ainsi un fantastique vertige intellectuel. La pochette de l’album Ummagumma des Pink Floyd en constitue une illustration simple dans le domaine de la photographie et de la mise en scène. Notre définition va toutefois sensiblement plus loin. En effet, nous l’appréhendons dans le sens d’espaces cachées -qu’ils soient psychiques ou physiques- que l’on ouvre progressivement et qui donnent accès à un autre espace, qui lui-même donne accès à un autre espace, qui lui-même…

–          une totale et transgressive quête d’altérité. La recherche de l’autre, pour nous en tout cas, va bien au-delà de l’humain. Nous poursuivons cette odyssée « vers l’autre et avec l’autre » en direction du monde animal, du monde végétal et de la vie sous toutes ses formes, fut-elle extraterrestre. Cette quête est totalement au cœur de notre roman de science fiction en forme de conte cosmique et d’odyssée intime : « Cathédrales de brume« .

Comment ces trois principes peuvent-ils se hisser au-delà du bien et du mal ? Et que peuvent-ils nous apporter de positif ?

Le simple fait d’exploser autour de soi les carcans intellectuels et moraux qui rongent nos espérances, nous offre immédiatement la possibilité de mieux appréhender l’existence. Trop d’êtres humains remplacent une vraie vie (avec sa richesse, ses joies, ses peines et ses incertitudes) par une mort lente qui s’éternise de leur naissance à leur trépas.

Non merci !

Nous avons donné à cet article un titre qui fait ostensiblement référence à Nietzsche. Le moment est probablement venu de l’écouter un instant lorsqu’il précise : « La distance et en quelque sorte l’espace qui entourent l’homme, augmentent avec la force de son regard et de sa pénétration spirituelle : son monde s’approfondit ; sans cesse de nouvelles étoiles, sans cesse de nouvelles énigmes deviennent pour lui visibles » – Par-delà Bien et Mal.

Son monde s’approfondit… Tout est là : regarder différemment, transgresser sans cesse, se remettre en question à chaque instant. Cela revient à s’approprier le regard de l’autre, mais aussi le vol de l’oiseau, la force chthonienne du volcan qui gronde et rugit, la vénusté intemporelle de l’arbre qui vous surplombe ; toute l’élégance de la Vie en fait.

Nous évoquions plus haut le paradigme de l’iceberg et la nécessité d’une mise en abyme permanente, ceci s’éclaire parfaitement lorsque Nietzsche affirme que la force du regard approfondit le monde.

Qu’attendons-nous pour aiguiser notre regard ?

Transgressons systématiquement la cohorte molle des idées reçues et n’ayons pas peur d’explorer les arcanes de notre être intime. Depuis le milieu du XXe siècle on constate, avec soulagement ou avec dépit, qu’il n’y a plus de « terra incognita » à la surface de notre planète.

Et pourtant… Il existe encore de vastes espaces vierges à conquérir au sein de notre cerveau et dans les replis de notre psyché…

Pourquoi hésiter. Allons-y !

Comment avancer si l’on a peur de découvrir ce qui gît vraiment au fond de soi ?

Dans l’expression nietzschéenne « par-delà le bien et le mal », l’élément que nous privilégions est la notion de « au-delà »… Ceci apparaît très clairement dans nos romans.

Pour illustrer ce choix, donnons un instant la parole à un poète : William Blake et à un philosophe : Héraclite d’Ephèse.

« Si les portes de la perception s’ouvraient, tout apparaîtrait tel qu’il est : infini » William Blake – Le mariage du Ciel et de l’Enfer.

« Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas » Héraclite – Fragments

Héraclite et William Blake ont raison : ne laissons jamais notre vie en jachère…

Naturellement, lorsque nous affirmons qu’il faut vivre, penser et s’émouvoir, par-delà le bien et le mal, cela ne signifie nullement que nous justifiions toutes les horreurs que les êtres humains accomplissent depuis des centaines de millénaires. Nous identifions tous (ou presque tous) aisément ce que l’on définit comme étant « bien » ou « mal » dans notre inconscient collectif.

Tuer et faire souffrir est « mal ». Aimer et soutenir ceux qui sont en détresse est « bien ».

Nous le savons bien.

En souhaitant délibérément nous situer au-delà du bien et au-delà du mal, nous prônons simplement une démarche visant à abolir les préjugés et les barrières intellectuels qui nous empêchent d’être nous-même. Or ces barrières psychiques que nous alimentons sans cesse opacifient notre appréhension du nonde, de l’autre. Et de nous-même !

Un comble.

Pour conclure, laissons une dernière fois la parole à Nietzsche, dont la pensée visionnaire décrypta crûment les failles qui fragilisent l’arrogante espèce bipède qui est en train de détruire le seul vaisseau spatial qui soit susceptible de l’abriter. Etrange preuve d’intelligence et de précellence…

Dans le prologue de Ainsi parlait Zarathoustra, le philosophe insiste : « Il est temps que l’Homme plante le germe de son espérance suprême. Hélas ! le temps approche où l’Homme ne lancera plus par-delà l’humanité la flèche de son désir, où la corde de son arc aura désappris à vibrer. Je vous le dis, il faut avoir encore du chaos en soi pour enfanter une étoile dansante ».

La corde de notre arc ne vibrant plus depuis quelques décennies déjà, saurons-nous encore enfanter une étoile dansante ?

Les mystères de l’ipséité

Se retrouver en soi... et dans les autres !

Nous illustrons cet article consacré à l’ipséité en privilégiant un regard non humain : un tarsier malgache dans le cas présent.

Ce choix peut surprendre, mais nous le revendiquons…

La langue française est riche : plus de 50 000 mots. On peut naturellement regretter que les trois quarts d’entre eux soient devenus obsolètes, ou purement et simplement négligés.

Cela n’empêche nullement la Terre de tourner, mais cette sclérose du langage est une défaite.

Une de plus.

Dans le cas spécifique de l’ipséité, il est évident que ce terme ne fait jamais la Une des journaux télévisés ou des blogs. Ce n’est pas dramatique en soi. Mais, comme nous allons le voir immédiatement, cette notion est pourtant essentielle et prégnante.

Ipséité vient du latin ipso qui signifie « la chose en elle-même ». Allons un peu plus loin…

La définition usuellement admise est : le pouvoir d’un sujet pensant de se représenter lui-même comme demeurant le même malgré tous les changements physiques et psychologiques qui peuvent advenir à sa personne au cours de son existence.

En lisant cette définition on a un désagréable sentiment de « déjà vu ». On peut légitimement se demander quel est l’intérêt de se poser une pareille question, car il paraît très évident que l’on a toujours conscience d’être soi-même !

Evident ? Peut-être.

Mais…

Lorsqu’un choc affectif violent nous est asséné par la vie, est-on toujours la même personne ?

Lorsque l’on subit dans son âme et dans sa chair des tourments insoutenables, est-on toujours le même ?

Lorsque l’on décide de changer radicalement de vie, est-on toujours le même ?

Lorsque l’on est partiellement frappé d’amnésie (suite à un accident par exemple), est-on toujours le même ?

Ce questionnement pose immédiatement l’intrigante interrogation relative à notre propre identité.

Ce mot désigne en fait deux réalités a priori opposées : le propre et le semblable. Or les deux catégories du propre et du semblable sont inséparables l’une de l’autre.

Etablir l’identité d’un être, quel qu’il soit, c’est découvrir en quoi il demeure semblable à lui-même à travers les aléas du temps qui, chacun le sait intuitivement, est un facteur de dissemblance et de dissolution des êtres.

Or rien ne résiste au temps. Seule l’ipséité constitue un rempart fragile, mais efficace, à cette lente dissolution de l’être.

Heureusement pour nous…

Dans un livre remarquable : « Soi-même comme un autre », le philosophe Paul Ricoeur a mis en lumière un « invariant relationnel » permettant d’enraciner l’idée d’une continuité ininterrompue de la personne, ce qui est par ailleurs réellement souhaitable pour notre équilibre mental !

Il s’efforce de définir un « qui » irréductible à tous les « quoi », c’est-à-dire une sorte de permanence dans le temps.

Dans cette définition -certes un peu ardue- la définition de l’ipséité passe par la relation à autrui.

Et c’est pour cette raison que nous sommes tous les deux en quête permanente d’altérité, à travers nos romans comme à travers nos vies. Car c’est l’autre qui nous enrichit et nous apprend qui nous sommes.

La réflexion solitaire est sans espoir… une sorte d’onanisme intellectuel et psychique qui conduit au rapetissement sur soi. Voire à la haine de l’autre.

Une bien triste fin…

La découverte de notre propre identité et de l’ipséité qui nous soutient lorsque la vie éparpille nos espérances, constitue donc un instant capital dans l’existence d’un être. En effet, antérieurement au sujet qui se forme lui-même, la personne est cet être qui découvre ses possibilités les plus intimes à partir de sa vie dans le monde.

L’être se retrouve alors en lui-même et de nombreuses contradictions s’estompent.

L’ipséité est donc un ciment fondamental qui nous relie à nous-même et aux autres. Conscient de cette opportunité, optimisons farouchement cette fantastique « capacité cachée » afin de nous retrouver tout en vivant pleinement, et sereinement, au sein d’un monde de plus en plus hostile. Un monde qui s’aveugle et déréalise l’avenir ; c’est par ailleurs le thème central de notre nouveau roman : « Katharsis ».

Cette démarche -que nous nommons « vision holistique du monde, des autres et de nous-mêmes » dans notre thriller- est difficile, mais pas impossible.

Celà vaut vraiment la peine d’essayer, alors que ce profilent devant nous des Apocalypses climatiques, humaines et sociales, sans équivalent dans l’Histoire de l’humanité…

La Vénus à la fourrure et les infortunes de la vertu

Le Diable est dans les détails... mais lesquels ?

« Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien, Voyant qu’on n’a rien, on essaye de donner, Essayant de donner, on voit qu’on n’est rien, Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir, Désirant devenir, on vit »

René Daumal – Le Mont Analogue

Rédigés respectivement en 1870 et en 1787, « La Venus à la fourrure » de Sader Masoch et « Les infortunes de la vertu » du Marquis de Sade symbolisent parfaitement deux ouvrages que l’on qualifia souvent de « sulfureux ».

La Venus à la fourrure sanctifie la soumission poussée jusqu’à l’extravagance. « Confessions d’un suprasensuel » constitue un roman dans le roman qui raconte comment un homme (Séverin) devient volontairement l’esclave d’une femme (Wanda von Dunajew) lors de jeux érotiques débridés.

Les infortunes de la vertu a été écrit à la prison de la Bastille deux ans avant 1789. Destiné au début à faire partie des « Contes et fabliaux du XVIIIe siècle », ce récit se développa et quitta le format de la nouvelle pour devenir progressivement un roman. Deux autres versions s’étoffèrent encore et devinrent « Justine ou les malheurs de la vertu » quatre ans plus tard.

Prémices des ouvrages les plus licencieux du « divin marquis », ce roman ouvrit la Boite de Pandore de tous les fantasmes…

Ces deux ouvrages font donc ostensiblement référence à des auteurs qui -apparemment- sont assez peu fréquentables et qui ont généré par leurs outrances verbales les mots « sadisme » et « masochisme ».

De tristes sires semble-t-il. Mais…

Comme nous l’avons déjà mis en lumière dans un article de notre skyblog intitulé « Le Marquis de Sade était-il un humaniste ? », il ne faut pas se fier aux apparences. En effet, Sade démontra dans plusieurs écrits qu’il structurait son œuvre dans la veine d’un moraliste confronté à la logique carcérale. Par ailleurs, ses prises de position hostiles à la peine de mort (ce n’était pas vraiment d’actualité juste après 1789 !) filigranent une personnalité qui va bien au-delà du libertin débauché et jouisseur.

Pour les êtres humains, la carte n’est pas le territoire

L’exemple de ces deux romanciers « sulfureux » doit réellement nous dessiller et nous conduire à porter un regard différent sur la vie et sur les êtres.

Cette vision holistique et désinhibée du monde, des autres et de nous-même, est au centre de nos romans. Et c’est pour cette raison que nous écrivons de la science-fiction car nous pouvons bousculer ainsi tous les champs du possible.

Pour faire simple, nous pouvons résumer cette approche en l’apparentant au « paradigme de l’iceberg ».

Lorsqu’un iceberg dérive dans les océans arctique ou antarctique, nous ne voyons que 10% de son volume global.

Lorsque les astronomes contemplent notre univers, ils observent moins de 5% de sa masse totale.

Lorsque nous vivons pendant des années avec un être que l’on aime et avec lequel on partage tout, on ne connaît que 5 ou 10% de l’être intime qui gît en lui.

Comme le dit lapidairement René Char : « le visible n’est que l’épiphanie de l’invisible ».

Si l’on veut en savoir plus sur la Nature, les humains et nous-même, il faut donc bousculer le carcan des apparences et gratter le glacis des vérités premières sempiternellement ressassées.

Internet et les réseaux sociaux démontrent éloquemment cette impuissance à « hausser le réel d’un ton » comme le suggérait Bachelard (L’air et les songes). Une mosaïque presque infinie de redites et d’analyses prédigérées borne notre horizon. Et ceci gangrène nos espérances tout en émasculant nos potentialités réelles.

Il faut s’inspirer de Giordano Bruno et transgresser. Transgresser sans cesse. Naturellement, cette transgression doit être positive et se matérialiser à travers des approches et des comportements qui privilégient association et complémentarité.

Ce n’est pas gagné…

Par le biais de nos deux premiers romans nous prônons ouvertement cette vision holistique du monde et la mettons en perspective à travers une quête d’altérité sans entrave.

Dans « Cathédrales de brume » cette quête confine même à la démesure, mais nous revendiquons pleinement ce choix. On peut en effet apprendre beaucoup sur soi en noyant son regard dans celui d’un animal ou en s’immergeant au cœur d’une forêt profonde tout en écoutant les silences de la Terre.

L’Homme n’est pas la mesure ultime de l’univers, il n’en est qu’une didascalie griffonnée aux lisières d’une planète qui souffre.

Si nous souhaitons reprendre contact avec l’invisible et cesser de nous noyer dans les fastes trompeurs du visible, il faut « ouvrir ses sens ». La sensualité prend ici un sens congru car elle situe nos perceptions et notre moi intime à la frontière entre deux mondes. Un orgasme torride ou une émotion artistique sont du même ordre, car ils se prolongent bien au-delà de notre modeste enveloppe corporelle. La sensualité est, par ailleurs, la fille naturelle de l’émotion…

Lorsque l’on a pris goût à ces étranges connivences entre deux mondes qui s’ignorent trop souvent, on repense à René Char.

Et on le remercie.

Merleau-Ponty alla plus loin en précisant : « Quand la vision métamorphose les structures du monde visible et se fait regard de l’esprit, c’est toujours en vertu du phénomène fondamental de réversibilité qui se manifeste par une existence presque charnelle de l’idée comme par une sublimation de la chaire » (Le visible et l’invisible).

Nous acquiesçons totalement…

Une vision qui métamorphose le monde sensible et se fait regard de l’esprit manque cruellement à notre époque.

Sader Masoch et le Marquis de Sade développèrent une prose outrancière et souvent blasphématoire, mais nous leur accordons ici le privilège de la réversibilité.

Un privilège que nous devrions accorder à chaque être humain. L’invisible pourrait probablement à cet instant déployer ses fastes tout en émerveillant la lie du quotidien.

Pour cela il suffit simplement de changer de perspective et d’appréhender le monde et l’humain d’une manière un peu différente.

Au XVIIe siècle, Angelus Silesius précisait : « Si tu perds la vue à force de regarder le soleil, la faute est dans tes yeux, non dans sa grande lumière » (Le pèlerin chérubinique).

L’heure est probablement venue pour l’Homme de se déclore…

L’amour et la lucidité sur les bûchers de l’Inquisition

La vérité et l'amour finissent souvent sur le bûcher...

Il est toujours très dangereux d’avoir raison avant les autres…

L’Histoire de l’humanité grouille d’exemples de ce type qui démontrent tous éloquemment que la vérité fait peur.

La conséquence est toujours la même : l’opprobre, la dénonciation.

Puis la condamnation.

Dans certains cas ceci va très loin. Nous mettons ici en exergue deux cas qui nous touchent vraiment car leur expression de la vérité était justifiée, féconde ; utile.

Et ils périrent tous les deux sur le bûcher !

Ces deux précurseurs d’une vérité devenant inopportunément impie à leur époque sont Marguerite Porete et Giordano Bruno. Trois siècles les séparent, mais leurs destinées s’entremêlent et la symbolique qui prévaut ici demeure la même : le carcan des verrous intellectuels qui engluent notre liberté et notre imagination est toujours le même, il y a cinquante siècles ou en 2010…

Marguerite Porete était une femme exceptionnelle qui véhicula à travers ses écrits et sa vie une idée simple, lumineuse : l’absolue précellence de l’amour.

Majestueuse, envoûtante et sensuelle, cette revendication s’inscrivant dans une logique parallèle à l’ « amour courtois » fut décriée, vilipendée. Marguerite en mourût.

Il existe effectivement une étonnante affinité entre la mystique féminine des XIIe et XIIIe siècle -dont Marguerite Porete est un illustre exemple au même titre qu’Hadewijch d’Anvers, par exemple- et l’amour courtois.

Dans les deux cas, on retrouve un lien singulier qui, dans le premier cas, unit l’âme à Dieu, et qui, dans le second cas, unit la Dame au poète courtois.

Calqué sur le lien vassalique, cette osmose presque absolue s’identifie à une forme sophistiquée de fidélité qui se symbolise par un mot simple et rare à la fois : amour…

Mais revenons un instant sur le parcours étonnant de Marguerite Porete (1250-1310).

Vivant à Valenciennes à une époque de grande effervescence religieuse, Marguerite fit partie des béguines, un mouvement composé de femmes libres, d’âmes en quête d’Amour divin réfutant l’idée de toute autorité religieuse ou maritale. Elle publia un livre intitulé “Le miroir des âmes simples et anéanties” qui deviendra le témoin de la spiritualité béguinale et, d’une manière plus générale, de la mystique féminine parfois appelée « mystique nuptiale ».

Réalisant dans sa vie et dans son œuvre littéraire l’union suprême au Divin, Marguerite écrit pour ceux qui n’ont pas encore communié à cet « Amour à la fois proche et insaisissable ».

Elle nous invite à contempler notre âme à travers le miroir de l’Amour pour l’épurer de tout ce qui fait obstacle à l’épanouissement du divin en nous. A ce stade d’évolution, affirme Marguerite Porete, l’âme est « si brûlante en la fournaise du feu d’Amour, qu’elle est devenue feu, à proprement parler, si bien qu’elle ne sent plus le feu, puisqu’elle est feu en elle-même par la force d’Amour qui l’a transformée en feu d’Amour ».

On retrouvera ultérieurement cette métaphore chez Jean de la Croix.

Ainsi, en laissant son ego devenir lui-même « feu d’Amour », l’âme se découvre telle qu’elle est et a toujours été : unie à l’Amour. Totalement accomplie -presque enivrée- dans un Amour qui échappe à la raison, elle vole au-dessus de tous les repères, rituels, prières ou dogmes…

Naturellement, cette liberté de ton et cette approche totalement désinhibée par rapport aux fossilisations intellectuelles inhérentes à une vision étroite de la spiritualité, lui attirèrent les foudres des autorités ecclésiastiques

Voyant immédiatement dans ces propos une opposition farouche à la morale et une iconoclastie en germe, l’Inquisition condamna et brûla « Le miroir des âmes simples et anéanties » jugé hérétique en 1306. Mais Marguerite Porete continua à propager ses idées.

Transportée à Paris en 1310, elle fut condamnée pour hérésie et périt dignement sur le bûcher.

Presque trois siècles plus tard, l’Inquisition accomplit encore son horrible besogne en condamnant au bûcher l’un des plus grands philosophes de la fin de la Renaissance : Giordano Bruno.

Notre intention n’est nullement ici de reprendre la biographie du nolain qui participa (au même titre que Copernic et Galilée) à une révolution intellectuelle majeure : la prise de conscience par l’Homme d’une réalité simple : il n’est qu’un brimborion au milieu de l’univers.

Forte, prégnante et riche en développements futurs, cette idée déplût.

C’est le moins que l’on puisse dire…

Dans tous nos romans nous essayons d’annihiler les stupides blocages psychiques qui gangrènent nos espérances et notre intelligence. Aussi étonnant que cala puisse paraître, cette vision holistique du monde, des autres et de nous-même (qui apparaît très clairement dans notre nouveau roman : « Katharsis« ) provoque encore des réticences.

A la fin du XVe siècle cette lucidité sereine s’assimila à un sacrilège, un outrage. Un blasphème.

Revenons juste un instant à Giordano Bruno.

Né à Nola, près de Naples, en 1546, il fonde sa philosophie sur les travaux de l’astronome polonais Copernic et du philosophe néoplatonicien Nicolas de Cues que nous avons déjà évoqué à travers son concept de « coïncidence des opposés ».

S’appuyant sur les travaux de Copernic, il démontre éloquemment l’existence d’un univers infini et grouillant de monde et d’astres eux aussi infinis.

Cette « pluralité des mondes » se situait à l’exact opposé du géocentrisme qui prévalait jusque là. Cette approche novatrice lui valut de nombreuses inimitiés, puis des haines inexpugnables.

Sa vision d’un univers sans bord, sans frontière et sans fin bouscule tous les archétypes anciens issus de l’aristotélisme et de la religion. Cette bravade intellectuelle devint rapidement intolérable aux yeux d’un clergé qui sentait probablement poindre des aurores nouvelles qu’il redoutait.

Un procès s’éternisant sur de longues années (23 Mai 1592-17 Février 1600) commença sous l’égide (la férule pourrait-on dire) de l’Inquisition.

Le premier acte d’accusation se soucia principalement de ses positions théologiques considérées comme hérétiques. Mais ses activités philosophiques et scientifiques furent très rapidement mises en exergue : sa pratique de l’art divinatoire, sa croyance en la métempsychose et, surtout, sa vision d’un cosmos infini et dénué de centre.

Dans un premier temps, il se défendit habilement. Mais, en 1593, dix nouveaux chefs d’accusation entraînèrent Giordano Bruno dans sept années d’un procès interminable ponctué par une vingtaine d’interrogatoires.

Il fut torturé d’innombrables fois. Désireux d’en finir, le pape Clément VIII somma une dernière fois Bruno de se soumettre. Le philosophe nolain refusa.

La situation étant bloquée, Clément VIII ordonna le 20 Janvier 1600 au tribunal de l’Inquisition de prononcer son jugement.

Le 17 février 1600, sur le bûcher installé sur le Campo Dei Fiori, Giordano Bruno éleva probablement son regard vers ce ciel protéiforme et infini qu’il venait de dévoiler au monde.

En observant les destins tragiques de Marguerite Porete et de Giordano Bruno, une vérité jaillit immédiatement en nous. La mise en lumière de l’absolue prééminence de l’amour et de la pluralité des mondes symbolise une quête presque parfaite. Une quête qui ennoblit l’être humain.

Et les initiateurs de ces quêtes furent brûlés vif.

Comme le décrivait parfaitement Giordano Bruno : « Nous ne voyons pas les véritables effets, les véritables formes des choses ou la substance des idées, mais leurs ombres, vestiges et simulacres «  (Des fureurs héroïques).

Que faisons-nous en 2010, hormis nous repaître d’ombres, de vestiges et de simulacres ?

Or la fossilisation des idées nous guette à l’orée d’un millénaire crucial pour l’avenir de l’humanité.

Marguerite Porete et Giordano Bruno refusèrent cette défaite. Ils périrent atrocement pour ce courage rare.

Qui reprendra le flambeau ?