Cathédrales de brume et Zalmoxis disponibles en e-book

Cathédrales de brume

Parution en e−book de deux de nos romans publiés aux Éditions Rivière Blanche au prix unique de 5,99€.

Cathédrales de brume bénéficie d’une belle préface écrite par l’astrophysicien Jean−Pierre Luminet.

Zalmoxis a obtenu la Plume d’argent Imaginaire lors du Prix Plume Libre en 2017 :

http://www.plume-libre.com/index.php?option=com_content&view=article&id=3574&Itemid=100145

Cathédrales de brume :

https://www.riviereblanche.com/ebooks-cathedrales-de-brume.html

Zalmoxis :

https://www.riviereblanche.com/ebooks-zalmoxis.html  

 

Oksana présentant Cathédrales de brume et Zalmoxis

 

Cathédrales de brume

 

Zalmoxis

Une nouveauté et des rééditions…

 

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La crypte des fantasmes : cette peinture d’Antoine Caron (1566) est l’un des six « tableaux-univers » qui engloutiront les invités du manoir. C’est le plus terrible de tous…

 

Cet été, parution du deuxième volet de notre trilogie de Fantasy : Tomyris et les Hydres du Thrënodium. 

Par ailleurs certains de nos romans, indisponibles depuis quelques temps, ressortent en version e-book et en version papier.

Enfin, parution de nos deux romans déjà publiés chez Rivière Blanche en version e-book.

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Une nouveauté : Tomyris et les Hydres du Thrënodium, un inédit en version papier : La crypte des fantasmes et cinq rééditions.

Voilà le détail :

Tomyris et les Hydres du Thrënodium est notre nouveau roman. La trilogie s’achèvera avec Tomyris et les Arches ignivomes.

L’intrigue :

Après avoir aidé la reine Tomyris à vaincre Cyrus le Grand, Ozzymandra et ses compagnons ont franchi le labyrinthe de cristal. Arrivés sur Lysimakia, ils découvrent un univers complexe où quatre cités-États se querellent sans cesse.

Comment survivre dans un monde où des hydres géantes et des griffons sont la clef de voûte de combats titanesques ?

Comment côtoyer des scribes-célestes qui calligraphient les nuages et des peintres-démiurges qui architecturent le néant sans se demander à chaque instant si l’on rêve ou si la réalité est simplement différente ?

Comment vivre et mourir lorsque des expériences insensées sont sur le point d’aboutir en utilisant le potentiel infini de méduses biologiquement immortelles ?

Mais ces interrogations ne peuvent masquer une réalité affolante. Le danger rôde.

Apophis, un prêtre déviant, veut imposer sa loi tyrannique à la surface de Lysimakia. Pour assurer son hégémonie, il est prêt à s’associer avec des créatures lucifériennes qui dévasteront les quatre royaumes et esclavageront leurs populations.

L’union doit se faire. Vite.

Mais la seule issue possible est ailleurs. Très loin…

Ce roman existe en e-book et en version papier.

Disponible ici :

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Tomyris et les Hydres du Thrënodium : Ozzymandra, Tomyris et leurs compagnons vont devoir s’unir à d’autres monarques antiques afin de combattre l’horreur absolue.

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Tomyris et les Hydres du Thrënodium : illustration : Piero di Cosimo (1510)

Tomyris et le Labyrinthe de cristal : récit historique et Fantasy débridée.

Tomyris et le Labyrinthe de cristal est disponible ici :

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Tomyris et le Labyrinthe de cristal : une reine des Amazones, un ouroboros, un mage fou, un labyrinthe géant et des monstres…

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Tomyris et le Labyrinthe de cristal : illustration : Gustave Moreau.

La crypte des fantasmes s’inspire d’un scénario que nous avions écrit pour Joël Houssin dans le cadre d’une série TV qui devait s’appeler Cauchemars à louer.

La crypte des fantasmes est disponible ici :

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La crypte des fantasmes : une terrifiante vengeance venue d’un lointain passé.

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La crypte des fantasmes – Peinture : William Bouguereau (Nymphs and Satyr – 1873). Ce tableau fait partie des six « peintures-univers » qui ornent la crypte des fantasmes et engloutissent les malheureux invités du manoir maudit.

L’Outre-blanc bénéficie d’une préface écrite par Bernard Werber et Jean-Claude Dunyach.

Ce roman a été traduit en anglais par Sheryl Curtis. Il est publié aux États-Unis chez Black Coat Press.

Il est disponible ici :

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L’Outre-blanc : illustration de couverture : Marije Berting

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L’Outre-blanc : un roman de « métaphysique-fiction » selon Bernard Werber et Jean-Claude Dunyach…

Notre second roman : Katharsis est à nouveau disponible en version papier et en e-book.

Ce thriller écologique bénéficie d’une préface d’Yves Paccalet qui a co-écrit de nombreux ouvrages avec le Commandant Cousteau.

Katharsis est disponible ici :

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Katharsis : 18 jours avant l’Apocalypse !

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Katharsis : le point de départ de Zalmoxis et Nyx et Thanatos

Notre premier roman : Cathédrales de brume (disponible en version papier chez Rivière Blanche) est préfacé par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet.

Cathédrales de brume est disponible ici :

 

Cathédrales de brume ebook

Cathédrales de brume : notre premier roman.

Zalmoxis est le premier volet d’une trilogie de SF.

Zalmoxis est disponible ici :

Ce roman a obtenu la Plume d’argent Imaginaire lors du Prix des lecteurs Plume libre 2017.

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Zalmoxis est le premier opus d’une trilogie de SF qui se poursuivra avec Nyx et Thanatos et Le testament de la lumière.

13eme Rencontres de l’Imaginaire à Sèvres

Présentation

Présentation

Samedi dernier –le 26 Novembre– les 13eme Rencontres de l’Imaginaire ont investi le Sel de Sèvres.

Un public nombreux et enthousiaste, plus de 100 auteurs et une organisation au top ont fait de ce salon un vrai succès.

Nous avons eu beaucoup de plaisir à rencontrer nos lecteurs. Des échanges fructueux, des moments drôles ou émouvants : une parfaite réussite !

Voilà quelques photos…

Échanger avec des lecteurs passionnés et faire une photo-souvenir est toujours très agréable

Les lecteurs arrivent...

L'affiche du salon et la liste des auteurs

Avec un lecteur qui a posé de nombreuses questions

Visuel de tous nos romans

Présentation de notre quatrième roman : Tomyris et le labyrinthe de cristal et du huitième : L'outre-blanc

La liste des auteurs invités par les organisateurs du salon

Au centre, Cyril qui a lu tous nos romans...

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Sèvres 2016

Sèvres 2016

Avec un lecteur fidèle qui est aussi photographe

Réédition de Cathédrales de brume en version numérique

Cathédrales de brume

Cathédrales de brume

Notre premier roman : Cathédrales de brume, vient d’être réédité en version numérique aux Éditions Multivers.

Rappelons qu’il bénéficie d’une préface de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet.

Il est donc désormais disponible en version papier ici : http://www.riviereblanche.com/cathedrales.htm

La version numérique est disponible ici : http://multivers.biblys.fr/collectif/cathedrales-de-brume_50526

Par ailleurs, cette intrigue si particulière a fait l’objet d’un disque composé par le groupe Dawn & Dusk Entwined. Il porte le même titre que le roman et est disponible ici : http://dawnduskentwined.bandcamp.com/album/cath-drales-de-brume 

 

Voilà l’intrigue en quelques lignes :

Pétrifié au sein d’un sarcophage de cristal dérivant dans l’espace extragalactique, un naufragé est condamné à poursuivre une hallucinante odyssée pendant plusieurs millions d’années. Sans bouger. Et sans pouvoir mettre fin à ses jours…

Amaranth Heliaktor a pour seule compagne une sentinelle électronique qui l’aide à façonner les mondes virtuels qui lui servent d’exutoire. S’immergeant au sein d’un univers personnel qui se juxtapose à l’âpreté d’une réalité affolante, il émerveille ses sensations, son corps ; son âme. Au contact de la beauté absolue il fait des rencontres émouvantes, hallucinantes et sensuelles.
Puis il se damne avant d’accomplir l’ultime métamorphose.
Confronté à l’indicible, il se réfugie dans ces architectures oniriques qu’il nomme affectueusement… ses cathédrales de brume !

 

Les auteurs :

Duo littéraire atypique (une star du X passionnée par la cosmologie et l’Egypte antique, et un ancien dirigeant de la FNAC féru de philosophie néoplatonicienne et amateur de Dark Metal), OKSANA et Gil PROU coécrivent des romans de science-fiction et des essais depuis 2007.

Publié en 2009 aux Editions Rivière Blanche, leur premier roman s’intitule Cathédrales de brume.
Leur second roman, Katharsis, est paru en 2010 aux Editions Interkeltia. Ce thriller écologique, préfacé par le philosophe et naturaliste Yves Paccalet, a été sélectionné par le jury du Musée des Confluences dans le cadre du Prix des collégiens (aux côtés d’Eric Orsenna et de Jean-Michel Payet).

En 2011, ils ont publié aux Editions de La Hutte un essai : Les métamorphoses d’Eros qui a obtenu la Plume de bronze (catégorie Plume romanesque) dans le cadre du Prix des lecteurs 2012 du site Plume libre.

Ils viennent d’écrire quatre nouveaux romans. Le premier, Tomyris et le labyrinthe de cristal, est un récit mêlant réalités historiques et thématiques propres à l’Heroic Fantasy. Il est paru aux Editions Midgard en mars 2013. Le second, Un matin différent, est un récit contemporain dont l’intrigue se déroule quelques minutes avant le premier attentat du 11 Septembre 2001. Il paraîtra en Mars 2015 aux Editions Artalys. Le troisième s’appelle, Zalmoxis, c’est le premier volet d’une trilogie de SF qui se poursuivra avec Nyx et Thanatos et Le testament de la lumière. Le quatrième, À la verticale de l’Enfer, est un roman fantastique dont l’intrigue se déroule dans un manoir isolé en Ardèche.

Ils écrivent actuellement un huitième roman : L’hydre-Univers.

L'album Cathédrales de brume

L’album Cathédrales de brume

Des créatures qui enfantent leur propre univers…

Dans notre premier roman : « Cathédrales de brume », le héros principal est condamné à errer pendant des millions d’années entre notre galaxie et sa plus proche voisine (la galaxie d’Andromède), sans pouvoir bouger, ni mettre fin à ses jours.

Au fil du temps, il métamorphose ses songes éveillés en leur donnant forme. C’est ce qu’il nomme ses « cathédrales de brume ».

Parfois, son errance le conduit toutefois à s’aheurter à la réalité.

C’est le cas lors du chapitre 22. Nous sommes en 18325 et cela fait donc plus de 15 800 ans que notre naufragé prolonge cette effarante odyssée instrumentalisée par les omniscients Hexastylis.

Avec ses compagnons de voyage qu’il a progressivement matérialisés en les exhumant des brumes d’un lointain passé, il va rencontrer d’étranges, primitives et merveilleuses créatures extragalactiques…

 C’est aussi le chapitre où apparait un personnage essentiel par la suite : Sophonisba.

« L’exubérance est beauté »

William Blake – Le mariage du Ciel et de l’Enfer

 18325 – 7eme jour

 Depuis trois jours les compagnons d’Amaranth avaient précipitamment rejoint l’esquif de survie.

Pourquoi cette frénésie alors qu’ils vivaient depuis près d’un millénaire dans une architecture confortable et voluptueuse à la fois ? La raison était simple et déroutante. Les détecteurs du vaisseau venaient de vibrer fortement, indiquant explicitement la présence d’une activité vivante à moins d’un mois lumière. La description était vague, mais les capteurs ne pouvaient traduire que ce qu’ils recevaient en flux encore irréguliers et ténus : des signes de vie active. Pour en savoir plus, il convenait de s’approcher à vitesse subluminique. Et c’est ce que faisait actuellement le Chrysaör.

L’événement était exceptionnel. Depuis la frustrante rencontre avec le croiseur des Tonaxares, ils n’avaient point croisé d’autres formes de vie, excepté naturellement l’étonnant bestiaire cosmique patiemment reconstitué par Heliaktor à travers ses architectures virtuelles.

Chacun admit sans ronchonner qu’il convenait de rejoindre immédiatement le navire réel afin de se préparer au mieux à cette éventuelle rencontre. La confrontation était d’autant plus surprenante que les errants d’éternité se trouvaient désormais à un peu plus de 15 000 années-lumière de notre Galaxie, pénétrant doucement dans la nébuleuse ouatée d’argent et de suie de l’amas galactique 47 Tucanae. Ce brouillard d’étoiles diffuses étant situé à l’extérieur de la Voie Lactée, il pouvait légitimement s’auréoler du nom d’espace extragalactique.

Une première pour l’Humanité. Longtemps hélas après sa disparition…

Quitter les alvéoles mousseuses de la douce planète Gladiorhizza fut réellement un supplice.

En 17013, l’arcturien avait installé la petite cohorte de ses amis, renforcée par quelques arrivants plus tardifs, au sein d’une reconstitution fidèle de cette planète orbitant dans le système de Rasalgethi, une géante rouge pontifiant dans la constellation d’Hercule.

Source d’indicibles plaisirs, cette immense toile d’araignée constellée d’alvéoles floconneuses sublimait les espérances de chacun. Il suffisait de se lover au creux de l’une d’entre elle, seul ou en couple, pour voir se réaliser autour de soi les espérances les plus folles. Chaque pulsion se concrétisait, quelle qu’en soit la genèse.

Pendant les premiers siècles, ces désirs s’assouvirent principalement à travers la satisfaction de besoins élémentaires ou sexuels. Puis, le temps passant, la sérénité reprit peu à peu ses droits.

Luxure et superficialité s’estompèrent partiellement au profit d’ambitions plus créatives, exceptés naturellement pour Centipède, Hildegard von Bingen, Léonard de Vinci, Hölderlin ou Piero di Cosimo, qui s’immergeaient depuis fort longtemps au sein de ces plaisirs éthérés qui satisfont l’âme avant la jouissance des sens.

Certaines personnalités se révélèrent progressivement. On découvrit ainsi au fil des siècles l’intensité de l’amour unissant Héraclite et Christine de Pisan.

Attila, qui les avait rejoint en 15768 en compagnie de Sophonisba et d’Aglathyde, deux voluptueuses hétaïres vénitiennes vivant au début du XVIe siècle, se vautra dans la débauche la plus débridée. Il malmena son cœur fragile au gré d’innombrables périples érotiques partagés avec les sculpturales odalisques. Puis il se ressaisit étrangement et devint progressivement adepte des subtiles ornementations musicales structurées par Hildegard von Bingen. Ayant abandonné ses recherches médicales au profit de savantes expérimentations polyphoniques, la mystique rhénane fut ravie d’accueillir un disciple aussi attentif qu’inattendu. Emerillonnées par ce changement, les courtisanes alternaient plaisirs saphiques et peintures bucoliques en attendant les rares moments de jouissance que le Roi des Huns leur octroyait encore.

Curieusement, les destinées des deux jeunes femmes se dissocièrent rapidement. Alors qu’Aglathyde paraissait se complaire sans rechigner dans son rôle ambigu de gourgandine délaissée, Sophonisba réagit très différemment. Consciente de sa beauté radieuse et de son immense pouvoir de séduction, la courtisane vénitienne ne sembla nullement vouloir se cantonner à un rôle purement libertin. Très rapidement, sa longue chevelure cuivrée et son regard émeraude captèrent l’attention de tous. Elle s’immisça dans toutes les discussions, prit ouvertement parti, usa surabondamment d’un humour corrosif, sympathisa avec Hildegard et Taskhäärh, mêlant ainsi extravagance ludique et sensualité outrée.

Mais la période des plaisirs infinis et féconds prenait provisoirement fin ici. La présence d’une activité réelle dans l’environnement proche du Chrysaör impliquait une attention soutenue, suivit d’éventuelles prises de décisions capitales pour l’avenir.

L’arcturien décida donc que chacun réintégra les flancs du Chrysaör.

Seule dérogation à la réalité, la nef tripla de volume tout en conservant ses justes proportions afin que ses amis puissent trouver leur place dans des conditions de confort acceptable. La promiscuité était évidente, ce qui ne déplaisait pas à tout le monde. Mais l’espace ainsi réaménagé permettait de maintenir une intimité suffisante.

Taskhäärh en revanche posa difficulté. Sa taille gigantesque étant fort peu compatible avec l’espace réservé aux occupants, le crocodile géant fut provisoirement installé à l’arrière. L’emplacement n’était guère luxueux mais lui assurait en revanche une vue imprenable sur notre Galaxie s’éloignant doucement en un froissement de lumières liliales.

Tendu de cuir fauve et d’acajou finement lustré, le décor recréait l’environnement chaleureux que le naufragé avait déjà utilisé à plusieurs reprises lorsqu’il renonçait à ses grandes reconstitutions virtuelles aux dimensions extravagantes. L’ensemble était agréable, permettant d’attendre le moment tant espéré dans de bonnes conditions.

Ce tournant magique tarda à venir, mais au fil des semaines les détecteurs s’éberluèrent de plus en plus. Les zones d’activités décelées semblaient venir de partout à l’intérieur d’une sphère distendue occupant un système stellaire tout entier.

L’ensemble babillait d’une vie bourdonnante, organisée et totalement insensible à l’arrivée d’un modeste équipage venant des tréfonds de l’espace.

Le silence retomba, uniquement troublé par les ronronnements des gyroscopes gravitationnels. Parfois aussi par les gémissements d’Astrée hurlant son plaisir, mais ceci était désormais une habitude multimillénaire.

–           « Quel est le nom de ce système solaire ? » s’inquiéta Héraclite, après une nuit traversée de cauchemars hallucinés.

–           « L’étoile située en son centre n’est pas répertoriée avoua le naufragé. Toutes les étoiles constituant les différents amas globulaires orbitant autour de la Galaxie n’ont pas forcément de noms »

–           « Cette lacune est regrettable, soupira le philosophe en embrassant sa compagne qui venait d’arriver. Centipède possède peut-être une information concernant ce système planétaire qui semble bruire d’une vie exubérante »

–           « Aucune » répondit laconiquement la créature de lumière, tout en se libérant des pattes antérieures de Taskhäärh au creux desquelles il se reposait régulièrement.

–           « Donc personne ne sait rien sur ce monde ? » s’irrita Piero di Cosimo, tout en lançant un regard oblique dans la direction d’Attila.

–           « Ce n’est pas la peine de me fixer ainsi, grommela l’ancien roi des Huns. Comment veux-tu que j’en connaisse plus qu’Heliaktor ou Centipède sur ce sujet ? »

–           « Vos vagissements nocturnes m’ont dérangé pendant toute la nuit ! » cingla le peintre florentin, explicitant ainsi son humeur belliqueuse.

–           « Je peux te prêter l’une de mes terpsichores ! s’esclaffa Attila. Voire les deux si tu parviens à les satisfaire ensemble… »

Hildegard lui lança un regard courroucé, alors que Sophonisba s’étranglait en toussotant.

–           « Le temps n’est plus aux querelles ! s’emporta Heliaktor. Les détecteurs de bord indiquent que nous atteindrons dans moins d’une semaine la zone de contact visuel avec ces sources d’énergies éparpillées. Notre mission impose que nous demeurions calmes et concentrés »

Les deux protagonistes se cloîtrèrent dans un lourd silence. Ce qui ne fut pas le cas d’Héraclite.

–           « Je constate avec plaisir que tu t’appropries désormais sans vergogne le mot mission, après l’avoir ignoré durant des millénaires »

–           « Eh oui, condescendit-il. Les temps changent, moi aussi. Plus sérieusement, il est exact qu’un retour actif dans la matérialité d’un espace non désincarné me stimule. Cette future rencontre avec des entités totalement inconnues et situées bien au-delà de toutes les précédentes investigations humaines est très excitante. J’aspire à ce premier contact avec des êtres extragalactiques. Et je le redoute aussi. Le précédent contact avec des créatures supérieurement intelligentes ne s’est pas très bien passé »

–           « De toute façon, conclut l’éphésien fataliste, la race humaine n’existe plus. Que risquons-nous ? »

–           « De perdre notre âme » intervint Ombellianne de Rochefort en se lovant le long de son compagnon, tout en ébouriffant l’opulente chevelure ombrant ses épaules.

Nul n’y trouva à redire.

Exactement six jours terrestres plus tard, les stridulations insupportables des détecteurs envahirent par vagues l’habitacle du Chrysaör. Heliaktor sentit ses paumes s’humidifier un peu, sa bouche s’assécher, ses yeux s’irriter comme si une large poignée de sable venait de s’instiller indiscrètement entre ses paupières et le globe oculaire.

Il vrilla brutalement son regard vers l’immense baie vitrée, cherchant à discerner dans l’ébène de la nuit une trace de vie. Aussi furtive soit-elle. La tâche était rendue difficile par l’omniprésence de l’ovale éblouissant de l’amas galactique qui les accueillait désormais.

Brutalement Astrée s’égosilla :

–           « Un point lumineux ! J’ai vu un point lumineux ! »

–           « Où ? » vociférèrent en même temps une dizaine de voix.

Désignant en tremblant un point imaginaire situé dans la partie inférieure gauche de la baie moirée d’argent, elle fixa l’espace. Puis, exécutant de petits cercles concentriques avec son index, elle figea enfin son geste dans un axe concret stabilisant la vision.

–           « Là ! »

Tous s’écarquillèrent les yeux, hormis le crocodile géant qui ne pouvait s’approcher suffisamment et dont la vue était, de toute façon, insuffisante.

–           « Je le vois aussi ! » s’écria enfin Vasgo de Gama.

Il fut rapidement suivit par Heliaktor, Sophonisba, Centipède et Hildegard. Très ténue au début, la structure lumineuse se révéla peu à peu aux yeux ébaubis des passagers du Chrysaör. Puis une deuxième évanescence apparut, sur la droite. Puis une troisième, une quatrième… Il y eut bientôt près de cinq cents points nimbés d’une douce lumière verte et saphirine. Tous paraissaient confluer doucement en direction du vaisseau de la Ligue, mais ces signes de vie demeuraient parfaitement éloignés de toute planète.

La pâle étoile jaune paille était encore fort loin et nulle planète ou satellite ne justifiait cette concentration inhabituelle en plein espace.

S’approchant de plus en plus, ils parvinrent enfin à discerner les grandes lignes de ces élégantes structures marbrées de bleu et ponctuées d’un vert intense, lumineux, apaisant.

Evoquer une silhouette élégante était insuffisant dans le cas présent. Il aurait fallu centupler ici les qualificatifs afin de rendre justice à l’étincelante vénusté de ces ampoules fuselées déambulant dans la suie du cosmos. Arachnéennes, elles formaient grossièrement un tronc de cône légèrement étréci par le centre, allégeant encore une silhouette générale épurée et d’une parfaite diaphanéité. Elles acquéraient une grâce infinie en raison de leur forme hélicine se resserrant sans cesse vers l’extrémité sommitale. Chaque spire décorée de nacrures bleutées formait une colonne vertébrale torse se drapant de milliers de petites excroissances érigées d’un vert intense, donnant à l’ensemble un caractère vaporeux, presque angélique. Irréelles, fantasmagoriques en ces lieux normalement désertés de toute vie observable, ces étranges architectures vivantes ressemblaient grossièrement à un animal terrestre vivant dans les eaux chaudes du Pacifique et des Caraïbes.

Minuscule sur la planète des hommes, il se paraît du doux nom de Spirobranchus giganteus et appartenait à l’immense famille des annélides. Sur Terra I, ces superbes créatures spiralées s’ornant de fragiles entrelacs de givre irisés d’or, de pourpre ou d’azur, vivaient le long des coraux pavant encore le fond des océans.

Voletant en groupes épars, les créatures ne semblaient animées d’aucune agressivité. Etant totalement isolées dans l’espace, elles venaient de nulle part, paraissant tranquillement s’y fondre en un ballet virevoltant. Une dizaine de ces hélices de lumière s’approchèrent du Chrysaör, ce qui permit d’apprécier leur taille : cinquante mètres de haut environ, pour trente mètres de diamètre à la base et moins de dix mètres au sommet.

Ces dimensions étaient minuscules pour des structures vaquant dans le cosmos très loin de toute base arrière, mais gigantesques pour des créatures isolées dans l’infini.

–           « Sont-ce des vaisseaux individuels ? » interrogea Héraclite en se tournant vers le Daëdalus, étrangement silencieux jusque là.

Centipède ne répondit point. Dépité, le philosophe réitéra sa question. Toujours rien.

Il s’emporta alors, tant la tension était palpable à l’intérieur de l’habitacle.

–           « Tu ne veux pas me répondre ? Je t’ai demandé si tu savais si ce sont des vaiss… »

–           « Excusez-moi ! frissonna-t-il brutalement. Mais je tente un contact télépathique, sans résultat jusque là »

–           « Ce sont des créatures vivantes ? »

–           « Absolument, acquiesça Centipède. Ces constructions nimbées d’une douce lumière interne sont des êtres vivants. Les scintillements qui apparaissent à certaines extrémités des aiguilles ornant les lignes spiralées des principaux points nodaux, démontrent qu’elles se déplacent au moins dans quatre dimensions »

–           « Ce sont des êtres intelligents ? » s’inquiéta Sophonisba.

–           « Possible. Hélas, je ne peux établir aucun contact. Or comme leur forme figée interdit toute démonstration et toute gestuelle, un quelconque échange sera difficile »

–           « J’entends quelque chose qui bourdonne, sans réussir à déceler si c’est un message ou le simple froissement de leurs épines entre elles » intervint Taskhäärh, tout en essayant de se hisser près de la baie transparente.

–           « Concentre-toi ! insista le naufragé. Il serait dramatique que l’on ne puisse établir le contact avec ces créatures en raison d’une simple barrière de langage »

–           « Ce phénomène jalonna l’Histoire de l’humanité » soupira Hildegard von Bingen.

Convaincu qu’une solution pouvait être trouvée, chacun se focalisa sur les silhouettes cristallines qui orbitaient calmement autour du vaisseau, insensibles semble-t-il à la vitesse subluminique du Chrysaör et aux éjectas hadroniques des moteurs.

Le ballet durait depuis deux heures et le désespoir s’insinua insidieusement au sein de la nef d’oxylium. Ni Centipède, ni Taskhäärh, ne parvenaient à améliorer une réception psychique qui demeurait obstinément brouillonne et aux limites de l’inaudible.

Brusquement, des centaines de petites toupies impertinentes ayant la même forme que les cônes de lumière, mais en vingt fois plus petit, s’exsudèrent des parois soyeuses de plusieurs créatures bleu cobalt, toujours harmonieusement ourlées d’un liseré céladon.

–           « Ce sont leurs enfants ? » balbutia Ombellianne de Rochefort en contemplant cet étonnant accouchement spatial.

Les petites créatures partirent promptement en tous sens, bourdonnant principalement autour des parents, sans que cette attitude puisse s’expliquer par un lien familial ou toute autre comparaison ressortissant d’un anthropomorphisme parfaitement stérile ici. Certaines silhouettes, cocasses et mutines, s’approchèrent à moins de dix mètres du Chrysaör, laissant toute latitude aux occupants du vaisseau de contempler l’esthétique de leurs formes tourbillonnantes s’empanachant au sommet d’une couronne capucine, alors que celle des parents était densément cuivrée.

Quelques minutes plus tard, le troupeau indiscipliné des enfants s’égailla dans l’espace environnant, constituant une sarabande lumineuse déambulant au rythme insensé d’une mélopée galactique inaudible pour les humains.

Seule l’une des toupies lumineuses, toujours vibrante d’un azur éblouissant, s’obstinait à frôler l’esquif, tournant autour avec l’obsédante régularité d’un métronome. La petite créature aux formes délicatement ouvragées ne dépassait pas les trois mètres de haut, sa base inférieure ayant un diamètre maximum d’un mètre quatre vingt.

Elle pivota brutalement, passant en un éclair du registre vertical à une position horizontale. Les humains éberlués purent alors discerner l’intérieur de la créature scintillante, le nouveau-né extragalactique dévoilant désormais le sommet du tronc de cône grossier constituant sa membrure externe.

La stupéfaction s’amplifia en cris, onomatopées et gloussements innombrables.

La vision qui s’offrait impudiquement ainsi affolait l’esprit, émiettant cent siècles de cartésianisme effréné. Cette petite créature spatiale, légèrement plus haute qu’un être humain et à l’apparence tendrement opaline dans sa pureté virginale, dévoilait en son centre un océan de couleur semblant se prolonger sur des milliers de kilomètres. Des fleuves de plombs fondus sinuaient entre de hautes montagnes déchiquetées dont les pics s’effrangeaient d’or et de soie outremer. Des stalagmites hérissonnaient des parois grège s’élevant à des hauteurs stratosphériques. Un océan d’un bleu intense marginé de sang tumultuait en grondant, élevant dans l’azur des vagues hautes comme dix tsunamis empilés en une architecture éphémère.

–           « Mon Dieu ! » s’étouffa Hildegard en se frottant convulsivement les yeux.

–           « C’est impossible ! C’est dément ! » surenchérit Héraclite dont le regard s’embrasa immédiatement.

–           « Mais… mais ! balbutia Astrée. Comment l’intérieur de cette jeune toupie sidérale peut-il contenir un univers entier ? C’est insensé ! »

–           « Et pourtant c’est la réalité, résuma sentencieusement Centipède en veloutant sa voix. Mais cela ne devrait point vous surprendre. Remémorez-vous l’existence des Alphaëons et leurs singularités spatiales »

–           « C’est exact, confirma le philosophe grec. Mais nous ne pouvions guère nous attendre à retrouver un processus de modification de l’espace si loin de la Galaxie et chez un être aussi jeune »

–           « Nous allons en savoir rapidement un peu plus » poursuivit Centipède.

–           « Et comment ? » s’inquiéta Vasco de Gama.

–           « Parce que cette créature vient nous voir »

–           « Comment cela ? »

–           « Elle prépare son entrée dans le vaisseau. Eloignez-vous de la paroi ! »

Ce qui suivit défia l’imagination.

Le fragile nourrisson s’enfla brusquement, gonflant sa structure harmonieusement étagée et délicatement spiralée, telle une méduse s’élevant vers la surface de l’eau. Puis elle reprit son volume habituel. Ce mouvement se poursuivit à trois reprises.

Brutalement, l’extérieur de son exosquelette s’illumina violemment de couleurs orangées, flamboyantes et crues, tranchant abruptement avec l’azur lapis-lazuli vernissant généralement son corps. Puis tout s’éteignit, laissant l’obscurité puiser son sombre venin dans les entrailles de l’espace.

La créature était désormais… à l’intérieur du Chrysaör !

Nimbée d’or et de gouttelettes de mercure en suspension, elle cahotait près du catafalque de lumière au sein duquel Amaranth reposait encore de temps en temps.

–           « Mais… mais… ânonna comiquement l’arcturien. Comment a-t-elle pu pénétrer dans le vaisseau ? Nous n’avons rien senti, rien entendu »

–           « Je ne sais pas comment elle a pu se glisser au sein du Chrysaör. Ce que je sais par contre c’est qu’elle essaie de communiquer avec nous » résuma Centipède.

–           « Je n’entends rien » sourcilla Astrée dont la lèvre inférieure semblait ne jamais pouvoir rejoindre la partie supérieure.

–           « Elle nous contacte télépathiquement » conclut la créature aux reflets mercuriels tout en se concentrant.

Le Daëdalus passa rapidement par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, gratifiant à l’occasion sa palette personnelle de tonalités caméléonesques inconnues jusque là.

De longues minutes de silence s’écoulèrent, féeriques et parfaitement incongrues en raison de l’étrangeté de la situation et de ses deux principaux protagonistes. Centipède demeurait aplati au sol entre les pattes massives de Taskhäärh, se contentant de faire doucement osciller ses voiles latéraux. La jeune créature intruse se balançait quant à elle doucement, révélant l’ingénieuse architecture de son squelette externe, sans pour autant dévoiler l’intérieur que l’on ne discernait que lorsqu’elle s’immobilisait à l’horizontal.

–           « Elle me parle, murmura Centipède. Ecoutez ! »

–           « LOIN — LOIN — — — LUMIERE — — OMBRE — »

–           « Que dit-elle ? souffla Ombellianne. Je ne comprends pas »

–           « Ecoutez ! intima le Daëdalus. Cet être luminescent ne construit pas des phrases, il égrène des images et des suites temporelles qui s’empilent dans son champ de conscience. Toute traduction littérale est impossible »

–           « Mais… »

–           « Laissez-vous bercer ! C’est tout »

Dociles, les occupants de la nef miroitante se turent, essayant de discipliner leur sens à l’indicible.

–           « UNIVERS — UNIVERS — LOIN — — — LUMIERE — — LOIN — — — LOIN —  »

Puis le silence retomba, pesant. Gangue de plomb courbant une échine trop fragile. Les yeux s’écarquillaient, rougissaient, se gonflant de plus en plus.

La lumière revint soudain, éblouissante, effroyable source d’incertitude anéantissant définitivement toute sensation d’équilibre.

La chute fut terrible.

Elle dura un milliardième de seconde.

Broyant les estomacs des occupants du Chrysaör, elle les retourna plus sûrement que trois plongées successives dans l’hyperespace.

Le radeau de mousse obscure aux contours indéfinis les protégeait provisoirement des abîmes s’ouvrant à leurs pieds. Tel un cocon ouaté fait d’ombres et de vapeurs fuligineuses, il maintenait une fragile stabilité sans leur épargner toutefois la vision effroyable s’offrant à eux. Le fleuve était très large, profond, tumultueux. L’eau, à moins que cela soit du méthane liquide, bouillonnait en révélant l’incroyable translucidité d’un gouffre vertigineux.

Frayant son chemin entre des parois si hautes qu’elles semblaient nier l’existence du ciel, l’océan rugissait en fracassant ses flancs liquéfiés contre les aspérités constellant la rive. Son insondable profondeur déroutait et affolait l’esprit. Le géant hypocondre semblait se prolonger au-delà même d’un système stellaire.

Des abysses fusaient sous le fragile radeau. Se dévoilant parfois avec candeur, ils s’entrouvraient langoureusement, révélant alors des failles clivées sur des centaines de kilomètres, d’immenses grottes béantes dont les ouvertures hideuses pouvaient engloutir tous les volcans martiens. Puis des ombres ondulèrent dans les tréfonds.

Très vite le défilé s’élargit et la chute s’amplifia. L’infernale rivière aux dimensions cosmiques ne coulait plus, elle tombait, se fracassant entre gouffres et montagnes aux crêts perlés d’or et d’argent. Tumultuant le long d’immenses falaises aux éblouissants reflets d’acier mêlé d’écume, elle rugissait et feulait sourdement.

Les rescapés du temps se serraient les uns contre les autres, essayant maladroitement de maintenir un équilibre précaire tout en se rassurant au contact tiède et humide de leurs paumes moites d’effroi. Claquemurés au fond de l’étrange esquif aux formes chantournées, Centipède et le crocodile géant n’en menaient pas large, eux non plus. Chutant dans l’abîme, bousculés, excoriés par les heurts incessants d’un fleuve en furie, ils se meurtrissaient dans les fracas d’un maelström géant.

Brutalement, le désarroi lié à une chute éperdue s’estompa. Le flot s’assagit passagèrement. Le paysage s’aplanit, miroir étonnant d’un calme retrouvé. Les eaux du fleuve étaient toujours opalescentes et lumineuses, la profondeur demeurait insondable, mais les rives s’ornaient désormais de végétaux géants à l’allure débonnaire et placide. Ces cathédrales ligneuses au port vaguement arbustif ne ressemblaient en rien aux arbres de Terra I, de Fomalhaut XXIX ou de Vindemiatrix VII. Confuses, dessinant d’obscures silhouettes tabulaires, elles s’étageaient régulièrement de part et d’autre du fleuve géant, sentinelles matoises, attentives et chuintantes. Leur complainte, parsemée de pleurs, de froissements de soie glauque et d’odieuses visions lucifériennes, déchirait l’esprit en extirpant des larmes acides noyant le regard sans que les humains puissent endiguer ce flot d’affliction ou sécher leurs yeux perpétuellement embués.

–           « Qu’est-ce qui nous arrive ? » geignit Christine de Pisan.

–           « Où sommes-nous ? » s’inquiéta Vasco de Gama, avant d’enfouir une nouvelle fois sa tête entre les mains.

Hagard, Amaranth ne pouvait répondre à ces interrogations légitimes. Ce lieu affolant et le caractère protéiforme de l’espace environnant ne pouvaient qu’accentuer l’effroi, générant ainsi de nouvelles questions muettes de toute réponse.

–           « On dirait… » commença Héraclite.

–           « Oui ? » murmura Sophonisba.

–           « On dirait un monde en gestation »

–           « J’ai le même sentiment, corrobora Centipède en glissant doucement vers l’arrière du radeau de mousse et de suie. Ce monde paraît être un embryon. Mais un embryon de quoi ? »

–           « Où est passée la jeune créature en forme de toupie ? » s’étonna Hildegard von Bingen en écarquillant comiquement les yeux dans toutes les directions.

Un écho étranglé lui répondit. Le Daëdalus reprit :

–           « Je crois savoir »

–           « Alors ? » s’irrita Hölderlin.

–           « Elle est autour de nous »

–           « Mais je ne la vois pas. Astrée et Vasco de Gama non plus. Et pourtant ils ont tous les deux une vue perçante »

–           « Je me suis mal exprimé reprit calmement Centipède. Nous sommes en elle »

–           « Quoi ! »

–           « Nous sommes en elle. Elle nous a absorbés en quelque sorte »

–           « Digérés donc ! s’offusqua Léonard de Vinci. Comme Jonas et sa baleine ? »

–           « C’est ridicule ! » asséna Attila en maugréant dans sa moustache hirsute.

–           « Cela semble ridicule, rectifia Centipède. N’oubliez pas que nous nous trouvons désormais très loin de la Galaxie et dans un environnement totalement inconnu de nos civilisations respectives »

–           « Surtout, reprit Amaranth, nous sommes au cœur d’un amas galactique composé de brasiers stellaires beaucoup plus anciens que les astres de notre Galaxie. La majorité des étoiles qui nous entourent ont une espérance de vie d’au moins quarante milliards d’années »

–           « Ici tout est archaïque, presque fossilisé, compléta Héraclite. Toute existence est le fruit d’un lent processus s’enracinant probablement au sein des premiers balbutiements de l’univers. Nous ne pouvons appréhender la vie ici avec nos outils de mesure. L’échelle est différente, infiniment plus longue. Plus ténébreuse aussi »

–           « C’est affolant, murmura Ombellianne de Rochefort en se décidant enfin à décrisper ses doigts du bras de son amant. Mais cette créature tournoyante et lumineuse semble si jeune, si fragile. Comment peut-elle contenir tout un univers en son flanc ? Comment peut-elle changer de taille et de forme en un instant ? Comment peut-elle nous absorber sans que nous en souffrions ? »

–           « Peut-être est-elle un univers à elle seule ? » esquissa Centipède, tout en redoutant la tempête mentale allumée par ses amis, probablement déstabilisés par l’absurdité du concept.

Mais il n’eut pas l’occasion de subir critiques ou questionnements divers, car le fleuve bascula à nouveau, plongeant plus loin encore dans l’abîme. La masse monstrueuse s’engouffra entre deux longues rives lagunaires parsemées de végétaux érigés. Plus hauts encore que les placides géants précédents, ils effarouchaient l’œil le plus aguerri par l’exubérance de leurs formes emmêlées, par l’enchevêtrement de lignes fractales brisées et de labyrinthes liquides forniquant avec un écheveau de lianes mortifères. La vue s’égarait de lacis en cannelures, de mosaïques en colonnes brisées.

Puis la sarabande des formes, des couleurs et des stridulations, s’interrompit.

L’oeil du cyclone. Le fragile espoir retrouvé avant que la boue et l’abjection ne recouvrent définitivement les corps meurtris et les âmes bouleversées par de trop longues épreuves.

–           « Que se passe-t-il encore ? » maugréa Astrée en enfouissant convulsivement sa tête le long de la poitrine de Céladon.

Personne ne lui répondit. La seconde de silence et de paix s’éternisa au-delà du raisonnable, chacun sentant confusément au creux de ses muscles, au sein de chaque nerf et surtout en son âme, que le temps ne battrait plus son obsédante mesure cyclique. Plus jamais.

Et le temps s’arrêta.

Suivant une lente respiration gemmée de brumes miroitantes, un geyser de lumière crue jaillit violemment, soulevant le radeau tramé d’écumes et l’entraînant à une vitesse hallucinante. L’extrême verticalité de l’ascension cloua l’ensemble des compagnons d’Heliaktor au fond de l’esquif. Au-dessus d’eux, le firmament envahit progressivement l’espace discernable, s’émerveillant de reflets parme et vineux qu’une aurore surréelle n’eut point désavouée. Plus les naufragés prenaient de la hauteur, plus le spectacle devenait grandiose. Le fleuve tumultueux, enserré jusque là dans des gorges abruptes ou méandrant entre des végétaux colossaux, avait disparu.

Disparu ? Peut-être pas, car le grondement sourd éructant sous le radeau et le propulsant dans l’espace ressemblait étrangement au souffle rauque du monstre.

Insensiblement, un monde fantasmagorique apparut au dessus des survivants de l’abîme. Semblable à l’intérieur d’une bulle de savon aux dimensions inouïes, un immense panorama s’alanguissait devant eux, dessinant ses courbes concaves à l’infini. Emaillant l’horizon de camaïeux verts et azurins, cet espace inédit grossissait à vue d’œil, emplissant rapidement l’ensemble du champ de vision des infortunés recroquevillés dans le radeau.

Tavelures grêles sur fond d’orages magnétiques, des continents apparaissaient, noyés encore dans un léger brouillard qu’un rapide aquilon bouscule amoureusement. Des archipels de lumière tumultuaient au loin, s’enlaçant sans vergogne au creux de golfes dont la courbe souple, lascive, présageait l’existence d’une vie grouillante.

L’univers nouveau ainsi créé se dilata encore. Encore. Encore…

Elargissant les limites d’un monde innocent qui ne demandait qu’à vivre, la bulle de savon s’orna insensiblement d’une translucidité inquiétante. Les contours devinrent fragiles. Se distendant au-delà du raisonnable, ils semblaient devoir englober des étoiles par milliers, formant ainsi une planète-univers dont l’aune pourrait être l’année-lumière et l’horizon une galaxie toute entière. Funeste ambition…

Aglathyde se mit à pleurer incoerciblement dans la soie obscure de ses cheveux. Un cri déchirant fusa de la partie inférieure de la frêle embarcation.

L’univers explosa.

Anéantis, l’arcturien et la troupe échevelée se retrouvèrent effondrés, totalement hébétés au fond du Chrysaör. Le vaisseau n’avait point changé. Les gyroscopes ronronnaient avec une déroutante opiniâtreté, le linceul de lumière trônait à l’arrière de l’une des trois alvéoles tréflées. La modeste étoile couleur paille brillait toujours d’un éclat discret, presque confuse de sa fragile et morose élégance.

La petite créature ayant traversé l’habitacle de survie comme si ses parois n’existaient pas, voletait doucement en s’éloignant dans le vide intersidéral. Insensible, semble-t-il, au cataclysme qui venait de broyer les humains, Taskhäärh et Centipède.

–           « Mon Dieu ! » balbutia Astrée en massant ses coudes scarifiés par la chute.

–           « Mais que s’est-il encore passé ? » fulmina Attila, dont le faciès crispé illustrait la colère mêlée d’angoisse.

–           « Centipède… commença le naufragé en passant la langue sur ses lèvres desséchées, peux-tu nous dire ce qui vient de s’accomplir ? J’avoue ne plus savoir si l’ensemble de mes neurones est encore en place, ou si le puzzle dément qui grouille depuis trop longtemps dans mon crâne ne s’est pas irrémédiablement brouillé »

Le Daëdalus ne répondit point immédiatement. Vautré au sol comme un tapis meurtri par un vent tempétueux, il gisait. Usuellement mordorées, ses belles couleurs l’avaient quitté, ne laissant qu’une carapace molle, grisâtre, d’assez sinistre apparence.

–           « Tu m’entends ? » s’inquiéta-t-il en constatant l’étonnante apathie de son vieux complice.

–           « Oui… murmura-t-il enfin. Quelle expérience ! »

–           « Elle fut pénible pour tout le monde » maugréa Piero di Cosimo en se frottant nerveusement les yeux que des nuages de sable irritaient.

–           « Elle le fut plus encore pour moi »

–           « Et pourquoi ? » s’étonna Sophonisba en rajustant sa longue robe de mousseline.

–           « Rappelez-vous que les Daëdalus vivent naturellement en cinq dimensions spatiales et non en trois comme vous »

–           « Et alors ? »

–           « La gestation d’univers à laquelle nous avons participé contre notre gré s’est déroulé en sept dimensions spatiales différentes ! Vous n’en avez expérimenté que trois ici. Et ce fut poignant au-delà de toute expression. Imaginez ce qu’il en fut pour moi »

–           « Gestation d’univers ? » sourcilla Imhotep.

–           « Oui. Je pèse mes mots »

–           « Comment peut-on créer un univers ? » reprit l’architecte égyptien en tordant sa bouche sous les effets de la douleur taraudant ses pupilles et de la stupéfaction.

–           « Les créatures que nous venons de voir sont les plus étranges qu’il me fut donné d’appréhender, continua Centipède. Elles créent sans cesse leur propre univers ! »

–           « C’est insensé ! s’offusqua la bergère en redressant douloureusement ses membres gourds tout en observant à la dérobée les deux brebis encore assommées. On vit dans l’univers. On peut y apporter des transformations significatives, mais on ne peut en créer un autre à sa convenance. Cela n’a aucun sens »

–           « En se heurtant, deux branes quinquadimensionnelles provoquèrent le big bang qui généra notre univers, poursuivit Héraclite. Emmïgraphys et toi-même nous l’avez fréquemment remémoré. Et maintenant tu évoques une créature qui procrée des univers à volonté. C’est absurde ! »

–           « Cela peut paraître insensé, mais c’est ainsi. Ces êtres sont vraiment étranges compléta le Daëdalus. Comme vous avez pu le constater, ils vivent en dehors de toute planète, voguant doucement dans l’espace au gré de vents inconnus »

–           « Et ils semblent se reproduire de la plus primitive façon possible… coupa Léonard de Vinci, les joues enflammées par l’excitation de la découverte. Ils naissent comme des spores expulsés ou comme les jeunes coraux des grandes barrières de corail qui dérivent en longs filaments à des périodes privilégiées ! »

–           « Mon ami, vous avez entièrement raison »

Le peintre de la Joconde se mordit la lèvre inférieure, sans parvenir à dissimuler sa satisfaction.

–           « Mais il y a quelque chose qui ne va pas » s’insurgea-t-il.

–           « Poursuivez » l’encouragea Centipède.

–           « Ce processus de génération est archaïque, totalement inadapté à toute évolution ultérieure. Il n’est donc pas très logique que des créatures aussi sophistiquées naissent ainsi »

–           « Qui vous a dit qu’elles étaient sophistiquées ? »

–           « Mais c’est toi ! » s’étrangla Léonard.

–           « Nullement. J’ai dit que ces êtres étaient étonnants et que leur capacité à engendrer leur propre univers était proprement stupéfiante. Mais je n’ai jamais prétendu qu’ils soient supérieurement intelligents, ni très évolués »

–           « Les deux choses vont de pair cependant ? » intervint Ombellianne.

–           « Pas vraiment. En fait, ces créatures sont très primitives et médiocrement intelligentes. Leur langage demeure embryonnaire et balbutiant. Mais elles sont douées d’un formidable potentiel »

–           « C’est à dire ? » sourcilla la courtisane vénitienne.

–           « Elles sont elles-même un germe d’univers. Dès leur plus tendre enfance, elle s’essaient sans repos à créer, développer, perfectionner ce don insensé »

–           « C’est fabuleux ! » s’émerveilla Astrée en caressant distraitement ses deux agnelles, désormais réconfortées.

–           « Fabuleux dans le sens propre du terme, car ces êtres de lumière tourbillonnante déambulent en fait à travers eux-mêmes ! »

–           « Des petites divinités sans cesse auto-régénérées et se substituant sans effort à leur propre environnement ? » synthétisa Imhotep.

–           « Ce qui leur permet de se déplacer en dehors de tout support matériel, puisqu’elles sont à la fois image et support, contenant et contenu » rebondit Hildegard von Bingen, dont les yeux s’embuèrent de larmes à l’évocation de ces êtres si primitifs et si complexes en même temps.

–           « Ils ont résolu tous les problèmes qui agitent les autres créatures de l’univers : se nourrir, se développer, aimer, désirer, survivre le plus longtemps possible et le mieux possible, poursuivit Héraclite. Ils sont la solution éternelle à tous leurs problèmes, ils se satisfont d’eux-mêmes, étant à la fois source de joie et sybarite, créateur de richesses et utilisateur de ces bienfaits. Ils se consomment eux-mêmes à travers des univers dont ils sont simultanément la mesure intangible et la frontière ultime »

–           « Ils sont cannibales d’eux-mêmes et heureux de l’être car leur être se confond sans répit avec leur univers, créant ainsi une parfaite eurythmie » admira Heliaktor en serrant plus fort encore la main de sa compagne.

–           « Harmonie et plénitude… psalmodia Sophonisba. Je ne regrette vraiment pas cette rencontre, même si le partage fugace de leur univers m’a retourné l’estomac pour plusieurs siècles »

Cette boutade interrompit provisoirement la discussion.

Chacun se mit en demeure d’observer attentivement ces univers en abîme, aiguisant son regard sur les quelques silhouettes qui continuaient à errer près du Chrysaör. Les jeunes créatures récemment expulsées s’étaient évaporées dans l’obscurité de l’espace environnant, chacune étant probablement avide d’expérimenter ses fantastiques capacités. Seuls quelques adultes oscillaient encore, gigantesques toupies délicatement enveloppées de guirlandes s’étrécissant vers le sommet. L’une d’entre elles s’approcha lentement, semblant voguer doucement sous la caresse d’un zéphyr invisible.

Lorsqu’elle ne fut plus qu’à une centaine de mètres du vaisseau de survie, l’immensité de sa taille se décupla alors, révélant la structure arachnéenne tissant cette subtile architecture légèrement resserrée en son centre. Un entrelacs de tresses indigo se rehaussant de fils d’or, alors que des gemmes olivâtres pulsaient le long d’une épine dorsale spiralée de la base vers le sommet.

Elle demeura verticale.

Chacun imagina avec une impatience voilée de terreur ce qu’il serait possible de discerner s’il lui prenait la fantaisie de quitter le port vertical pour se mettre à l’horizontal et dévoiler ainsi le sommet de son corps, gouffre sans fond au creux duquel mille galaxies pouvaient sans doute disparaître à jamais. Elle n’en fit rien, gardant son secret avec la tranquille assurance des géants qui ne redoutent nulle occurrence.

Quelques minutes plus tard, elle s’éloigna, cahotant doucement le long d’une route invisible.

Plusieurs semaines s’écoulèrent au sein de cet étrange système stellaire constellé de créatures déroutantes dont la nonchalance apaisée symbolisait l’atteinte d’un niveau de conscience affolant et magique. Au contact régulier de ces êtres de lumière, les survivants accompagnant encore Amaranth furent rapidement convaincus de la cruelle impuissance de l’intelligence et des paroxysmes hystériques qui l’accompagnent.

Cette certitude, sublimée par la fréquentation des gigantesques créatures diaprées d’ambre et de fulgurances, renforça leur désir d’aller au bout de l’éternité, comme le clamait Héraclite avec une pointe d’emphase.

Durant ce long périple interstellaire, ils croisèrent des milliers de créatures qu’ils appelèrent familièrement Toupies, avant de leur donner un nom plus précis : Spirobranchus, en hommage aux petites créatures terrestres qui leur ressemblaient tant.

Beaucoup s’approchèrent du Chrysaör, parfois très près, frôlant la coque d’oxylium avec une volupté non feinte. Trois d’entre elles, une jeune et deux adultes, les engloutirent, réitérant ainsi l’horrible et délicieuse expérience d’une confrontation brutale avec un univers heptadimensionnel. Puis chaque créature vogua au sein d’elle-même, étant à la fois territoire d’investigation et explorateur de ses propres limites.

L’une, la plus jeune, tissa un monde de soie et de fragrances. Evoquant tour à tour Shéhérazade, puis Sémiramis et mille palais orientaux aux architectures insensées, elle sublima les plus voluptueux plaisirs, exacerbant totalement les perceptions connues. Dévoilant immodestement des horizons affolant les sens, elle révéla l’immense palette des plaisirs offerts aux êtres libérés de toute contingence matérielle. Lorsque le corps et l’esprit ne font plus qu’un. Lorsque les portes de la Création s’ouvrent enfin devant soi, exsudant les sucs pervers d’une catharsis cosmique sans cesse renouvelée.

Ils ressortirent brisés et repus.

La seconde était un univers d’abstractions. Des rivières d’équations et de sentences dévalaient des falaises fractales aux contours insensés et dont l’avidité glaciale dévorait des anges rougeoyants. Des voiles enrubannés les encerclaient parfois, se fragmentant immédiatement en constructions baroques s’érigeant à l’infini et s’achevant au-delà même du néant. D’étranges labyrinthes à cinq ou sept dimensions les encerclaient de leurs spirales guirlandées d’éclats roux, déchiquetant l’espace en recoins échelonnés de l’invisible au visible. Des escaliers s’enchevêtraient en un monstrueux accouplement, révélant des paysages abscons à mi-chemin entre les affolantes structures d’Escher et les lacis sulfureux des résidences palatiales ruiniformes d’Absalon XI.

Ils ressortirent hallucinés.

La dernière, quelques jours avant leur sortie du système solaire au creux duquel brillait tristement l’astre pâle et souffreteux, fut la plus étrange. Dès leur absorption à l’intérieur du Spirobranchus, ils furent transformés en blocs de glace abricotine et violine dont les formes caméléonesques défiaient l’imagination. Globules coupés par le milieu, longs filaments dégingandés oscillant sous un aquilon enragé, ocelles miroitants se cristallisant sur le dos d’un animal gigantesque, carapaces bleuies par le froid et miroitantes de lumière, geysers de glace comiquement figés en une longue exhalaison, chaque volume était une féerie pétrifiée. Perclus chacun dans une posture rigidifiée pour l’éternité, ils pouvaient discerner leurs amis, contempler le paysage et communiquer télépathiquement entre eux.

Mais ils ne pouvaient se mouvoir.

Lapidifiés, ils devaient endurer la lente décomposition de leurs pensées chirurgicalement dilacérées par le chaos des visions qui s’entrechoquaient, les livrant aux fantaisies baroques d’un démiurge dément opérant à la hache.

L’arcturien conserva essentiellement en mémoire un univers de glace à deux dimensions seulement. Sinistre rectangle de marbre pur dont la blancheur, crûment miroitée par mille éclats de givre, l’éblouissait tout en lui dévorant les yeux à chaque cillement.

Progressivement, l’horizon s’alanguissant devant lui devint placide. Placide et fou.

L’effrayante horizontalité qui l’écrasait au sol se mit à osciller par endroit, se gonflant tel un tapis rudoyé par le vent avant de s’immobiliser à nouveau, obligeant les étoiles et les cieux cristallins à pulser doucement le long d’une ligne d’horizon qui clôturait étroitement l’espace. Commencement et fin, tout se réunissait, se concluait, s’absorbait, au foyer de cette ligne éblouissante qui dansait devant ses yeux, lui broyant le crâne, explosant ses globes oculaires meurtris par des hordes d’hippogriffes vociférant.

Brutalement, les deux extrémités de cette ligne d’horizon tyrannique s’infléchirent vers le haut, comme tiraillées par les doigts longilignes d’un géant irascible. Se soulevant encore, elles engloutirent Heliaktor et l’espace environnant en un maelström inaudible.

Ecrasé sous l’étau d’une incommensurable pression, il sentit brièvement ses os craquer, se briser en éclats plus fins qu’une lame d’ilmium pur. Refluant en vagues douloureuses le long des vaisseaux comprimés, son sang s’échappa enfin d’un corps trop violenté, jaillissant en jets saccadés par les pores de la peau, la bouche ou les yeux.

Lorsque ses nerfs eux-mêmes s’anéantirent en une épaisseur inférieure à celle d’un électron, il s’évada enfin d’un corps innommable afin de voleter longuement de creux en vallons.

Voile enfin déparé de toute corporéité, il sentait avec délectation les exhalaisons parfumées remplaçant désormais une matérialité défunte. Exacerbant sa vie dans un chaos inédit de formes improbables et de senteurs inouïes, il fabulait sans entraves. Avec la grâce nymphale d’une petite plume tendrement prélevée sur le ventre d’un oisillon, il se faufila entre les strates multiples d’un univers soigneusement clivé en amoncellements successifs.

Lorsque le laminoir de l’univers à deux dimensions l’eut enfin vomi, il fut rejeté le long d’une grève aux eaux molles et marbrées d’irisations. Débarrassé de sa gangue de glace, il se leva et fit précautionneusement fonctionner ses muscles meurtris. Se frottant les yeux il vit alors, le long du lagon aux subtils coloris roux et turquoise, les corps toujours inertes de ses amis.

Amoncelés en un hideux désordre telles des épaves échouées après une tempête meurtrière, ils gisaient, désarticulés par les effets impérieux du tourbillon plat les ayant longuement broyés, puis rejetés pantelants sur la rive.

Il se précipita vers Ombellianne de Rochefort, la serrant violemment dans ses bras, l’embrassant goulûment tout en dégageant son fin visage des paquets de cheveux l’engluant. Elle frémit, gémit un peu. Puis toussota en s’étranglant à moitié.

–           « Tu es vivante ! Dieu soit loué »

–           « Je suis encore vivante… balbutia-t-elle, en mâchonnant encore quelques boucles éparses s’insinuant entre ses lèvres. Mais j’ai vraiment imaginé disparaître à jamais lorsqu’une main gigantesque m’a écrasé comme une simple crêpe »

–           « Moi aussi ! » ronchonna Piero di Cosimo.

Chacun pansa ses plaies.

Puis ils réalisèrent rapidement que le désagrément réel était beaucoup plus psychique que physique. Etrangement, la douleur corporelle disparut totalement en quelques minutes. Seuls demeuraient une colossale frustration et le dégoût de soi-même. Ces lésions mentales s’évaporèrent rapidement elles aussi, car le paysage se transforma rapidement.

Le ciel s’éleva de plus en plus au-dessus d’eux, révélant progressivement des altitudes insensées au creux desquelles des univers entiers s’enchâssaient. Sur la droite, une immense cavité susceptible d’accueillir un système stellaire entier se caparaçonnait d’aiguilles de glace rutilantes, formant un hérisson enivré des feux du crépuscule ou un oursin géant retourné comme un gant. Au milieu de ces colossales javelines de givre ouatées d’azur, méandraient d’innombrables rivières aux flots enchanteurs évoquant innocemment les fleuves décrits par Honoré d’Urfé. Astrée et Céladon ne s’y trompèrent point.

Leurs yeux s’embuèrent immédiatement de larmes tièdes en reconnaissant une parcelle de leur Forez natal, chimère tapie au creux de ces vallées bleuies qu’auréolaient des cimes enneigées ciselant l’horizon.

Juste au-dessus d’eux, un univers spongieux, corallien, s’irisait de tonalités déclinant toute la palette des verts, mêlant la fraîcheur d’une herbe nouvelle, encore emperlée de rosée, à l’attrait vénéneux d’un tissu chatoyant et longuement froissé par plusieurs siècles d’étreintes impudiques.

Architecturant l’air de leurs formes inversées, des constructions madréporiques oscillaient sans raison, singeant un sémaphore fou tentant de délivrer un message que personne ne pourrait analyser.

Plus loin encore sur la gauche, un immense puits de lumière se prolongeait au-delà de tout regard humain. Etincelant et parcheminé à la fois, il se ramifiait en millions d’espaces conduisant eux-mêmes à d’autres gouffres émaillés et nacrés et qui se divisaient à leur tour, débouchant eux aussi sur d’autres carrefours au nadir desquels des puits sans fond se raccordaient encore.

À l’infini…

Observant en frissonnant ce firmament sans fin, Héraclite reprit :

–           « C’est la plus effroyable concrétisation que l’on puisse imaginer d’une vraie mise en abyme »

–           « C’est aussi la meilleure matérialisation possible des passerelles et tunnels qui relient les univers entre eux » lança Centipède.

–           « Cela me fait peur » poursuivit comiquement Taskhäärh en serrant un peu plus fort le Daëdalus entre ses larges pattes griffues.

–           « Moi pas ! coupa l’arcturien. Après toutes ces expériences, après l’horrible écrasement subi dans un espace à deux dimensions, discerner fugacement des portes vers d’autres univers me remplit de joie »

–           « Quelle fantastique espérance ! » surenchérirent de concert Astrée et Christine de Pisan.

Après un sourire complice échangé avec la compagne d’Héraclite, la bergère poursuivit :

–           La multiplicité des mondes se déclinant en mode horizontal, avec un infini s’estompant aussi loin que le regard puisse porter, mais aussi en mode vertical, avec des grouillements abyssaux se prolongeant sans cesse, éreintant l’oeil et l’esprit sous l’accumulation baroque d’espaces se recoupant en une étrange étreinte, c’est… »

–           « Affolant ! coupa abruptement Piero di Cosimo. Pardonnez mon manque d’enthousiasme, mais ces mondes se chevauchant, ainsi que le brouhaha incessant de ces dimensions multiples, me fascinent tout comme vous. Mais ils me troublent »

–           « Pourquoi ? » s’enquit Ombellianne de Rochefort en fronçant les sourcils.

–           « C’est le cauchemar du peintre ! » gémit-il.

–           « Je comprends ce sentiment, reprit Imhotep. En temps qu’architecte, ces désordres géométriques et ces aberrations intellectuelles me perturbent tout autant. Mais, mon cher Piero, il faut définitivement admettre que nous sommes hors de la Terre, hors du système solaire, hors de notre Galaxie, et sur le chemin de découvertes inimaginables. Ces mondes infinis qui se chevauchent, muent, puis se détruisent et renaissent sans cesse, éciment notre conscience. Ils amoindrissent nos capacités à analyser, à raisonner. Mais n’est-ce pas mieux ainsi ? Jouissons des émerveillements présents et futurs »

Cette intervention mit provisoirement fin à la sarabande effrénée des questionnements sans réponse.

Symétriquement à la prolifération des mondes-mosaïques au sein de l’immense sphère alvéolée les surplombant encore, les membres du groupe virent leurs corps se modifier insensiblement. Après l’écrasement du laminoir d’un terrifiant espace à deux dimensions, ils commencèrent à se boursoufler. Leur silhouette demeurait identique, mais l’espace autour de leurs membres, de leurs vêtements ou de leur carapace, se dilatait lentement.

Nuée édénique ou substance séraphique ? Nul ne le savait, mais ils s’auréolaient tous d’une brume lumineuse épousant étroitement les contours de leurs corps. Au bout de quelques minutes, ces brouillards intimes commencèrent à se rejoindre, à se toucher. Puis à s’interpénétrer. Bien que cette situation ne soit ni douloureuse, ni dangereuse, ils préférèrent s’éloigner lentement les uns des autres afin de privilégier des aires de dégagement en évitant tout contact entre ces structures célestes dont l’origine était inconnue.

Le spectacle était dantesque.

Les corps humains prirent rapidement le volume d’un éléphant, puis celui d’une baleine bleue. Les silhouettes, monstrueuses en volume, ne l’étaient point en terme esthétique car l’enveloppe gazeuse reproduisait à l’identique le modèle enfoui au centre de ce gigantesque cocon immatériel. Il en était de même pour Centipède et Taskhäärh, dont l’imposante corpulence naturelle le transformait en un crocodile de plus de cent cinquante mètres de long.

Au-dessus d’eux, de nouveaux univers s’ouvraient encore, prolongeant une éclosion démente et ramenant les spectateurs médusés aux âges étranges d’avant le big bang. En ces lieux mystérieusement clos où l’esprit humain n’a jamais pu ouvrir la moindre porte, entrapercevoir la moindre lumière.

Lorsque les nuées les enveloppant eurent gonflé au-delà du raisonnable, des foisonnements de couleurs sillonnèrent la fragile enveloppe. Un intense rayonnement se mit à bourdonner, à feuler, tandis que les kaléidoscopes de couleurs mêlées s’affolaient, noyant les invités du Spirobranchus géant au creux d’un vortex exubérant. Ces girations lumineuses se poursuivirent quelques instants.

Violemment, une lumière blanche explosa autour d’eux. Puis en eux.

Rompus par les effluves capiteux d’un plaisir simultanément esthétique, sensuel et purement psychique, ils s’affalèrent au sol, vautrés sur le dos. Des nébulosités grège et diaphanes finissaient de s’exsuder de leurs corps encore tremblant d’une joie ineffable. Très loin au-dessus d’eux, d’autres univers naissaient continûment, inextricable chaîne de vies en gestation.

La voûte s’enfla encore. Le processus semblant n’avoir aucune fin, les parois externes devinrent doucement opalescentes.

À cet instant précis le Spirobranchus les expulsa, quittant ainsi le Chrysaör encore nimbé d’innombrables particules de glace.

–           « Je n’oublierai jamais ce moment » murmura Ombellianne de Rochefort en se frottant les yeux.

–           « Comment oublier ? articula difficilement le philosophe éphésien. Le cortège inouï de ces sensations empreintes de grandeur et totalement en dehors de la sphère humaine… »

–           « Empreintes de compassion » coupa Hildegard von Bingen dont les joues ruisselaient de larmes.

–           « De compassion effectivement, poursuivit Héraclite. Ce voyage initiatique au centre de cette créature de lumière est une expérience exceptionnelle. Pour le partage frugal de moments aussi prodigieux, nous devons tous ici remercier Amaranth »

Ce dernier rougit un peu, confirmant que ce périple inoubliable au cœur de la créature recomposant sans cesse son propre univers, lui donnerait encore plus de hargne, de volonté pour l’avenir.

–           « À l’orée d’un voyage de dix millions d’années, ce coup de pouce était salutaire » conclut-il.

Durant quelques semaines ils croisèrent encore le sillage de plusieurs Spirobranchus solitaires.

Puis la nuit revint.

Et lorsque le pâle lumignon de l’étoile centrale s’estompa, ils reprirent le long chemin d’éternité. Chacun conservant au creux de son âme l’insolite connivence partagée pendant quelques instants avec ces colossales créatures à l’innocence magique.

Nul n’oublierait cet inoubliable instant de pur cristal pendant lequel ils virent s’entrouvrir les Portes de la Création.

Derrière eux, l’ovale titanesque de notre Galaxie tournoyait placidement, occultant encore la moitié du ciel, alors que le brouillard oblong de la galaxie d’Andromède grandissait lentement, imperceptiblement.

Odyssée dans un univers à cinq dimensions…

 

Comme vous le savez, l’une des deux grandes théories de la gravitation : la Théorie des cordes (ou plutôt « les » théories des cordes car on estime que leur nombre est incalculable : 10500 !!!) implique un univers en onze dimensions, soit dix dimensions spatiales et une dimension temporelle.

Dans notre premier roman : « Cathédrales de brume », nous avons largement utilisé le potentiel onirique de cette théorie.

Vous trouverez ci-dessous un chapitre du roman (le chapitre 12) qui illustre assez bien les « métamorphoses « liées à un environnement de ce type.

Ce chapitre se situe dans la première partie de l’odyssée car le naufrage a eut lieu il y a « seulement » un demi-millénaire. Rappelons, pour mémoire, que l’intrigue se prolonge sur trois millions d’années…

Le héros principal : Amaranth Heliaktor (le naufragé unique d’une catastrophe stellaire qui fit 35 000 victimes) est à cet instant accompagné de la sentinelle électronique qui l’accompagnera pendant 5 000 ans : Emmïgraphys et de deux « Cathédrales de brume », c’est-à-dire des émanations virtuelles qui prennent forme grâce au « musc du rêve » : le philosophe présocratique Héraclite d’Ephèse et une courtisane minoenne.

Ils viennent de découvrir le monde des Daëdalus. Ces créatures extrêmement plates et extrêmement pacifiques vivent dans un univers à cinq dimensions spatiales et deux dimensions temporelles.

Lors de ce chapitre qui commence par trois songes oniriques, ils découvriront très fugacement le « trouble » occasionné par la confrontation avec cet étrange univers cavernicole…

« Année après année je perdis les autres couleurs et leurs beautés, et maintenant me reste seul, avec la clarté vague et l’ombre inextricable, l’or du commencement »

Jorge Luis Borges – L’or des tigres

 3035 – 264eme jour

L’aube du premier jour est embrumée de soies arachnéennes oscillant sous la caresse d’un vent inconnu. La lumière se tisse délicatement en volutes semées de perles cristallines. L’atmosphère s’ébroue, vibre sans cesse, puis se pare de tendres tonalités incarnates. Répondant en écho dissonant, l’infinie palette des verts se mêle inextricablement.

L’évanescence s’anime soudain. Des masses olivâtres jonchent l’espace. Gemmes prodigieuses s’irisant de facettes réfléchissant chaque photon égaré, ces vortex de lumière pulsent doucement tel un cœur minéral. L’horizon se courbe étrangement. Incurvant délicatement ses bords, il esquisse une silhouette marmoréenne, sourire géant vu de l’intérieur du gosier d’un saurien s’éveillant aux prémices de l’aurore.

Brutalité apaisée, la sauvagerie se dissipe, simulant alors une tendresse océane s’ornant de l’écume souple et divine de la sensualité et de l’amour sans fin. Jaspures insensées voletant au gré d’un zéphyr triomphant, les cieux s’organisent peu à peu.

L’être qui ondule vers un nadir invisible n’a pas de tête. Presque pas de corps non plus, juste une bruine ténue, une ombre hallucinée se spiralant à l’infini. L’aiguail d’un matin givré de mille arborescences pétrifie son ombre. Puis l’ombre de son ombre.

Un fantôme peut-être ? Qu’importe. Il avance sereinement, portant ancré en lui les stigmates douloureux d’un plaisir indicible. Il frissonne, se redresse lentement.

L’astre du jour accélère sa course et s’échine à rattraper une nuit trop prompte. La créature acéphale se repaît d’un firmament dévoilant des archipels de lumière que les ors du crépuscule naissant ne parviennent point à endiguer encore. La clarté fuit. Puis elle revient, décuplant un périple inusité afin de défier l’être alangui et doucement lové.

L’éther perd insensiblement sa limpidité. Il s’enroule sur lui-même, se nacrant des reflets d’un abîme impalpable. La couleur est miel. La structure de l’air aussi, souple, pénétrante. Le goût est melliflu, l’être impalpable s’en délecte, se l’approprie, se dissout en lui.

Il acquiert la sapidité du miel. Il est miel.

Ses sensations se troublent alors.

La profondeur des cieux se dissocie en une double vasque opaline inversée, singulière offrande révélant ainsi des gouffres insondables, des pics vertigineux, des lacs d’airain parsemés d’ocelles violettes vibrant à l’unisson.

Diaphanes désormais, les deux conques géantes s’interpellent, bruissent, hurlent. Puis se taisent. Sirènes de l’infini aux mélodies complexes, courtisanes aux yeux pers dont les rhapsodes concélèbrent les charmes depuis des millénaires, anges du néant invitant à l’ultime voyage, elles implorent un geste, un mot, une caresse.

Ou un livide oubli.

L’être sent brutalement monter en lui une colonne de lave explosive. Un monolithe igné ronge son cœur, émulsionne son sang, explose la structure intime de ses os. ‘L’éruption lacère ses sens, exacerbe ses nerfs, fustige sa volonté, marbrant sa peau d’une lueur fantomatique.

Il respire, puis meurt d’un plaisir inouï, monstrueux, dévastateur.

Son corps s’étiole et retombe doucement, telle une feuille harcelée par les froidures automnales. Son esprit est en paix. Il observe l’horizon désormais brisé en cent endroits. La paix le recouvre, tissant ses rets d’or et de lumière. Il repose. 

Le Temps s’est arrêté.

L’éternité s’ouvre en lui, rehaussant ses espoirs défunts, stimulant ses désirs. Mais il n’en a plus besoin. Il est au-delà des émotions, des pulsions, de la vie. Il glisse désormais au sein d’un environnement parfaitement plat, clivé, apaisé.

Feuille parmi les feuilles, il sent croître en lui des extensions infinies zodiaquant ses contours, le transformant en hérisson fractal. Telle une plante désertique privée de ses racines, il roule sur lui-même, se dilate. Il respire.

Et meurt encore…

Dardé de longs piquants aux couleurs acidulées, il courbe ses arêtes acérées. Il ploie, s’abreuve bruyamment aux sources de l’amour, ploie encore et s’enroule à nouveau. En une patiente glissade vers d’infinies vallées verdoyantes et moussues, il dodeline doucement. Au loin, tintinnabulent quelques millions de cloches qui l’appellent, cohortes métalliques aux accents inconnus.

–           « J’arrive… » murmure-t-il avant de mourir, et de renaître encore.

 

…..

 

L’espace encerclant étroitement l’autre silhouette est totalement incongru, la créature aussi.

Une coquille presque totalement translucide.

L’esprit qui l’anime peut à la fois regarder vers l’extérieur, mais aussi vers lui-même. Il voit palpiter en lui des organes étranges à la structure convolutée, fragmentée, aux coloris tissés de rose et de gris se mêlant en une étreinte chaotique. L’espace l’encapuchonnant est lui aussi une coquille. Conque opaline s’étendant sur des milliards de kilomètres, grande comme un système stellaire, elle se prolonge aussi loin que les sens permettent de discerner le réel du néant.

Qu’est-ce donc que le réel ici ?

Brutalement éveillé, l’être se pose cette question insolite. Mais l’environnement qui le porte, l’écrase et le nourrit, ne peut apporter nulle réponse crédible.

Pourquoi cette coque géante au sein de laquelle se mirent des milliards d’autres, toutes semblables ?

Toutes semblables ?

Non. Elles ne sont pas toutes similaires.

 D’infimes différences apparaissent à l’observation. L’éblouissante juxtaposition des différences crée le trouble. L’examen de ces océans de carapaces nacrées s’emmantelant en orbes concentriques jusqu’au firmament ne provoque pas le vertige. Cette observation hallucinée conduit à une mise en abîme spiralée juxtaposant l’effroi d’une vision effervescente à la courbure d’une spatialisation démente.

L’être tente de bouger. Les parois de sa coquille vibrent doucement, s’insinuant au sein de cet univers cristallin et glacé. Fortement bleutée, l’atmosphère se pare progressivement de flammèches colombine et cinabre.

Sarabande incessante, elle texture ses fils graciles sans animer réellement l’horizon qui s’arc-boute sauvagement sur la créature tapie. Armure de lumière rigidifiée par la terreur, celle-ci inhale insensiblement de longs aiguillons de givre. Elle regarde en soi, puis scrute attentivement la horde des structures l’encerclant. Concentrée, elle focalise cette énergie vers des instants heureux : des champs de fleurs ployant sous l’ardente caresse d’un astre cramoisi, un regard échangé avec une compagne énamourée, un lac de cristal paré de vaguelettes pétrifiées, un flot d’icebergs miroitant sous une lumière azurale.

Fusionnent alors deux mots échangés, quelques sentiments partagés, une émotion torrentielle. La conque luminescente aspire profondément les effluves soufrés embuant progressivement chaque cellule de son corps jaspé d’or et de lumière. Puis elle meurt.

Elle renaît aussitôt et peut à cet instant déployer enfin l’ensemble de sa structure spiralée.

Le sentiment oppressant d’un univers de glace figée n’est plus qu’un lointain souvenir. L’espace est en paix. De majestueuses collines mamelonnées s’estompent à l’horizon, illuminées par les rayons obliques d’un soleil orangé au disque monstrueusement dilaté.

Le crépuscule est ambre, le crépuscule est braise.

Silhouettes altières, les ombres de plusieurs ptérodactyles déchirent le cercle grenat d’un astre agonisant. Les oiseaux monstrueux aux ailes membraneuses volètent doucement et tournent élégamment autour de la créature. Progressivement leurs cercles se resserrent, l’espace aussi. La nuit tombe encore. Le crépuscule a déjà été suivi de dix aubes furtives. Mais la nuit revient.

Les ptérodactyles tournent. Ils s’approchent.

Lorsque le plus grand de la meute n’est plus qu’à une dizaine de mètres de la coquille, ouverte et dévoilant impudiquement ainsi la structure cristée de ses organes vitaux, il contourne encore une fois la monstrueuse silhouette.

Puis il jaillit.

Déchirant de son long bec osseux la mince paroi vibrante de lumière, il en extrait un peu de sève. Le liquide sacré coule et inonde l’être effondré au sol. La lumière revient. Le crépuscule s’inverse alors. L’animal géant se pose délicatement à côté de lui. Repliant ses ailes membraneuses, il tend son cou gigantesque pour un baiser.

Un baiser innommable et glorieux avant l’union insensée de deux âmes guéries.

La créature respire amplement, voluptueusement. Et meurt encore.

Dépouillée de son ancienne carapace dont il ne reste plus que la triste exuvie douloureusement froissée, la créature renaît. Elle est duale. L’esprit du grand oiseau archaïque s’insinue en elle, calmement, avec la tendresse de deux amants s’inondant de quelques larmes d’éternité partagée.

L’air est d’une pureté absolue. De longues balafres rougeoyantes déchirent l’horizon crénelé de satellites virevoltant autour d’une planète géante.

Oeil colossal scrutant l’être bicéphale, l’astre se dilate un peu plus encore.

Puis il soupire : « viens ! ». Dociles, les deux êtres désormais étroitement emmêlés se relèvent. Ils virevoltent un instant, révélant aux civilisations passées et futures l’incroyable spectacle d’une longue carapace semi translucide s’envolant vers l’azur, emportée par de puissantes ailes reliées par une membrane brune et gris lavandé.

La planète sourit, l’être hybride aussi. Un long voyage commence. Une errance d’une seconde s’éternisant bien au-delà du raisonnable. L’incroyable sensation de vivre dix vies en une seule étreint alors la créature qui, brûlant ses ailes aux ardeurs des balafres enfiévrées, tombe lentement vers le sol.

Elle soupire. Et meurt enfin.

Ressuscitant immédiatement, elle rampe vers un bosquet d’arbustes transparents élégamment ployés vers le sol, tels des papyrus gorgés d’eau féconde. Perdant ses ailes devenues inutiles, elle se métamorphose encore, puis se pénètre de l’humus fertile. Argenté, immaculé, le terreau divin texture sa vie en l’emportant vers une destination lointaine où des cavernes ombreuses et quiètes parsèment un firmament infiniment joyeux.

Plaisir de l’humidité perlant les rives d’estuaires interdits, absorbant ainsi les derniers vestiges d’une carapace fossilisée.

Plaisir.

Plaisir encore…

 

…..

 

L’âme humaine est une gigantesque croix.

Massive, haute d’une cinquantaine de mètres, large de trente, elle trône. Façonnée dans la matière lisse, dure et sombre, de l’une des plus ancienne roche terrestre, elle dresse son arrogante silhouette écartelée. Ciselée de longues arabesques elle sublime l’élégance de sa forme en s’adossant à un pic orné d’entrelacs végétaux. L’ensemble concilie la grâce naturelle d’une forme épurée à l’extravagance baroque d’un monde mi-humain, mi-végétal.

Positionnée au sommet d’une montagne pentue aux flancs émaciés, elle observe la caravane sinuant en contrebas.

Déambulant au rythme lent d’un cloporte éreinté par les embûches successives de sa trop longue existence, le long cortège n’en finit pas. Il est impossible d’en jauger précisément la longueur, car personne ne sait à quelle période a commencé ce défilé ensommeillé. Ni quand il s’achèvera.

Ni s’il s’achèvera un jour.

Toutes les créatures de la Création mosaïquent cette cohorte. Et même un peu plus.

La croix de diorite pure scrute l’ensemble. Du fond de la vallée s’exhale un tonnerre immobile. L’inconcevable babillage né de plusieurs millions de races focalisant leur destin vers des contrées ignorées monte doucement, régulièrement, vibrant sans cesse. Ce chant étrange aux tonalités parfois harmonieuses, souvent cacophoniques, toujours animées d’une vie protéiforme, mime un singulier oratorio cosmique.

Chant colossal aux accents ténébreux dans sa grandiloquence, cet hymne cristallise toutes les confusions, toutes les amnésies.

Le vallon en contrebas se comble tour à tour d’angoisse, puis d’une tranquille sérénité retrouvée qu’outrepasse l’azur constellé de nuages plumassés dessinant leur insouciance. La lenteur calculée de l’errance générale dissimule des agitations locales, parfois extrêmes, parfois purement ludiques. Mais la horde baroque et turbulente continue à sinuer au creux d’une faille gigantesque.

Partant de nulle part, elle poursuit sa course au-delà des cimes effrangées de glaces qui cerclent l’arène bouillonnante où les espèces galactiques défilent, sans but apparent. Interloquée par cette réunion carnavalesque, la croix observe attentivement les participants à cette cérémonie perdurant immuablement ainsi depuis des millions de siècles.

Un pâle soleil dilate sans succès son œil morose et blême. Exubérante, une folle sphère coralline l’accompagne. Orbitant précipitamment autour de l’astre tutélaire, elle opiniâtre sa course. Plus petite que la première, cette innocente étoile brille infiniment plus. Dardant ses rayons vermillonnés par la puissance des réactions nucléaires exacerbant sa surface, elle diapre les plaines environnantes d’une atmosphère d’apocalypse. Deux lumières se juxtaposent ainsi, deux ombres aussi.

Deux ombres terribles. 

La fusion contre-nature de deux sources de lumière disposées tangentiellement à la caravane provoque le titanesque combat de deux armées monstrueusement déformées, luttant sans cesse avant de s’éloigner, puis se rejoignant encore en une étreinte aux ellipses illogiques. Captives aux pieds de chaque créature, les deux ombres ennemies ploient régulièrement, étirant parfois un grêle appendice que l’atmosphère ténue lacère aussitôt avant de recommencer, encore et encore.

Brutalement, les échos dissonants et lointains de la meute assoupie s’estompent.

Dans la gloire hallucinée des deux astres munificents, une longue stridulation s’élève. Faible au début, elle prend rapidement une ampleur déchirante. Un cri d’amour. C’est un cri d’amour ! Nullement les halètements rauques d’un amour physique obnubilant les sens tout en claquemurant provisoirement les âmes.

Non. S’élevant en colonnes de lumières translucides, en geysers de sons cristallins, une véritable musique des sphères envahit désormais par vagues une ancienne cathédrale de haine.

Le combat est inégal.

Flamboyant, l’amour séraphique n’éprouve aucune difficulté à vaincre la torpeur, la peur, l’indifférence. Surgissant du creux de toutes les vallées, se répondant en échos multiples à travers les crêts déchiquetés, s’exsudant continûment de tous les êtres constituant la troupe bariolée, l’amour enveloppe chaque atome circonscrit à l’intérieur de l’horizon. Des fragrances inconnues déferlent. Engloutissant les vallées, elles montent enfin jusqu’à la croix perchée en position sommitale. Liens arachnéens et sensuels, ces senteurs apaisantes renforcent encore l’invraisemblable force de l’amour, si pur, si glorieusement déparé de ses habituels attributs infamants, qu’il n’en exprime plus alors que la forme virginale, la quintessence.

Ornée de jaspures sombres, la croix gigantesque fait alors quelque chose d’insensé.

Vibrant sourdement, elle se décroche brutalement de son assise rocheuse. Telle une javeline de diorite propulsée par une déité antique, elle plonge vers le sol, illustrant crûment ainsi le spectacle dément d’un lourd gibet à la rigidité compassée se propulsant vers la terre nourricière.

Evitant l’essaim bruissant encore de mille exhalaisons amoureuses, la sculpture écartelée s’enfouit dans un sol spongieux gorgé d’un liquide ressemblant à s’y méprendre à un lac d’or en fusion.

Mais la lagune paludéenne dans laquelle elle s’effondre n’est point constituée d’or liquide, ni d’électrum ou de tout autre métal précieux et liquéfié. Non, elle vient de s’immerger dans un océan glauque et miroitant à la fois, tiède et glacé, superbe et honteux, objet de fierté et source d’opprobre.

Elle s’immisce dans un marécage fangeux : l’âme d’un homme.

N’importe lequel, ceci est sans importance, car lorsqu’on sauve un homme on sauve toute l’humanité.

Dès que les flots évanescents l’eurent totalement engloutie, elle rougeoya doucement. Passant tranquillement par toutes les tonalités de rouge et de rose, du carmin le plus foncé au fushia, elle explosa. Un milliard de fragments de diorite pure s’éparpillèrent tumultueusement dans toutes les directions. Aiguisée comme une courte lame de silex longuement polie par un habile artisan, chacune de ces aiguilles transperça le cœur d’un démon sommeillant.

Guerrière et rédemptrice, chaque flèche accomplit son horrible besogne.

Déchiquetant les lambeaux ensanglantés d’un passé corrompu, haineux, envieux ou vil, elles souillèrent la lagune des remugles écœurants d’une vie vouée à l’abjection coutumière, aux vaines ambitions, aux mensonges calmes, presque sereins.

Brutalement les dards nigrescents devinrent lumière.

Lorsque chaque démon grimaçant fut éventré, lorsque les pestilentielles entrailles jonchèrent le palus aux relents innommables, les javelines se mirent à briller, étincelant d’une luminosité si pure, si intense, que même les étoiles les plus flamboyantes durent se détourner.

S’exhaussant enfin de la boue universelle, la croix rejaillit en majesté.

Leviathan lacustre aux ailes de géant, elle s’éleva placidement au-dessus des flots ridés par l’accumulation des vestiges indécents d’une humanité dévoyée et désormais absoute. Accélérant son ascension, elle se positionna au zénith de la caravane aux dimensions insensées, puis prononça trois mots si simples :

–           « Je vous aime »

Elle disparut alors dans un fleuve de lumière dont la largeur outrepassa les dimensions usuelles d’une galaxie toute entière.

La nuit retomba.

 

…..

 

Prostrées, lovées sur elles-mêmes telle des anémones de mer repliant délicatement leurs tentacules afin de se protéger de la sournoiserie d’un prédateur efflanqué, quatre silhouettes s’alanguissaient, reposant calmement, presque angéliquement.

Nul bruit ne vint les déranger pendant de longues minutes. Soucieux de leur tranquillité, le temps s’assoupit un instant, fossilisant les frêles ombres volutées recroquevillées sur un sol empierré.

Emmïgraphys fut la première à s’éveiller.

–           « Heliaktor ! Hiérophellyä ! Héraclite ! Réveillez-vous ! »

–           « Doucement… grommela le naufragé en massant ses épaules nouées. Je viens de vivre une aventure tellement incroyable que je ne parviendrai jamais à vous la conter »

–           « C’est la même chose pour moi, souffla la courtisane d’une voix entrecoupée de sanglots. Jamais. Jamais je n’aurais pu croire tout ceci possible »

–           « Nos nouveaux amis vivent dans un univers tellement baroque, si riche de visions nouvelles, que je comprends vraiment pour quelle raison ils n’ont jamais jugé utile de s’encombrer de l’embonpoint d’une technologie tatillonne »

–           « Et c’est une créature électronique qui conclut ainsi… » s’étonna Héraclite, tout en réalisant au même instant l’absurdité de sa remarque.

–           « Quoi qu’il en soit, s’émerveilla l’arcturien, ce premier voyage au pays des Daëdalus fut éreintant, magique, et d’une effarante saugrenuité »

–           « Tu étais une croix, toi aussi ? » s’enquit le philosophe.

–           « Pas du tout, je vivais au sein d’une coquille géante. Je mourrais et ressuscitais sans cesse ! »

–           « Moi aussi ! s’écria Hiérophellyä. Et je partageais cette coquille avec un oiseau géant qui me fécondait sans cesse. C’était merveilleux… »

–           « C’est étrange car dans mon cas il n’y avait ni mort, ni résurrection, reprit l’éphésien. Erreur ! Il y avait énormément de morts. J’étais même un massacreur de démons dont la férocité inapaisée était sans limite. Ma vie se vouait à l’extermination des replis obscurs et vils de l’âme humaine, puis à la sauvegarde bienveillante de toutes les espèces vivantes de la Galaxie. Quelle caravane exubérante ! Des milliards et des milliards d’êtres. Tous différents physiquement, tous unis en une volonté de rédemption, de quiétude et de sérénité retrouvées après les pièges d’une vie dédiée à la plus veule abjection »

–           « Tu étais une sorte d’ange ? »

–           « D’archange plutôt ! plastronna Héraclite. Puis il poursuivit. Et vous Emmïgraphys ? Qu’étiez-vous lors de ce premier voyage initiatique ? »

–           « Je me suis métamorphosée en une créature diaphane et rampante. Moi aussi je disparaissais, puis renaissais. L’accélération démente de ces réincarnations presque instantanées me déroute. J’en conçois difficilement le sens »

–           « Précisez vos émotions »

–           « Je me transformais parfois en feuille lancéolée ondoyante sous la caresse d’un vent invisible, en créature hérissonnée de piquants souples et rigides à la fois, mais… »

–           « Mais ? »

–           « Dans tous les cas un volcan grondait en moi. Une éruption maîtrisée brisait mes sens, me laissant alanguie, heureuse, profondément apaisée »

–           « J’y devine une connotation sexuelle très claire ! » intervint Heliaktor, totalement ravi de pouvoir investiguer en profondeur l’âme de la nymphe électronique.

Sans l’expliciter clairement, cette démarche inédite abondait dans le sens du philosophe qui, depuis leur première rencontre, affirmait qu’Emmïgraphys avait une âme, une sensibilité, une personnalité affirmée et une réelle sensualité.

–           « Cette approche est peut-être un peu superficielle, reprit Héraclite. Car si cette description matérialise clairement la montée irrépressible d’un désir tangible, l’origine de ce dessein demeure abscons pour nous. N’y décerner qu’une envie de satisfaire une pulsion sexuelle est hâtif »

–           « Tu as une meilleure analyse ? » maugréa le naufragé.

–           « Pas pour l’instant. Mais nous n’en sommes qu’aux balbutiements de nos échanges conceptuels avec les Daëdalus. Et je pense que les jours à venir seront édifiants »

–           « Il y a une chose que je ne comprends pas » reprit en écho la sentinelle.

–           « Laquelle ? »

–           « Nous n’avons nullement découvert l’univers des Daëdalus lors de ces voyages. Nous avons sombré au cœur de nous-même avec une évidente volonté de rédemption. Mais nous n’avons pas vu nos hôtes à carapace plate dans leur environnement, ni découvert leur façon de vivre, d’échanger, de communiquer »

–           « C’est exact reconnu le philosophe. Mais cette première exploration avait probablement pour simple fonction de nous présenter le canevas de ce qu’ils peuvent mettre en œuvre afin de dessiller les esprits. La suite sera probablement encore plus passionnante. Même si cette première expérience est déjà terrifiante »

–           « Pour compléter ce que vous dites, renchérit l’arcturien, nos voyages eurent lieu au sein d’un espace-temps traditionnel. Or les Daëdalus vivent dans cinq dimensions physiques et deux dimensions temporelles »

–           « Là encore, commença la sentinelle, je crois qu’ils tenaient à nous faire effleurer leur univers. Nous imposer immédiatement le capharnaüm de leurs dimensions excédentaires ne pouvait que nous conduire à la folie »

–           « Et à d’effroyables maux de tête » conclut son compagnon.

–           « Nous allons bientôt être fixés, surenchérit la courtisane tout en remettant un peu d’ordre dans sa toilette. Nos amis nous rejoignent »

Se dandinant comiquement, les deux Daëdalus se rapprochaient effectivement du petit groupe des rescapés des ténèbres. Ils n’étaient plus deux par ailleurs, mais une dizaine. Et leur aspect physique avait considérablement changé. C’était un euphémisme…

S’ils avaient toujours la même apparence superficielle, la même taille, la même pratique assurée de l’ondoiement au-dessus du sol, leur couleur s’était métamorphosée. Ou plutôt leurs couleurs, car les reflets uniformément ocre et rouille provoquant lors du premier contact un sentiment de terne monochromie, n’étaient plus qu’un souvenir diffus.

Les Daëdalus scintillaient désormais !

Leurs corps larges, aplatis, flamboyaient d’opales iridescentes sans cesse mouvantes semblant glisser doucement sous une peau de miel et de soie mêlés. La dominante était pastel, mais quelques foyers intenses, très foncés, apportaient force et vigueur à leur parure. Un marécage aux tons mercuriels et soigneusement semés de paillettes d’or s’offusquait brutalement au passage impérieux d’un torrent d’émeraudes virevoltantes. L’immodestie affichée d’une résille carminée aux motifs arachnéens le disputait à la sérénité d’un voile indigo parsemé d’argent.

Mais si l’infinie palette des couleurs se moirant dans les eaux d’un lac aux proportions insensées défiait partiellement les capacités d’observation humaine, l’éruption fulgurante des deux dimensions supplémentaires avivait la peur, créant au cœur de chacun un ouragan de sensations voluptueuses et nauséeuses. Le regard se noyait, la perception se sublimait. L’attention ne pouvait être maintenue plus de deux ou trois secondes.

Les corps des Daëdalus se dilataient, s’enflant titanesquement avant de se réduire à l’épaisseur d’une feuille impalpable sous la caresse d’une lumière diffuse. Le sol lui-même bougeait sans cesse. Respiration cyclopéenne d’un géant aux mains moussues, le chemin oscillait au rythme lent d’un cœur stellaire.

Les humains ne pouvaient guère faire autre chose que fermer les yeux, les rouvrir, les clore encore. Positionner les doigts devant des iris dilatés par une souffrance délicieuse et perverse ne servait à rien. Sous les effets conjugués des deux dimensions supplémentaires, la lumière se courbait, pénétrant derrière les doigts humides de sueur, déchiquetant la peau, s’insinuant nonchalamment par chaque terminaison nerveuse avant d’exploser enfin au centre du cerveau. Aigretté de nimbes citrins et pétrifié d’angoisse, le quatuor s’effondra au sol, se dissimulant la tête entre les bras tout en espérant que le cataclysme des formes et des lumières s’estomperait promptement, calmant ainsi les égarements convulsifs d’une raison défaillante.

Lorsqu’ils rouvrirent enfin les yeux, les Daëdalus avaient conservé leurs somptueuses parures colorées, mais le brouhaha dimensionnel avait disparu. L’environnement avait beaucoup changé aussi.

Terrassée par les visions cauchemardesques du début, leur attention s’était focalisée sur leurs nouveaux amis moirés de lumière, et non sur le site. L’immense cavité n’était plus sombre, rugueuse et sobrement taillée en son sommet de millions de petits opercules laissant chichement passer la lumière.

Désormais elle irradiait.

Haute d’environ cinq mètres, elle s’ornait de délicates ciselures émaillant une paroi faite d’un matériau inconnu, mais qui pouvait s’assimiler à certaines pierres dures terrestres, quartz et sardonyx plus particulièrement. Brillantes et soyeuses à la fois, les parois donnaient l’impression de respirer, d’espérer. On ne pouvait douter qu’une simple caresse, aussi légère soit-elle, occasionnerait un frissonnement ou un soupir amusé. Quant aux orifices de lumière constellant la voûte, ils conservaient leur fonction première, mais seuls quelques oculus continuaient à diffuser la triste lumière de l’astre poussif trônant au centre du système solaire d’Olzzyvar. Les autres déversaient une douce luminosité incarnadine conférant à l’ensemble de la caverne une quiétude avenante.

Un lieu de paix et de sérénité.

–           « Nos amis me prient de les excuser pour le traumatisme subi, commença Emmïgraphys. Ils se doutaient bien que l’apparition brutale de cinq dimensions spatiales pour des esprits seulement rompus à trois serait épuisante. Mais, apparemment, ils n’imaginaient pas à quel point cela serait dévastateur »

–           « Ce n’est pas grave, balbutia Hiérophellyä, tout en se tenant toujours la tête. Ils ne pouvaient pas deviner »

–           « Bien sûr. Mais ils insistent vraiment pour que je traduise leur désolation »

–           « Vous pouvez les remercier pour leur compassion » souffla doucement Héraclite.

Amaranth conservait les paupières hermétiquement closes, paraissant redouter le moment où il devrait enfin rouvrir les yeux.

–           « Vous pouvez desserrer les paupières, le rassura la sentinelle. Nous ne sommes pas aveugles »

–           « J’espère, soupira-t-il. Mais cette expérience était bien plus douloureuse que celle vécue à l’intérieur du vaisseau des Tonaxares »

–           « C’est normal, reprit la jeune femme. Dans le Thörhionnh vous aviez appréhendé une perception aseptisée d’un univers à six dimensions »

–           « Ici c’était la réalité dans toute son outrance ? Les dimensions additionnelles avaient totalement pris leur essor ? »

–           « Totalement »

–           « Je comprends mieux pourquoi mon cerveau pulse lentement telle une méduse remontant vers la surface. J’ai la désagréable impression que l’on m’a instillé une éponge dans le cerveau et que cette dernière ne trouve rien de mieux que de se vider tranquillement dans mon crâne »

–           « Moi aussi, acquiesça Héraclite. Mais cette expérience, pour désagréable qu’elle soit, demeurera un souvenir exceptionnel »

–           « Un peu masochiste quand même » grommela Heliaktor, tout en se décidant enfin à ouvrir les yeux sur le monde des Daëdalus.

Le silence s’imposa de lui même.

Avec quelques difficultés, Emmïgraphys se concentra sur les pensées tumultueuses de la horde de Daëdalus qui les entourait en orbes concentriques.

L’exercice était difficile, mais la sylphide avait déjà amplement démontré sa pugnacité et sa facilité, presque légendaire désormais, à se fondre dans les environnements psychiques les plus complexes. Toutefois l’approche était ardue car les Daëdalus n’avaient pas de langage, du moins dans le sens humain du terme. Par ailleurs, ils avaient développé une civilisation sophistiquée susceptible de se stratifier simultanément sur des plans très différents. Enfin, ils avaient délibérément exclu toute technologie, privilégiant en quelque sorte le fond au détriment de la forme.

La fée électronique étant issue d’une civilisation ayant mis en œuvre une démarche exactement inverse, les liens potentiels étaient ténus et les points d’ancrages bien difficiles à identifier.

Elle y parvint toutefois pour la seconde fois.

–           « Nos nouveaux amis sont enchantés de nous recevoir. Ils nous proposent de visiter une petite partie de l’immense cavité qu’ils occupent ici et qu’ils nomment : Liih. Pour autant, naturellement, que je transcrive correctement ainsi le flot d’images mentales que ceci représente »

–           « Liih nous convient bien, rassura le philosophe. Mais ne craignent-ils pas que nous ne puissions réellement voir leur environnement ? Nos sens paraissent incapables d’absorber sereinement le choc lié à la découverte de leur univers »

–           « Pour tout dire, argumenta le naufragé, je ne tiens pas à subir perpétuellement des céphalées dévorantes et sentir sous mes paupières des myriades de grains de sable m’écorchant les yeux »

–           « Ils vont prendre toutes les précautions nécessaires. Le voyage que nous allons effectuer avec eux s’organisera dans trois dimensions. La pression des deux autres dimensions que nous ne pouvons pas supporter, ni réellement appréhender par ailleurs, sera maintenue dans des proportions anecdotiques. Ceci restera donc du domaine du supportable, s’apparentant probablement à l’environnement du vaisseau des Tonaxares lorsque vous avez pénétré à l’intérieur d’un Alphaëon » conclut-elle en observant Heliaktor à la dérobée.

–           « Bon, soupira ce dernier. Allons-y. Mais… »

–           « Oui ? »

–           « Pourquoi sont-ils aussi nombreux désormais ? Sommes-nous considérés comme des bêtes frustes et curieuses ? »

–           « Absolument pas. Les Daëdalus ont un très grand respect pour les autres races vivantes, intelligentes ou non. Leur démarche est innée : la curiosité, tout simplement »

–           « C’est probablement l’une des rares qualités que nous avons en commun avec ces êtres si différents » souligna l’hétaïre minoenne à voix haute.

–           « Probablement admit l’arcturien. Mais chez les humains cette qualité, véritablement indispensable au progrès spirituel, peut rapidement devenir un défaut »

–           « L’ouverture de la fameuse boite de Pandore, renchérit l’éphésien. Mais si la curiosité peut devenir chez l’Homme un cruel défaut, ce n’est pas l’acte de curiosité intellectuelle ou la transgression qui s’ensuit qui est en cause »

–           « Non. C’est l’usage insidieux, inquisiteur et manipulateur, que l’humain peut être amené à en faire » admit l’errant d’éternité, à l’évidence totalement remit désormais.

–           « Nos civilisations surent faire beaucoup et détruire aussi vite » conclut la sentinelle en forme d’épitaphe.

Puis, après un bref moment :

–           « Suivons-les ! »

La cohorte s’ébranla doucement, formant un somptueux équipage.

Sans avoir l’importance et la magnificence gothique de l’immense caravane vue par Héraclite lors de l’angoissante immersion au sein de son moi profond, le cortège était étrange, bariolée. En tête, une dizaine de Daëdalus aux carapaces bigarrées se dandinait en rythme. Puis, après un petit espace vide, suivait l’une des deux premières créatures plates accompagnant les humains du Chrysaör depuis le début. Ponctuant chaque méandre d’un signal lumineux violacé parcourant la délicate arête centrale partageant la dorsale de sa carapace, elle paraissait vibrer de plaisir. Héraclite se positionnait à la suite, dressant sa haute stature au-dessus de la mêlée tout en tournant la tête dans tous les sens afin de se repaître au mieux des visions qui ne tarderaient point à enivrer son regard sombre et scrutateur.

Emmïgraphys arrivait ensuite. Ayant définitivement renoncé à remettre de l’ordre dans l’apocalypse de sa chevelure ébouriffée, elle tirait énergiquement sur les pans de sa robe un peu trop échancrée et diaphane, car elle ne souhaitait nullement provoquer leurs hôtes en s’affublant de tenues trop exubérantes. L’améthyste de ses yeux se focalisait sur dix endroits en même temps afin de ne rien oublier.

Le second Daëdalus la suivait, glissant par moment les voiles virevoltants de l’extrémité située en amont de son corps très près des talons de la jeune femme. On pouvait éventuellement déceler dans cette attitude quelques sentiments humains, la curiosité, le besoin d’une présence, la démonstration fulgurante et hâtive d’une étrange amitié extraterrestre. Ou tout autre sentiment….

Toute comparaison ou interprétation ne pouvait être qu’anthropomorphique et sans fondement.

Le colosse et sa maîtresse fermaient la marche en se tenant par la main, comme si ce frêle lien charnel pouvait les protéger de l’indicible. Un peu plus loin en arrière, une meute ondoyante d’une trentaine de créatures plates suivait doucement. Amaranth eut parfois le sentiment qu’elles pouffaient. Absurde bien sûr.

Après quelques minutes, ils s’engagèrent enfin dans une partie à la fois très haute et considérablement plus étroite. Etrangement, l’espace semblait emprisonné entre les doigts délicats d’un géant invisible. Engoncés dans une luminosité verte, ils pénétrèrent dans un sillon évoquant irrésistiblement la partie inférieure d’un losange très en hauteur. Ils avançaient désormais au milieu d’une figure géométrique à la symbolique absconse, une abstraction en forme de paysage. L’impression première était saisissante. Cette ouverture se prolongeait très loin à travers la chair irisée du satellite. Elle découpait l’espace de lignes acérées tout en se parant de filaments multicolores ondoyant sans cesse. On pouvait assimiler ces excroissances longilignes à des algues gigantesques se laissant délicatement porter par un courant marin.

La voûte s’effondra brusquement.

Le losange, étiré en hauteur jusqu’à présent, se transforma rapidement en figure écrasée mimant pathétiquement un sourire de mort.

Les dimensions excédentaires étaient parfaitement maîtrisées par les Daëdalus, mais leurs déroutants contrastes se faisaient cruellement sentir ici. Le quatuor eut soudain l’impression d’avancer à l’intérieur d’une énorme masse de glu parme et légèrement luminescente. La progression devint aussi difficile qu’à l’intérieur d’un marécage. Chaque pas devenait lourd, informe. Chaque effort demandait un temps infini.

Le plafond bascula. Mû par une pulsion suicidaire, ils continuèrent, plièrent les genoux, puis durent s’allonger, ramper. Une substance douce, écœurante, s’immisça insidieusement le long de leur peau, éloignant l’étoffe de leurs vêtements vers l’arrière du corps. Puis la glu pénétra leurs yeux, la bouche, les narines, jusqu’au terrifiant moment où l’étrange matériau opalescent envahit enfin leurs poumons.

La panique à l’état pur ! La terreur indicible. L’atroce sensation d’une fin imméritée, d’une mort prochaine, atroce, longue. Très longue.

Le piège se referma.

La traversée dura un an. La traversée dura quelques interminables secondes.

Puis, avec soudaineté, l’azur reprit ses droits.

Décontenancés, les quatre occupants du Chrysaör se retrouvèrent, pantelants, les vêtements outragés, l’air hagard.

–           « Que c’est-il passé pendant toute cette année d’horreurs visqueuses ? » s’étrangla Heliaktor.

–           « Mais quelle année ? hurla l’éphésien en exorbitant les yeux. Cette horreur n’a duré qu’une seconde ! Mais quelle seconde… »

Emmïgraphys et la courtisane se regardèrent quelques instants, essayant sans succès de remettre un peu d’ordre dans leurs toilettes. Celles-ci s’ornaient tristement d’un gris ardoisé recouvrant uniformément les robes partiellement déchirées après l’interminable passage dans le maelström.

Après deux brefs échanges télépathiques avec l’un des deux Daëdalus qui les accompagnait depuis le début, la sylphide expliqua.

–           « Nous venons d’appréhender, ô certes très fugacement, très imparfaitement, leur double positionnement temporel »

–           « Mais pourquoi cette expérience abjecte au sein d’une boue insidieuse ? »

–           « Afin que l’intensité dramatique du moment nous permette de mieux comprendre la dualité du temps. Selon l’expérience personnelle de chacun et sa configuration psychique du moment, ou simplement sa place dans le défilé, nous avons pu juxtaposer deux temps différents. Allant fort heureusement dans le même sens, mais à des rythmes infiniment différents »

–           « Je comprends mieux… s’émerveilla le philosophe. Le même phénomène peut être ressenti ou vécu comme un souffle ou comme une longue épreuve. Tout dépend de l’individu, d’un choix personnel ou d’un environnement spatial »

–           « Exactement »

–           « Cela permet ainsi, avec beaucoup d’entraînement et plusieurs expérimentations préalables, de vivre certaines périodes de la vie à des rythmes incomparablement décalés par rapport à notre temps sagittal ronronnant toujours à la même vitesse de perception »

–           « Si j’ai bien compris, sourcilla Heliaktor, en domestiquant les arcanes de ce temps dédoublé on peut vivre à toute allure des moments douloureux, ou simplement ternes, mais aussi éterniser les moments les plus agréables, les plus émouvants, les plus langoureux ? »

–           « Les plus voluptueux aussi ? » s’informa Hiérophellyä en frissonnant à cette idée.

–           « Absolument. Vous pouvez immortaliser la joie et le plaisir tout en minimisant la peine et la douleur »

–           « Un orgasme de mille ans… » songea le colosse à voix basse tout en envoyant une œillade non équivoque à la pulpeuse minoenne.

–           « Que dites-vous ? » s’informa la fée électronique.

–           « Rien, rien » balbutia-t-il en rougissant.

La caravane reprit son placide périple à travers un paysage apaisé. Le corridor géométrique aux arêtes mouvantes avait laissé la place à un long tube translucide.

Ce dernier enchaînait d’innombrables circonvolutions au milieu d’un vallon ombragé où paissaient des animaux assez massifs. Prolongeant leur corps en forme de tonneau par un long cou annelé que poursuivait une tête plate hérissée de dizaines de petites cornes à l’aspect feutré, ils s’agglutinaient en troupeaux clairsemés, folâtrant au sein de grasses prairies ondoyantes.

–           « Ce sont des animaux de compagnie » précisa la jeune femme.

–           « Mais ils ne se nourrissent pas de leur chair ? » s’étonna le naufragé.

–           « J’ai dit des animaux de compagnie insista-t-elle. Pas des animaux de consommation. Les Daëdalus sont totalement au-delà de ces contingences matérielles »

–           « Comment peuvent-ils communiquer avec ces êtres balourds ? »

–           « Ces êtres ne sont pas balourds ! reprit-elle sur un ton professoral et légèrement agacé. Bien que dénués de l’intelligence finement inquisitrice de nos nouveaux amis, ces animaux -qu’ils nomment Zylacanthes- les comprennent. Ils sont tout à fait en mesure d’échanger avec eux des idées conceptualisées selon leurs critères »

–           « Fascinant ! s’extasia Héraclite. Pouvez-vous dialoguer avec ces Zylacanthes ? Ce serait probablement très intéressant »

–           « Je vais essayer »

Son front se perla rapidement de gouttelettes de sueur illustrant l’intensité de sa concentration.

Elle ferma les yeux. Les rouvrit. Recommença.

–           « Impossible ! » reconnut-elle, un peu déconfite après ce premier échec.

–           « Demande à nos amis les raisons de cette impossibilité » s’impatienta l’arcturien.

Le conciliabule silencieux dura quelques minutes.

Vu de l’extérieur, les mimiques affectant le visage d’Emmïgraphys étaient comiques. Experte en communication télépathique, elle ne parvenait point encore à rigidifier ses attitudes. Ne pouvant demeurer impassible, elle donnait l’impression saugrenue de soliloquer éternellement face à une créature totalement silencieuse et parfaitement immobile.

–           « Ils m’ont expliqué les raisons de cet échec »

–           « Alors ? »

–           « Dialoguer télépathiquement avec des créatures d’un niveau intellectuel plus rustique nécessite un protocole d’échange rigoureux. Protocole que les Daëdalus maîtrisent parfaitement, mais dont je n’ai naturellement nulle connaissance. Sans cette indispensable clef, il est totalement impossible de communiquer avec eux »

–           « Dommage ! soupira la courtisane. Nous n’aurons pas l’occasion de discuter avec les Zylacanthes. Mais les informations glanées auprès de nos nouveaux amis à la carapace plate seront suffisamment passionnantes, fructueuses même, pour enrichir de nombreuses semaines de partage d’expériences »

–           « Certainement, rebondit Emmïgraphys. Nos hôtes sont naturellement curieux. Et notre odyssée les fascine »

–           « Tant mieux, reprit Amaranth. Leur sagesse paraissant sans limite, leurs avis, conseils et remarques, nous serons très utiles aussi. Mais… »

–           « Mais quoi ? »

–           « Je réalise soudain une chose très curieuse qui ne m’avait guère effleuré l’esprit jusque là »

–           « Précisez » murmura la sylphide.

–           « Cette rencontre passionnante, même si certains éléments furent troublants, voire désagréables, est bien née d’une nouvelle architecture conçue par nous ? »

–           « Oui. Et alors ? »

–           « Jusqu’à présent, lorsque nous construisions une cathédrale de brume, et ceci quels qu’en fussent les acteurs, nous étions maîtres du jeu ? »

–           « Ce qui n’est nullement le cas ici ! avoua Héraclite en réalisant brutalement pour la première fois que leur construction mentale leur échappait singulièrement. Nous conservons notre libre arbitre : ils proposent et nous acceptons ou nous dénions. Mais ils conduisent le débat et nous découvrons chaque détail à leur suite. Nous ne précédons pas, nous suivons »

–           « Où se situe le problème ? » s’étonna Hiérophellyä.

–           « Mais, mais… nous devrions rester maître de notre création ! » s’étrangla Heliaktor.

–           « Ceci n’est pas essentiel, reprit Emmïgraphys. C’est même plutôt rassurant. Cela démontre deux choses. Nos cathédrales de brume sont de plus en plus réalistes. La frontière existant entre le réel et le virtuel, dans le cas présent en tout cas, se résume désormais à une lisière ténue, presque impalpable »

–           « Et la deuxième démonstration ? » s’enquit l’hétaïre, toujours friande des synthèses et analyses de la jeune femme.

–           « La seconde réside dans le fait que l’impact des civilisations intelligentes, mais non impliquées dans un processus technologique, est probablement plus déterminant que nous ne l’imaginions jusque là »

–           « Tu veux dire que les espèces intelligentes et non prédatrices sont supérieures aux autres ? »

–           « Je n’en sais rien. Mais ces civilisations ont développé des investigations pertinentes dans des voies dont nous ne connaissions même pas l’existence. En ce sens elles nous sont supérieures »

–           « Ceci est très vrai, parfaitement logique même, reprit Héraclite en s’enflammant. N’ayant nullement comme objectif la quête désespérée de satisfactions et de pouvoirs qu’ils ont déjà en eux, ils purent au fil des millénaires défricher des territoires inédits. La précellence d’une technologie outrancière n’existe que pour pallier une insuffisance structurelle. Elle remplace simplement ce que l’on ne possède pas de façon innée. Elle ne peut être une fin en soi. Quel fantastique espoir pour nous ! À leur contact nous pourrons développer des potentialités inconnues, parcourant ainsi avec eux quelques marches du grand escalier cosmique dont nous piétinons toujours les mêmes fondations depuis des millénaires »

–           « N’exagérons pas » tempéra le naufragé qui n’était point adepte de l’auto flagellation.

–           « J’affirme et je maintiens ! s’empourpra Héraclite. L’humanité a fait d’innombrables progrès matériels, ces mêmes avancées cardinales qui ont fini par la détruire partiellement et l’aveulir totalement. Mais ces évolutions demeurent limitées, cantonnées à des sphères spéculatives restreintes. Nous le voyons bien lorsque nous comparons nos moyens et notre aire de liberté par rapport aux Alphaëons ou aux Unulphodyamanthës. Qu’en est-il de nos avancées significatives quant à la découverte de notre être intime ? De cette impalpable lumière qui sommeille en nous depuis des millénaires et que nous n’éveillons, parfois, que pendant quelques courts instants tout au long d’une vie ? »

–           « Euh… hésita le colosse. Il est vrai que dans ce domaine, nous tournons en rond depuis quelques siècles »

–           « Nous tournons en rond depuis des millénaires ! tonna l’éphésien. L’accomplissement de soi par des moyens autres que matériels, se cantonne toujours stérilement à quelques démarches contraignantes et frustrantes qui satisfont, au mieux, 1% de l’humanité. Vous aimeriez être un anachorète perdu au milieu du désert ? »

–           « Non. Pas vraiment »

–           « Pas vraiment… Or nos solutions spirituelles sont généralement compliquées, évasives ou fallacieuses, faisant couramment référence à des introspections dont l’issue est décevante, parfois fatale. Dans les autres cas elles sont inféodées à des croyances religieuses ou morales dont l’éthique est rarement critiquable, mais dont les concrétisations sont généralement excessives et cruelles. L’Inquisition et les fanatismes idéologiques, sectaires ou religieux, en illustrent tragiquement quelques exemples flagrants. Nos champs d’application sont étriqués dès que l’on travaille sur soi. Les Daëdalus peuvent nous permettre de découvrir de nouvelles pistes de réflexion, une nouvelle orientation à notre vie »

–           « Le travail à accomplir est effectivement colossal » admit Amaranth en se frottant dubitativement le menton.

–           « D’autant plus, surenchérit la sentinelle, que nous ne parlons ici que des créatures habitant notre Galaxie »

–           « Que veux-tu dire ? » s’étouffa la courtisane en tirant distraitement sur les pans de sa courte tunique.

–           « Nous avons la chance de naviguer à une vitesse proche de celle de la lumière et dans une direction diamétralement opposée au centre de la Galaxie, tout en nous éloignant simultanément du plan de celle-ci »

–           « C’est à dire ? »

–           « Nous nous isolons donc des contrées à forte densité stellaire. Grâce à notre vitesse subluminique nous serons rapidement en dehors du bras d’Orion dans lequel se situe les anciens territoires de la Ligue, des Tonaxares et l’Empire naissant des Alphaëons. Nous quitterons donc insensiblement la Galaxie et le halo qui la nimbe »

–           « Que se passera-t-il après ? »

–           « Nous frôlerons quelques amas globulaires, dont le colossal amas d’Hercule, et nous plongerons enfin au cœur de la galaxie d’Andromède, notre gigantesque univers île jumeau »

–           « Dans trois millions d’années » soupira le voyageur immobile en haussant les sourcils.

–           « Deux millions huit cent mille ans, compléta la gardienne électronique. Au sein de ces contrées totalement vierges, d’autres civilisations nous attendent, et d’autres encore. Jusqu’à la combustion des siècles ! »

–           « Cette perspective donne le vertige » condescendit Héraclite tout en se massant les globes oculaires, comme si ce geste anodin pouvait dissiper l’incertitude, l’angoisse ; et une terrifiante espérance.

Pendant ce temps, totalement indifférents à l’âpre discussion agitant les humains, les Zylacanthes échangeaient placidement quelques images télépathiques avec la troupe des Daëdalus regroupés.

Le cortège s’ébranla doucement.

Emmïgraphys se retourna une fois encore, tentant infructueusement de recueillir dans les yeux plats de ces créatures candides quelques bribes d’émotion. Au moment où elle détournait la tête afin de reprendre son chemin avec le groupe, une fantastique bouffée d’images disparates, sensitives et gourmandes, l’envahit. Indescriptible avec des mots, cet échange furtif la combla.

Un large sourire illumina son visage. Elle décida de conserver précieusement pour elle cette émotion exotique et totalement étrangère dans l’acceptation la plus forte et la plus noble du mot. Comme un trésor secret que l’on enchâsse dans le terreau de nos rêves les plus inavouables.

Le voyage se prolongea huit heures, à moins que cela ne soit mille ans.

Harassé par un si long périple, frustré par la brièveté de cette première découverte de l’univers des Daëdalus, le quatuor découvrit certaines spécificités de ces créatures si désespérément plates qu’ils redoutaient toujours d’en écraser une.

Taraudé par cette interrogation un peu triviale, Amaranth demanda à la sentinelle de s’informer quant à leur réaction par rapport à la douleur physique. Avec quelques difficultés, Emmïgraphys s’enquit donc de savoir ce qui se passerait si l’on marchait ou si l’on tombait sur une partie de l’immense tapis ondoyant constituant le corps de leurs hôtes.

Contrairement à la question, embarrassée et sinueuse, la réponse fut claire et laconique :

–           « Essayez ! »

Ils discutèrent longuement afin de savoir si cela était bien courtois et prudent. Puis, qui le ferait. Après maintes tergiversations, l’ondine électronique se décida. D’un pas mal assuré, elle posa délicatement son pied sur la partie arrière de l’un de leurs deux premiers compagnons de route.

Le Daëdalus étant très plat, son pied ne put vraiment s’enfoncer. En fait il pénétra exactement de la moitié de l’épaisseur totale de la créature rampante.

Rien ne se passa.

Puis, avec une mine hallucinée et un peu déconfite, ses compagnons virent la jeune femme s’allonger totalement sur le dos du Daëdalus.

–           « Mais… mais que fais-tu ? » s’étrangla l’arcturien écarlate.

–           « Emmïgraphys est devenue folle ! » s’insurgea Hiérophellyä, effarée en songeant aux conséquences éventuelles.

–           « Rien de grave, rassurez-vous. Il m’a demandé de me coucher sur lui »

–           « Et tu l’as fait ? » s’horrifia le naufragé, doutant brutalement de la santé mentale de sa compagne d’éternité.

–           « Bien sûr »

–           « Mais… mais cela ne se fait pas ! »

Elle pouffa franchement, faisant délicatement tressauter ainsi la texture soyeuse et mouvante du Daëdalus servant actuellement de couche moelleuse.

–           « Restez calme. Il ne faut y voir ni une injure, car il me l’a demandé lui-même, ni je ne sais quelle connotation xéno érotique. Nous n’allons pas faire l’amour ensemble ! » s’esclaffa-t-elle bruyamment.

–           « Faites attention quand même » suggéra Héraclite, s’inquiétant à la vue de leur amie mollement allongée sur une créature intelligente, accueillante pour le moment, mais dont les irisations sans cesse changeantes de la carapace souple démontraient un partage d’émotions assez intense.

La démonstration parut rapidement concluante à tous. Emmïgraphys se releva, riant encore, en faisant bien attention de ne point appuyer fortement sur son partenaire en se redressant.

–           « C’est très étonnant, conclut-elle, mais leur derme est très doux, soyeux. La texture de leur caparaçon de lumière est incroyablement souple et résistante. Lorsque je me suis allongée sur lui, mon corps s’est enfoncé de suite. Puis il s’est bloqué à mi-hauteur, donnant le sentiment confus que la créature était beaucoup plus épaisse que dans la réalité »

–           « Les deux dimensions supplémentaires qui texturent leur organisme doivent avoir un rôle dans cette résistance élastique » supputa Héraclite.

–           « Probablement. Quoiqu’il en soit, c’est une sensation étrange et très sensuelle »

Elle sourit encore en observant à la dérobée la mine renfrognée d’Amaranth.

Le premier voyage au sein des arcanes d’Olzzyvar prit fin après d’innombrables détours mettant en lumière quelques aspects de l’environnement des Daëdalus. Ils scrutèrent avidement des collines arasées chevauchées par d’étranges sculptures mimant des cavaliers de l’apocalypse figés pour l’éternité en une pathétique virevolte. Ils admirèrent des mers intérieures dont le miroitement acidulé brûlait les yeux tout en apaisant l’âme et au sein desquelles se lovaient des archipels ignorés, des cités lacustres flamboyantes, des radeaux ciselés de coraux s’enamourant d’édicules de calcédoine pure.

Plus loin, d’incroyables syringes aux ramifications labyrinthiques affolaient l’œil en exaltant l’esprit.

D’autres souvenirs encore : des semis de fleurs mauves congestionnant le firmament en nuages épars, l’arête dorsale d’un poisson gigantesque s’exhaussant d’un désert de sable roux, les fumerolles enserrant le tronc tortueux d’un arbre large de trente mètres et moins haut qu’un être humain.

Au-delà, des structures finement spiralées se prolongeaient sur des kilomètres, roulant doucement sur elles-mêmes tout en murmurant des sonorités iconoclastes, envoûtantes et d’une beauté vénéneuse. Côtoyant l’horizon, des chemins de pierre mêlés de mousse humide bruissaient doucement.

La juxtaposition de deux temps à la sournoiserie singulière déroutait totalement, confondant sans vergogne un instant de plaisir volé avec une longue attente stérile et muette. Une confusion des sentiments que relayait parfois la confusion visuelle issue d’une effervescence des formes, lignes et points de repère, dans un univers dans lequel chaque objet, chaque matériau, chaque atome, était à sa place tout en pouvant être… ailleurs !

Soucieux du confort de leurs invités, les Daëdalus n’abusèrent point des propriétés hallucinantes de ce kaléidoscope planétaire.

Mais le vertige venait vite aux humains déstabilisés par une vérité multiple, une réalité protéiforme et la perte définitive de toutes leurs certitudes, même les mieux chevillées au corps.

Après l’étonnant exercice de gymnastique effectué par Emmïgraphys sur une créature plate particulièrement patiente, ils échangèrent encore quelques synthèses.

–           « Ils sont ravis par notre détermination à mieux les connaître, analysa la jeune femme. Conscient de l’effort mental que tout ceci a pu représenter pour nous, ils nous proposent de quitter le Chrysaör afin que l’on se repose un peu. Ils reviendront nous voir la semaine prochaine »

–           « Très bien ! acquiesça la courtisane. Je ne serais pas hostile à une bonne nuit de sommeil »

–           « Moi non plus, reconnut Héraclite. Mais assurez-vous qu’ils reviendront bien. Nous avons tant de choses à apprendre à leur contact »

–           « Je m’en occupe » rassura la créature électronique, tout en démêlant méticuleusement sa soyeuse chevelure violine.

En quelques échanges télépathiques désormais soigneusement orchestrés, elle se fit parfaitement comprendre.

Tellement bien, qu’ils se revirent régulièrement pendant plusieurs siècles.

Extrait de « Cathédrales de brume » – Oksana & Gil Prou – Publié aux Editions Rivière blanche : http://www.riviereblanche.com/cathedrales.htm

Disponible sur Fnac.com http://livre.fnac.com/a2714268/Oksana-Cathedrales-de-brume

L’île des morts

Un chapitre de notre premier roman : « Cathédrales de brume » commence dans l’île des morts peinte par Arnold Böcklin. Nous utilisons cet étrange paysage noyé dans une lumière sublunaire comme bouche d’entrée pour… les Enfers !

Voilà quelques informations relatives à cette « Île des Morts »

Une île au coucher du soleil, vers laquelle un rameur dirige une embarcation. Devant lui, debout dans un linceul blanc qui le recouvre entièrement, un mystérieux personnage tourne son regard vers l’île où l’attend son tombeau. A la proue, un cercueil enveloppé de blanc.

Sur l’île des morts, un demi-cercle de rochers escarpés et de falaises abruptes dessine une crique où poussent de hauts cyprès. Des ouvertures, creusées dans les rochers, ménagent des entrées, parfois murées, qui évoquent les niches élevées d’un columbarium ou d’un obituaire et suggèrent des choses obscures et terribles.

De cette toile dotée d’une incomparable puissance imaginaire, Arnold Böcklin (1827-1901) exécuta cinq versions entre 1880 et 1886. Largement popularisé par une gravure de Max Klinger, véritable icône européenne du symbolisme fin-de-siècle, il s’agit d’un des tableaux les plus diffusés, reproduits, copiés, plagiés, interprétés et réinterprétés de l’histoire de la peinture et des formes symboliques. Apprécié au plus haut point d’Elisabeth d’Autriche comme de Lénine, d’Hitler et de D’Annunzio; Clemenceau et Freud en possédaient une reproduction. Strindberg en fait la toile de fond de la scène finale de La sonate des spectres.

Il inspire Serge Rachmaninov, mais aussi des metteurs en scène comme Patrice Chéreau et Richard Peduzzi à Bayreuth, ainsi que des auteurs de bande dessinée. Dali le pastiche. En 1945, Mark Robson en reconstitue le décor pour un film d’horreur avec Boris Karloff.

Plusieurs sites Internet lui sont consacrés…

La barque de Charon le nocher, passeur inflexible, emporte, en un dernier voyage, un linceul vers l’île aux cénotaphes. Elle s’éloigne de nous et n’a pas encore touché terre, mais le voyage paraît bien sans retour : c’est nous qu’elle quitte. Frappée  d’un dernier rayon de lumière, la figure blanche et mystérieuse est une figure de l’entre-deux : entre deux rives, entre île et continent, entre jour et nuit définitive, entre ici et au-delà.

 Les eaux noires sont celles d’une frontière.

L’instant figé est celui d’un franchissement. L’esquif et ses passagers font signe et intersigne vers l’autre bord du sens. De la notion de mort, nous ne pouvons affirmer et connaître, note Nabokov,  que la moitié : « ce côté-ci de la question« . Partir, c’est mourir et le vrai voyage, le seul voyage, serait un voyage sans retour.

Comme Bachelard l’indique dans L’eau et les rêves, la mort ne serait peut-être pas le dernier (et le grand voyage), mais bien le premier. Le cercueil, associé à ce qu’il appelle « complexe de Charon », ne serait pas la dernière barque. Il serait la première barque. Et peut-être sommes-nous à l’aube, et non au crépuscule.

Les Iles n’ont pas toujours été Iles de Jouvence ou d’Utopie, Iles Fortunées ou Marquises, ou Iles de robinsonnades. Dans les récits d’aventures, Iles au trésor ou Iles mystérieuses, les héros n’y abordent qu’en naufragés et pour  y affronter dans l’inconnu mille périls angoissants. Lieu d’ épouvante et de cauchemar dans certaines fictions, comme chez H.G Wells (L’Ile du docteur Moreau) ou chez Bioy Casares (L’Invention de Morel), l’île se présente souvent sous l’apparence de ce qu’Alberto Manguel propose de nommer une « dystopie », c’est-à-dire l’image inversée et terrifiante d’une utopie.

Bouche des Enfers, port du royaume des défunts, la crique de l’île-nécropole est aussi le port de l’oubli, là où les âmes des trépassés, décrites par Virgile, « boivent les long oublis » aux bords des eaux du fleuve Léthé. Quand Freud, dans la Traumdeutung, note un rêve personnel « à la manière de Böcklin », les mailles de son travail associatif le portent vers l’Angleterre, pays toujours aimé et admiré et où vivent des parents dont il attend des nouvelles, mais aussi vers Dreyfus et vers l’île du Diable, qui menace d’ombre et de silence le souvenir fragile du relégué.

L’île nous condamne volontiers  à l’oubli, au bannissement de la mémoire, à la damnatio memoriae. Notre devoir, le devoir des survivants, qui restons sur cette berge-ci, est de nous souvenir, de préserver l’image précaire de « celui-qui-s’en-va« , de relier le temps des morts à celui des vivants, si nous voulons nous-mêmes être un jour sauvés.

C’est avec nous que l’icône mélancolique prend ses distances. C’est à nous qu’elle dit adieu et s’éloigne, nous plongeant dans un deuil sans fin. Et c’est aussi à nous que la figure voilée dit non, nous dérobant à jamais sa face. Elle ne se dirige pas vers la chute ou vers une catastrophe qui menacerait devant elle, bien pis : la catastrophe a déjà eu lieu, la catastrophe est derrière elle. Cheminant vers son sépulcre, le personnage debout est déjà mort, mais sans doute l’ignore-t-il encore. Il n’est pas au terme de son dernier et grand voyage.

Il n’a pas encore trouvé le repos sous les cyprès ou un ultime abri dans les niches de la nécropole.

Peut-être même n’abordera-t-il jamais l’île, incapable de mourir et voué, tels le Juif errant, The Old Mariner ou le Hollandais volant, à la douloureuse immortalité des errants de légende, dont nous savons, depuis Jules Cotard, qu’elle représente la pire des damnations et le vrai désastre : pour mourir,  pour avoir accès à la délivrance dispensée par la mort, encore faudrait-il avoir vécu.

Si nous ne mourons pas, écrit Maurice Blanchot, s’il nous est impossible d’en finir, c’est que nous ne vivons pas non plus et que nous sommes morts de notre vivant.

Avons-nous vécu ?

C’est probablement aussi cette même question que notre héros : Amaranth Heliaktor, se pose après une terrifiante errance de… trois millions d’années dans le cosmos !

France 3 « Ma vie est une aventure » avec Oksana et Gil

 

Contrairement à la plupart des liens qui reprennent le « replay » d’émissions TV et qui disparaissent au bout de quelques semaines, celui-ci :  http://ici.france3.fr/limousin/video/cafe_mvea_limoges_101106_710_06112010170406_F3/?webtv_rubrique=39  est pérenne.

Vous pouvez ainsi avoir accès à l’intégralité du reportage que France 3 nous a consacré dans l’émission « Ma vie est une aventure » diffusée en Novembre 2010.

A l’époque, nous n’évoquions pas la nomination de « Katharsis » pour le Prix collégien 2011 du Musée des Confluences à Lyon…

Inflation éternelle et multivers

La fin de notre premier roman : « Cathédrales de brume », met en lumière l’une des plus extraordinaire théorie née au cœur de la gravitation quantique : l’inflation éternelle et l’existence d’un multivers dont notre propre univers n’est qu’une parcelle ; un brimborion.

Se situant à la frontière imprécise séparant science et métaphysique, cette théorie nous fascine et nous en développons certains prolongements dans notre conte onirique.

Afin d’apporter d’utiles précisions, nous citons intégralement un article publié dans www.larecherche.fr qui reprend une interview du concepteur de cette théorie : Andreï Linde (Stanford University). Cette « inflation éternelle » est présentée aussi par d’illustres astrophysiciens et spécialistes de la gravitation quantique. On peut citer : Alan Guth, Paul Steinhardt et Alexander Vilenkin.

Voilà cet article paru il y a déjà quelques années :

Quelques instants après le Big Bang, l’Univers aurait connu une phase d’expansion exponentielle, l’inflation. Après vingt-cinq années de controverses, ce concept est aujourd’hui accepté par de nombreux cosmologistes. Andrei Linde, un des pères de cette théorie, va plus loin. Il inclut cet épisode dans l’histoire d’un univers éternel et sans doute infini.

La Recherche : Les cosmologistes viennent de célébrer les 25 ans de la théorie de l’inflation. Revenons en arrière. Quel était son fondement ?

Andrei Linde : À la fin des années 1970, la plupart des cosmologistes acceptaient la théorie du Big Bang dans son modèle standard. L’Univers avait été, dans le passé, incroyablement chaud et dense. Il s’était progressivement étendu et refroidi, les galaxies s’étaient formées, puis, quelques milliards d’années après, nous étions apparus. Plusieurs preuves étayaient ce scénario : les galaxies se fuient les unes les autres d’autant plus vite qu’elles sont éloignées comme dans un Univers en expansion ; le rayonnement de fond cosmologique émis 380 000 ans après le Big Bang avait été observé en 1965 par Arno Penzias et Robert Wilson ; les proportions prédites des différents éléments légers dans l’Univers correspondaient aux observations. Pourtant il y avait plusieurs questions sur lesquelles la théorie restait muette.

La Recherche : Quels étaient ces problèmes ?

Andrei Linde : Le premier était l’existence même de ce moment de Big Bang. C’est une singularité, un point impossible à atteindre, car certains termes des équations deviennent infinis. Et au cas où ce moment aurait existé, qu’y avait-il donc avant ? Comment quelque chose pouvait-il se former à partir de rien ? Un point d’autant plus crucial que la quantité d’énergie nécessaire à cette explosion était étonnamment très grande, puisque c’est celle de 1085 grammes de matière. Sa densité était vraiment énorme puisque cette énergie était comprimée dans un volume de moins d’un centimètre cube.

Une autre difficulté était liée à la géométrie de l’Univers. Elle apparaissait plate, à l’instar de celle d’un espace dans lequel les parallèles ne se coupent jamais. Il s’agit là d’un cas particulier entre un espace à courbure positive, où les parallèles se rencontrent tels les méridiens sur le Globe terrestre, et un espace à courbure négative que l’on peut visualiser comme une selle de cheval où les parallèles divergent. Or, les scientifiques n’aiment pas les cas particuliers…

Ce n’est pas tout. Si le Big Bang a eu lieu, pourquoi les différentes parties de l’Univers se sont-elles étendues au même moment ? Comment ont-elles communiqué si elles étaient séparées par une distance supérieure à celle que la lumière avait pu parcourir ? Et d’une façon si homogène ! Cette homogénéité, étrange, était même devenue un principe cosmologique. L’Univers se devait d’être homogène. Tous ces problèmes faisaient, en définitive, vaciller l’édifice entier du Big Bang. Quelque chose n’allait pas.

La Recherche : Qui a répondu à ces questions ?

Andrei Linde : Toute une communauté de cosmologistes et de physiciens des particules se penche aujourd’hui sur le sujet. Tout a commencé à la fin des années 1970, alors que l’Américain Alan Guth, du Massachusetts Institute of Technology, travaillait sur les monopoles magnétiques. Ce sont des particules, 1016 fois plus lourdes que le proton, qui auraient émergé très tôt après le Big Bang. Elles devraient être aussi abondantes que les protons. Dans ce cas, la densité moyenne de la matière dans l’Univers devrait être 1015 fois plus importante que les 10-29 gramme par centimètre cube observés en moyenne. Alan Guth imagina alors la survenue d’une phase d’accélération foudroyante de l’expansion de l’Univers, qui aurait dilué ces monopoles avant que les protons n’existent [1] . J’ai montré que cela résolvait la question de l’homogénéité à grande échelle, la platitude de la structure de l’espace-temps et la raison pour laquelle deux particules, séparées aujourd’hui de plus de 13,7 milliards d’années-lumière (soit la distance parcourue par la lumière durant l’âge de l’Univers), pouvaient avoir été en contact lors des premiers instants [2] .

La Recherche : Sur quels éléments mathématiques repose la théorie ?

Andrei Linde : L’inflation repose sur l’existence d’une très étrange forme de matière, un champ scalaire comme il y en a dans de nombreuses théories de physique des particules. Ce n’est pas un champ de vecteurs, tels un champ magnétique ou une carte des vents, mais un champ de nombres comme une carte des températures. Ce champ scalaire a une énergie que l’on peut associer à l’énergie du vide quantique. Il faut la prendre en compte dans les équations au même titre que le rayonnement électromagnétique et l’énergie de la matière. Dans les premières phases de l’expansion de l’Univers, la force de ce champ scalaire a diminué beaucoup moins vite que le champ de gravitation. Plus le temps passait, plus la différence était grande. Alors que l’Univers s’étendait, la force de ce champ scalaire total a augmenté exponentiellement puisque l’énergie totale est conservée en chaque point.

Dans la théorie standard du Big Bang, l’énergie de la matière diminue au cours de l’expansion, et l’énergie de la gravitation, qui est négative, augmente. L’expansion décélère progressivement. En revanche, avec le champ scalaire qui est toujours présent et prend même de plus en plus d’importance, l’expansion accélère exponentiellement. C’est l’inflation.

La Recherche : Quand s’est-elle produite ?

Andrei Linde : Il y a de nombreux modèles d’inflation. Tous situent ce moment vers 10-35 seconde après le Big Bang. Cette phase ne peut pas durer longtemps. Elle s’arrête, car le champ scalaire ne peut pas diminuer indéfiniment. Il se stabilise lorsqu’il atteint un minimum d’énergie qui n’est pas nul et se transforme en champ de particules. L’expansion reprend ensuite un rythme normal comme dans la théorie standard du Big Bang. Mais l’Univers n’a alors plus du tout la même taille. Dans les modèles d’inflation les plus simples, cette taille dépasse 10100 000 centimètres. C’est énorme quand on la compare à la partie observable de l’Univers, qui est de 1028 centimètres. C’est pourquoi la structure de l’espace visible nous paraît plate et pourquoi l’Univers visible est homogène et isotrope, c’est-à-dire le même dans toutes les directions. L’Univers est tellement grand que notre vision ressemble à celle que possède un observateur terrestre fixe. Il voit un horizon plat, pense que la Terre est plate, car il ne voit qu’une infime partie du Globe. Ses sens le trompent.

La Recherche : En fait, l’Univers n’est pas si homogène que cela, puisqu’il y a des galaxies, des étoiles, et même des gens comme nous qui réfléchissons à l’histoire de l’Univers !

Andrei Linde : Oui, heureusement. Les équations décrivant le champ scalaire qui a engendré l’inflation sont sensibles à un terme apparenté à une friction, une viscosité. À la fin de la phase d’inflation, le champ scalaire était tellement visqueux que les petites fluctuations quantiques qui le parcouraient se sont gelées. Elles se retrouvent dans le rayonnement de fond cosmologique émis 380 000 ans après le Big Bang. Ces inhomogénéités ont formé les grandes structures que nous observons actuellement.

Mais vous avez raison, l’Univers dans son ensemble n’est pas du tout homogène ! Notre modèle d’inflation éternelle implique que d’autres fluctuations du vide quantique ont continué à produire d’autres univers inflationnaires, d’autres bulles d’univers. Dans son ensemble, l’Univers est une énorme fractale en expansion. Chaque bulle est née d’une valeur différente du minimum du champ scalaire, car comme dans une chaîne de montagnes où les massifs sont séparés par des cols de différentes altitudes, les minima ne sont pas identiques. Loin de là. Selon les modèles de la théorie des cordes, il y aurait plus 101 000 possibilités de minima d’énergie. Et ainsi 101 000 univers différents et 101 000 possibilités de lois physiques !

La recherche : Des bulles naîtraient encore aujourd’hui ?

Andrei Linde : Bien sûr, l’Univers-bulles est en perpétuelle création. Il ne faut pas considérer le début de notre Univers au moment de la singularité du Big Bang, ce qui gêne tous les physiciens, mais au moment de l’inflation elle-même. L’Univers, dans son ensemble, n’a pas de début ni de fin, et sa taille est infinie car des bulles se créent sans cesse. C’est cela l’inflation éternelle.

La Recherche : Pourrions-nous voir des univers se former à l’intérieur du nôtre ? 

Andrei Linde : Rien n’interdit qu’en n’importe quel endroit, même ici dans cette pièce, un nouvel univers se matérialise d’un coup et commence à s’étendre. Mais en relativité générale l’Univers a un contenu fixe d’énergie. Il s’étend à partir de ses propres ressources. De l’extérieur, il ne serait toujours qu’un point immatériel. Nous ne le verrions pas. Donc, rien ne nous dira jamais si c’est vrai. C’est évidemment très spéculatif

La Recherche : C’est aussi le cas de votre théorie des univers-bulles. Vos détracteurs vous accusent d’évoquer des hypothèses invérifiables et qualifient votre travail de métaphysique. Que leur répondez-vous ?

Andrei Linde : Qu’ils se trompent. C’est de la science très sérieuse. Elle s’appuie sur la théorie des cordes, qui est très compliquée. De ce point de vue, vingt-cinq ans de travail n’y ont rien changé. Mais grâce à elle on peut calculer quelle est la probabilité de passer d’un minimum d’énergie à un autre. Et donc quelles sont les caractéristiques des univers possibles. Ce n’est pas de la métaphysique, mais un ensemble d’équations qu’il nous faut résoudre. Cela ressemble à la question : pourquoi suis-je né à Moscou ? Je n’ai évidemment pas la réponse. En revanche, je sais que je suis né quelque part. C’est un fait et une condition initiale. Toutes les réflexions qui en découlent auront à prendre en compte cette donnée. Par exemple, si je regarde autour de moi et m’aperçois que tout le monde parle américain, je vais essayer de comprendre ce qui s’est passé. L’américain est-il la langue universelle ? Les Américains ont-ils envahi la Russie ? Suis-je exilé aux États-Unis ? Les options sont diverses. C’est le même raisonnement qu’il faut mener à propos des lois de la physique.

Le débat sur leur unicité n’a pas lieu d’être. On se pose la mauvaise question. Notre bulle d’Univers a des caractéristiques bien précises, comme le rapport des masses des différentes particules, celui des différentes forces ou les valeurs des constantes universelles. Pourquoi ? Mystère. Ce sont des données qu’il faut prendre en compte. On peut d’un autre côté se demander comment la bulle est apparue, ce qui l’a fait émerger. C’est ce que nous faisons. Nos travaux nous conduisent à l’existence d’un champ scalaire, générateur d’une phase d’inflation de notre bulle d’Univers et à l’origine d’autres bulles aux propriétés différentes. Il n’y a donc unicité des lois de la physique que dans chaque bulle. Ailleurs, les lois sont différentes, le nombre de dimensions diffère.

La Recherche : Si l’on vous suit bien, il ne sert donc à rien de se demander pourquoi notre Univers possède 3 + 1 dimensions et non 8 ou 10 ?

Andrei Linde : Exactement. Le fait est qu’il possède trois dimensions d’espace et une de temps. Ce qui permet l’existence des planètes et des êtres vivants. Mais les possibilités de minima d’énergie du champ scalaire sont tellement nombreuses que beaucoup de bulles d’univers ont plus de dimensions et n’ont sûrement pas vu se créer d’atomes. Il suffit de modifier à peine la valeur de la force nucléaire pour que les atomes de carbone ou d’oxygène ne puissent pas se former.

De nombreux physiciens refusent cette vision du monde, car ils sont, selon moi, comme la plupart des gens sur cette planète : ils veulent absolument une réponse et une seule, une raison à leur existence. Mais la réalité n’est pas si simple. Nous sommes là où les conditions l’ont permis. Notre théorie tient la route et doit continuer à être testée. Cela ne veut pas dire que nous ayons raison, mais elle est aujourd’hui la seule réponse valable aux problèmes que connaît la théorie standard du Big Bang.

La Recherche : La théorie de l’inflation est-elle prédictive ?

Andrei Linde : C’était le reproche le plus courant au début des années 1980. Pourtant, dès 1981, les Russes Viatcheslav Mukhanov, aujourd’hui professeur à Munich, en Allemagne, et G. V. Chibisov ont prédit que les traces de l’inflation seraient visibles dans les fluctuations thermiques du rayonnement de fond cosmologique. Cela se traduisait par une courbe qui trace la taille de ces fluctuations, ce que nous appelons le spectre de puissance. Il a fallu attendre les résultats du satellite Cobe en 1992, et surtout ceux de WMAP en 2003 pour se rendre compte de la force de la théorie. La courbe observée colle presque point par point à celle prédite par mes deux collègues russes.

La Recherche : Cette seule prédiction est-elle suffisante, sachant qu’il y a encore des problèmes dans les grands angles ?

Andrei Linde : C’est que la théorie n’est pas encore complète. Les données que récupérera le satellite Planck à partir de 2007 nous forceront à affiner nos modèles. Pour moi, il y a deux façons de faire avancer la science, de prouver une théorie. D’un côté, l’explication, de l’autre la prédiction.

Quand vous enquêtez sur un meurtre, vous avez deux solutions pour convaincre. Soit vous apportez des preuves tangibles, soit vous proposez des scénarios qui expliquent tous les points du drame. L’un d’entre eux est meilleur que les autres. Une prédiction qui se réalise est un argument beaucoup plus fort, mais une reconstitution est aussi souvent une preuve à charge. Nous autres, physiciens, sommes des gens pragmatiques. À partir des données que nous avons, nous construisons un ensemble de modèles qui fonctionnent. Quand de nouvelles données arrivent, nous affinons nos modèles afin de sélectionner le meilleur ou en construire un qui explique encore mieux les données. L’inflation est la seule théorie qui explique la platitude de l’Univers, son homogénéité et son isotropie.

Propos recueillis par Jacques-Olivier Baruch