Dans nos vies, comme dans nos romans, nous nous autorisons toutes les curiosités…
Cherchant toujours à gratter le miroir fallacieux des apparences, nous apprécions plus particulièrement tous les phénomènes, objets et situations, qui génèrent une nouvelle question à chaque réponse.
Les disques de Nebra et de Phaïstos symbolisent la quintessence même de ces interrogations qui se démultiplient à l’infini.
Chacun de ces objets est unique dans son genre. Il nous questionne, nous dérange, nous déstabilise.
Présentons-les rapidement.
Le disque de Nebra (en haut dans l’image) est un disque de bronze de 32 centimètres de diamètre et pesant 2 kg. Il a été découvert par des fouilleurs clandestins en juillet 1999 à Nebra-sur-Unstrut en Allemagne. Il daterait d’environ 1600 avant notre ère (période de transition entre le Bronze ancien et le Bronze moyen en Europe). Il est conservé au Musée de Préhistoire de Halle, en Allemagne.
L’objet étant unique et très étonnant, certains archéologues ont supposé qu’il aurait été fabriqué par un faussaire. Toutefois, l’étude microscopique de sa patine révèle qu’il est incontestablement extrêmement ancien. La taille des cristaux d’oxydation étant proportionnelle à la lenteur de leur formation, ceux du disque seraient beaucoup trop importants pour être d’origine artificielle. Par ailleurs, d’autres objets, des bracelets et des épées de bronze, ont été exhumés au même endroit que le disque de Nebra.
Ce dernier se présente sous la forme d’une plaque circulaire sur laquelle se détachent, en plaques d’or incrustées, des points supposés être des corps célestes et d’autres motifs.
Il pourrait s’agir d’une représentation du ciel pour un observateur qui se serait situé en Allemagne à l’apparition des Pléiades, il y a 3 600 ans. Ce serait jusqu’à ce jour la représentation la plus ancienne de la voûte céleste jamais retrouvée. L’archéologue allemand Harald Melle la qualifie de « ciel étoilé automnal ».
On y distingue aussi sur le côté droit un arc de 82 degrés (et la trace d’un autre disparu, sur le côté gauche) qui pourrait représenter l’écart entre les points de l’horizon où le soleil se lève, ou se couche, aux solstices d’été et d’hiver. La valeur de cet angle correspond relativement bien à la latitude du lieu de la découverte. Un autre élément intéressant du site de Nebra est qu’au solstice d’été, le soleil se couche derrière le sommet du Brocken, sommet le plus haut de la partie nord de l’Allemagne, situé à environ 80 km au Nord-Ouest de là. Cet élément permet d’imaginer un alignement possible du disque avec l’arc latéral subsistant orienté vers l’Ouest.
De l’autre côté du disque, à l’opposé, un autre arc représenterait soit une barque solaire, soit la Voie lactée.
Le disque serait en quelque sorte une encyclopédie astronomique recueillant plusieurs des savoirs de l’âge du bronze propres à cette région de l’Europe. Les astronomes de cette époque auraient donc eu des connaissances astronomiques plus avancées que ce que l’on croyait jusqu’à maintenant.
Le disque de Phaïstos (en bas dans l’image) a quant à lui été découvert en 1908 à Phaïstos, ancienne ville du sud de la Crète, par l’archéologue italien Luigi Pernierre. Son diamètre est de 16 centimètre et son épaisseur varie entre 16 et 21 millimètres.
Il est recouvert de plus de 200 symboles de 45 types différents. Son déchiffrement est rendu quasiment impossible car il est l’unique exemplaire (c’est donc un hapax archéologique) et son système d’écriture est parfaitement inconnu.
Sa principale caractéristique : les étranges symboles dont il est recouvert sont fait par des tampons et n’ont donc pas été gravés ou incisés, chose étonnante pour un disque en argile cuite.
Les chercheurs ne connaissent pas encore la signification du disque, mais ils savent que son impression a été effectuée de l’extérieur vers le centre, et qu’il a été corrigé plusieurs fois. Tous les signes ont été imprimés un à un dans de l’argile molle avec des sceaux ou des poinçons. Le disque a été façonné à la main, comme en témoignent les nombreuses empreintes digitales qui le couvraient lors de sa découverte.
Pendant le Minoen Moyen (2000 av JC, période protopalatiale) Phaïstos au sud de la Crète et Cnossos au nord sont des centres politiques, économiques et culturels. L’île regorge d’oliviers et de vignes et commercialise ses richesses dans toute la Méditerranée. Trois rois règnent alors sur les villes principales de la Crète, Cnossos, Mallia et Phaïstos. La Crète joue un rôle d’intermédiaire entre les peuples de la mer Egée.
Vers 1700 av JC, elle subit un grand tremblement de terre qui détruit ses palais. Ils seront reconstruits cinquante ans plus tard et marqueront ainsi le début d’une nouvelle ère : le Minoen Récent.
Le cadre historique étant sommairement brossé, revenons à notre énigmatique disque gravé.
Le disque de Phaïstos comporte 241 signes au total, dont 45 différents. Certains de ces signes sont facilement identifiables comme objets courants.
Les signes ont été numérotés par Arthur Evans de 01 à 45, cette numérotation étant une convention utilisée par la plupart des chercheurs.
Certains signes rappellent des caractères du Linéaire A. D’autres chercheurs trouvent des ressemblances avec les hiéroglyphes louvites, ou égyptiens. De son côté, J. Faucounau a défendu la thèse d’une écriture particulière -et éphémère- inspirée à un peuple proto-ionien établi dans une île du sud des Cyclades, par les hiéroglyphes d’Egypte.
Établir la datation d’un tel objet n’est pas simple. L’absence de matière organique interdit le recours à la datation au carbone 14. Deux techniques sont principalement utilisées. La première consiste à le mettre en relation avec des objets similaires datés de manière sûre. Ici c’est impossible puisque l’objet est unique. La seconde se base sur l’âge de la strate où a été découvert l’objet. Cela est difficile, car celle-ci a été partiellement bouleversée au cours des ans.
D’interrogations en supputations, on considère généralement que le disque de Phaïstos date, soit du XVIIe siècle av JC, soit du XIVe siècle av JC, c’est à dire la date de l’abandon du site de Phaïstos par ses habitants.
Le nombre de signes et la taille des mots font penser à une écriture syllabique. Par ailleurs, le texte ne semble pas contenir de nombres. Une suite de trois cases est répétée sur une face et trois cases identiques, ayant la même suite de signes, apparaissent dans le texte. L’hypothèse qu’il s’agisse d’un nom propre ou de celui d’une divinité a donc été avancée.
De très nombreux essais de déchiffrement ont été proposés depuis la découverte du disque en 1908, partant de diverses hypothèses. Le disque a été ainsi supposé originaire de Crète, des Cyclades, d’Anatolie, de Chypre, de Rhodes, d’Égypte, d’Afrique, de l’Inde, de Chine et même d’une Atlantide. Il a été lu de droite à gauche, de gauche à droite, et même dans les deux sens à la fois. Les divers déchiffrements proposés ont supposé qu’il était écrit en grec, en hittite, en louvite, en basque, en ancien égyptien, en sumérien, en latin, en germanique, et dans divers dialectes sémitiques. En désespoir de cause, certains auteurs ont supposé qu’il s’agissait d’un calendrier, d’une partition de musique, d’un document astronomique, d’un objet astrologique, ou même d’un faux.
Tout ceci demeure, naturellement, totalement invérifiable.
Les spécialistes sérieux pensent qu’aucun déchiffrement ne pourra être obtenu tant que le disque restera un hapax.
Nous vous laissons face à ces deux disques qui émergent des ténèbres et nous convient à l’humilité.
Puis à la curiosité.
Et enfin à l’émerveillement.
On ne sait pas tout. On ne saura jamais tout. Et c’est très bien ainsi…