Artamène ou Le Grand Cyrus

Artamène ou le Grand Cyrus : une grande histoire...

Dès le début du mois de Juillet, on voit fréquemment sur les plages des vacanciers courageux qui s’efforcent d’oublier les ardeurs du soleil en se plongeant dans la lecture de romans dont l’épaisseur impressionne : 700 pages, 900 pages. Parfois mille pages…

Nous n’avons aucune leçon a donnée, car notre premier roman étant riche de 190 000 mots, cela fait environ 750 pages dans un format traditionnel.

Toutefois, ces « pavés » sont des nains littéraires (dans une approche quantitative au moins) en comparaison des grands romans du XVIIe siècle.

Le plus connu -« L’Astrée » écrit par Honoré d’Urfé et publié entre 1607 et 1627- nous importe tout particulièrement car son héroïne a un rôle très important dans « Cathédrales de brume ».

Et ce rôle ne fera que croître dans les deux romans qui complèterons ce « triptyque de l’abîme ».

L’Astrée est un roman pastoral qui est souvent définit comme étant « le Roman des romans ». Ceci est naturellement lié à sa taille : 5 400 pages… mais aussi au fait qu’on le considère comme le premier roman-fleuve de la littérature française avec ses 40 histoires s’imbriquant en une étonnante mosaïque d’intrigues amoureuses où le séduction et la jalousie trônent sans cesse.

Mais L’Astrée ne fut pas seul.

Le XVIIe siècle symbolisa rapidement le vivier d’une littérature « héroïque et précieuse » dont les principaux artisans furent Marin Le Roy de Gomberville (1600-1674) et Gautier de Costes de La Calprenède (1614-1663).

Le premier écrivit Carithée (1621), puis Polexandre (5 volumes, 1632-1637). Le second, qui fut aussi connu pour ses tragédies et tragi-comédies, fut l’auteur prolifique de Cassandre (1642-1645) en 10 volumes, Cléopâtre, la belle Égyptienne (1646-1658) en 12 volumes et Faramond ou l’Histoire de France dédiée au Roy (1661-1670) en 7 volumes. L’œuvre demeura inachevée.

Cette volonté affichée et revendiquée de composer des intrigues sans fin trouva même sa place au théâtre.

L’exemple le plus connu est celui d’une tragédie se décomposant en huit « poèmes dramatiques » de cinq actes chacun, soit 40 actes et 12 000 vers…

Ce « monstre théâtral » fut écrit au début du XVIIe siècle par Alexandre Hardy ; son titre « Les Chastes et loyales amours de Théagène et Chariclée ». Basée sur le roman grec d’Héliodore, cette tragédie est naturellement injouable en raison de sa longueur qui rebuterait les spectateurs les plus motivés.

Toutefois, les romans les plus connus pendant cette période (hormis « L’Astrée ») sont ceux de Madeleine et Georges de Scudéry.

On attribue généralement la part la plus importante de ce colossal travail à Madeleine de Scudéry.

Ses trois plus célèbres « épopées » sont : Ibrahim ou l’Illustre Bassa (1641-1642), Clélie, histoire romaine avec sa célèbre carte du Tendre (dix volumes entre 1654 et 1660) et Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653).

Nous allons nous intéresser à ce dernier qui demeure incontestablement le plus long roman de toute la littérature française…

En effet, Artamène ou le Grand Cyrus comporte 13095 pages dans l’édition originale. Celle-ci est répartie en dix tomes (ou parties), divisés chacun en trois livres.

La narration met en scène près de quatre cents personnages, dans une intrigue complexe organisée par l’alternance d’une histoire principale (histoire cadre) et d’histoires secondaires (histoires intercalées), régulièrement réparties au fil des dix tomes. Le contenu narratif est double : l’histoire principale (celle de Cyrus et Mandane) et une impressionnante série d’histoires secondaires.

L’histoire principale narre les multiples péripéties de la longue conquête amoureuse de Cyrus -le célèbre roi de Perse vivant au VIe siècle av J.C.- auprès de la princesse Mandane. Les principaux obstacles à cette conquête sont d’ordre interne (les réticences de Mandane) et externe (l’opposition parentale, puis les actions des rivaux). Par ailleurs, en cherchant à séduire, puis à retrouver Mandane, Cyrus est amené à entreprendre une série de conquêtes militaires qui font chacune l’objet d’un récit détaillé.

La narration fait dès lors appel à un substrat de références historiques provenant d’Hérodote et de Xénophon, essentiellement les noms de lieux, de personnages, et la succession d’événements que l’histoire a généralement validée. Toutes ces données consolident un récit qui, pour le reste, ne tient pas vraiment compte de la chronologie.

La présentation de l’histoire n’est pas linéaire car le récit commence « in medias res ». Le lecteur se trouve donc directement immergé dans l’action sans connaître l’origine des conflits et passions qui parsèment l’intrigue

Le déficit d’information du lecteur est donc compensé par le biais de retours en arrière ou de développements latéraux sous la forme d’histoires narrées par l’un des personnages de l’histoire principale. Celles-ci sont présentées comme des unités autonomes et sont mises sur le même plan que les histoires secondaires. L’histoire de Cyrus et de Mandane représente donc approximativement la moitié du roman.

L’autre moitié du roman est occupée par des histoires secondaires qui impliquent des personnages de second plan de l’intrigue ou dont les apparitions sont épisodiques. Ces histoires ne contribuent guère à la progression de l’intrigue principale. Toutefois, elles ne lui font pas concurrence en raison de leur dimension restreinte et de leur caractère clos.

En dépit de son organisation gigantesque et labyrinthique, le contenu narratif correspond à une matière romanesque familière au lecteur actuel, telle que récits d’événements, scènes, dialogues des protagonistes, descriptions de lieux ou de personnages.

Toutefois la nature de ces éléments repose très souvent sur des stéréotypes du roman héroïque, baroque et précieux de l’époque : enlèvements de l’héroïne, fausses morts, duels, tempêtes, lettres, oracles, monologues des héros, etc.

Certains des lecteurs de notre blog se demandent peut-être, à cet instant, pour quelle raison nous mettons en lumière un roman écrit il y a 350 ans et qui n’a pas été réédité depuis des siècles en raison de son ahurissante longueur.

L’intérêt de cette épopée perse en forme d’uchronie (l’histoire fait ostensiblement référence à une réalité et à des événements contemporains au règne du Roi Soleil) n’est pas lié à ses qualités littéraires. Ce qui nous fascine ici se singularise essentiellement à travers une volonté de « tout raconter ».

Naturellement, tout raconter est impossible et nous en avons fait l’abrupt constat en nous efforçant de narrer une histoire s’éternisant sur trois millions d’années… Mais si cette ambition ahurissante est systématiquement vouée à l’échec, la tentative est excitante.

Narrer une très longue histoire dans le détail n’implique pas seulement un désir d’exhaustivité qui symboliserait en soi une finalité parfaitement inféconde. Le réel intérêt de la démarche se résume en une phrase toute simple : chaque réponse est une nouvelle question… Si vous faites le choix de vous approprier totalement cette expression, vous découvrirez rapidement qu’elle donne un sens congru à l’existence.

Elle justifie à elle seule tous les efforts que les êtres humains font parfois afin de « hausser le réel d’un ton » comme le synthétisait Bachelard.

Grâce aux romans labyrinthiques de Madeleine de Scudéry, toutes les réponses deviennent de nouvelles questions. La mise en abyme est totale.

Et c’est à cet instant précis que le processus littéraire devient passionnant, car il nous pousse à observer et analyser enfin la partie invisible de l’iceberg de la Vie.

Celle que l’on occulte, parfois, pendant toute notre existence. Celle qui fascine.

Celle qui fait peur…

Un commentaire sur “Artamène ou Le Grand Cyrus

  1. Personnellement j’aime les romans épais, les romans-monde, ceux qui embrassent des périodes entières et s’attachent au contexte historique, sociétal. Par nature, de telles approches ne peuvent se réduire en 100 ou 200 pages. Certes, 13000 pages semblent une démesure totale, dans laquelle le lecteur a quand même sûrement du mal à garder le fil, d’autant si l’ouvrage n’est pas conçu sur une logique de xxx-logie dans laquelle chaque volume a une certaine autonomie.
    Pour ma part, mon dernier roman Les Tétraèdres, est une fresque rétro-historique (à couleur fantastique et uchronique) qui remonte sur 20000 ans, jusqu’à l’Homme de Neandertal. 36 escales, 5 continents, 4 océans, de multiples personnages, ce qui explique les 1274 pages à l’arrivée (2500000 caractères).
    La qualité ne se juge évidemment pas au poids, heureusement, mais il existe toutefois un adage fréquemment vérifié : « vite lu, vite oublié ». A contrario, si on se penche en arrière, on se remémore bien souvent davantage quelques romans-fleuve, dont l’histoire vous a embarqué un bon bout de temps, que de centaines de nouvelles ou romans rapides ingurgités au hasard du temps, des transports ou de l’ennui.

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