Leucochloridium paradoxum & Cordyceps unilateralis : deux monstres fascinants

Le monde fourmille de créatures étranges...

Celles et ceux qui lisent régulièrement les articles de notre blog savent désormais que nous aimons gratter systématiquement la fine pellicule du visible afin d’explorer les méandres et les fastes de l’invisible.

Cette « manie » apparaît très clairement aussi dans nos romans…

Nous vous proposons aujourd’hui l’examen de deux créatures extrêmement étranges. Simultanément fascinantes et affolantes, elles confirment l’ahurissante gothicité de la Vie lorsque l’on prend la peine de regarder un peu plus loin que le bout de notre nez. Nous précisons que le descriptif de ces deux « charmantes » créatures s’inspire très largement du site Axolot (en référence à l’axolotl, un autre animal déroutant. Lui aussi…).

Examinons d’abord le cas du Leucochloridium paradoxum.

Derrière ce nom barbare se cache un ver parasite au cycle de vie hallucinant.

Les leucochloridium paradoxum ne peuvent se reproduire que dans le système digestif des oiseaux où ils atteignent leur forme adulte. Ils pondent alors des œufs, qui sont expulsés dans la nature avec les fientes de leur hôte. Une fois que les larves éclosent, leur seul problème est le suivant : « comment revenir à l’intérieur d’un oiseau ? ».

Pour y parvenir, elles suivent un plan particulièrement tordu. Et redoutablement efficace ! Tout d’abord, elles attendent qu’un escargot veuille bien consommer la déjection dans laquelle elles se trouvent. Une fois à l’intérieur du gastéropode, les larves remontent le système digestif de ce dernier pour aller se loger… dans ses yeux ! C’est alors qu’un phénomène impressionnant se produit : en grandissant, les larves transforment l’œil de l’escargot en excroissance multicolore qui évoque irrésistiblement la forme d’une chenille. Les oiseaux se jettent alors sur ce qu’ils croient être une proie, absorbant au passage une nouvelle escouade de vers prêts à se reproduire.

Le cycle peut ensuite recommencer…

Seconde créature au processus de survie hallucinant : Cordyceps unilateralis, que l’on décrit parfois comme un… « hacker de cerveau » !

Ce parasite astucieux n’est pas un animal, mais un champignon.  

Les spores du cordyceps unilateralis se déposent spécifiquement sur la surface externe de la fourmi, où elles germent tranquillement. Elles pénètrent ensuite le corps de l’insecte en passant par ses orifices respiratoires. Le champignon va alors grandir à l’intérieur de la fourmi, déployant des filaments qui vont absorber les tissus mous de l’hôte, tout en évitant soigneusement ses organes vitaux. Quand le champignon est prêt à se reproduire, ses filaments poussent jusque dans le cerveau de l’insecte, avant de produire une substance qui va altérer la façon dont la fourmi perçoit les phéromones.

Ce piratage chimique va pousser la fourmi à grimper au sommet d’une plante, ou elle utilisera ses mandibules pour se cramponner fermement à la tige. C’est à ce moment que le champignon dévore le cerveau de la fourmi, tuant instantanément son hôte. Ensuite, le cordyceps va se mettre à pousser depuis la tête de la fourmi en passant par les jointures de son exosquelette.

Une fois mûr, il laisse échapper des petites capsules remplies de spores, qui à leur tour iront infecter d’autres fourmis.

Impitoyable et parfaitement efficace, le cycle de la vie se poursuit.

Les stupéfiantes et très cruelles stratégies élaborées par ces êtres qui parasitent leurs hôtes, vivent en symbiose avec eux, puis les tuent, démontrent éloquemment la foisonnante diversité des adaptations à la survie de telle ou telle espèce.

L’Homme s’en inspire parfois. Au niveau de la cruauté par exemple… Et les récentes images d’exécutions et de lapidations en public en Somalie n’en constituent qu’un exemple parmi quelques milliards !

Hélas -et c’est en partie le sujet de « Katharsis », notre second roman qui est paru en Mars 2010- et de notre essai intitulé : « Les métamorphoses d’Eros« , cette ingéniosité presque sans limite est en train de s’aheurter à un obstacle infranchissable : notre aveuglement suicidaire.

Les affligeantes conclusions du Sommet de Copenhague et de la Conférence de Doha l’illustrent parfaitement : après les grandes envolées mystiques, la lie du quotidien et les exigences de la politique l’emporteront. Et la montagne accouche toujours d’une souris.

Conséquence directe de ces tristes rodomontades : nos descendants vivront beaucoup plus difficilement que les lucifériens cordyceps unilateralis et leucochloridium paradoxum.

Tant mieux pour eux… et tant pis pour nous !

Voir le Monde dans un grain de sable et tenir l’infini dans la paume de sa main…

Voir l'univers dans un grain de sable demande peu d'efforts... et beaucoup d'amour !

Dans nos romans comme dans nos vies, nous cherchons toujours à observer le monde en nous situant au-delà des apparences. C’est ce que nous définissons dans « Katharsis » comme une vision holistique du monde.

Nous traitons beaucoup plus largement ce thème dans notre nouveau livre, un essai intitulé : « Les métamorphoses d’Eros ». Nous y reviendrons dès que nous aurons trouvé un éditeur…

En attendant, nous proposons à celles et à ceux qui nous font l’honneur de visiter régulièrement notre blog de découvrir un extrait inédit de « Katharsis ». Ce passage a été éliminé au dernier moment afin de ne point ralentir le processus dramatique dans un thriller écologique soumis à une menace apocalyptique.

L’intrigue se déroule aux Iles Salomon (situées à l’est de la Papouasie Nouvelle-Guinée et juste sous l’équateur) quelques jours après l’annonce du chantage orchestré par le groupe écoterroriste qui se fait appeler « Katharsis ».

Bonne lecture…

Iles Salomon  – 13 Juillet 2033

Des soufflements réguliers se répondent en écho à la surface de l’eau depuis quelques instants. Fusiformes et luisantes, les silhouettes familières émergent enfin en entamant un ballet magistral.

Kirk Douglas et Harrison Ford observent les dauphins qui parcourent l’étroit bras de mer séparant les îles de Sambulo et de Lumalihe. Finissant de polir les nguzunguzus qu’ils ont façonnés à l’attention de Jefferson Knight, les deux habiles sculpteurs interrompent ainsi leur travail à chaque fois qu’une cohorte de cétacés se faufile dans le capharnaüm d’îlots émaillant le lagon de Marovo.

Fréquemment considéré comme étant l’une des « Sept merveilles » du monde naturel, cet immense lagon qui encercle le sud-est de la rugueuse et volcanique île de Nouvelle-Géorgie constitue l’un des sites les plus emblématiques des îles Salomon.

L’un des plus fragiles et des plus convoités aussi.

–           « Tu vois captain Jefferson, commence Harrison Ford, lorsque le souffle rauque des dauphins résonne dès le matin, c’est le signe d’une belle journée qui commence ».

–           « J’en accepte bien volontiers l’augure » sourit Jefferson Knight que ses deux amis mélanésiens appellent captain sans aucune malignité.

D’origine néo-zélandaise, Jefferson vit six mois par an à bord de son yacht, le Pandora box. Durant l’été austral, il emmène quelques touristes fortunés en croisière vers les îles subantarctiques qui s’échelonnent du sud de la Nouvelle-Zélande jusqu’aux prémices du continent Antarctique.

Il organise passagèrement ainsi d’étranges odyssées parsemées d’icebergs. Ces déambulations ont pour objectifs les îles Macquarie, Scott, Campell, Auckland ou Ballenny. Parfois, lorsque ses clients sont réellement très fortunés et très motivés, il les conduit jusqu’aux îles Heard et Mac Donald. Un voyage de 6 000 kilomètres qui permet à ses hôtes de découvrir des eaux indigo et de s’extasier face à la grandiloquente beauté de l’île Heard.

Impérialement dominée par le Mawson Peak qui culmine à plus de 2 700 mètres, cette île impressionne tous les scientifiques et les quelques touristes qui obtiennent l’autorisation de gravir ses flancs sculptés de glaces scintillantes. Parfaitement surréaliste en ces lieux où naissent les pires tempêtes que l’esprit humain puisse concevoir, le long cordon de sable qui met en scène une étroite péninsule en forme de doigt dressé vers l’est apporte une touche cocasse à ce panorama pétrifié. Quant au volcan qui trône au sommet de ce paradis antarctique oublié, son sommet perpétuellement ennuagé renforce encore la beauté sauvage de l’île.

Lorsque l’hiver austral rend ces navigations périlleuses, Le captain Jefferson Knight remonte vers l’équateur afin de se ressourcer chez ses amis des îles Salomon, et plus particulièrement vers ses vieux camarades sculpteurs du village de Nggasini. C’est là qu’il a forgé depuis plus de quinze ans d’inébranlables liens d’amitié avec Kirk Douglas et Harrison Ford.

De leurs vrais noms Wawari Inoke et Sofu Tausinga, Harrison et Kirk perpétuent une vieille tradition solidement ancrée chez les sculpteurs-artistes du lagon de Marovo : s’approprier, non sans malice, le nom d’un acteur hollywoodien en guise de surnom, ce dernier devenant progressivement ainsi un patronyme à part entière. Cela avait commencé dès les années 1970 avec l’émergence de John Wayne (le grand-père de Wawari Inoke, alias Harrison Ford) et cette innocente usurpation d’identité perdure toujours.

–           « Regardez ! reprend Harrison Ford, deux requins citron suivent à quelques encablures ».

Le soleil ayant enfin décidé de s’extirper du chapelet de nuages qui folâtraient jusque là sans complexe, l’opalescence des eaux du lagon se révèle pleinement à cet instant. Mêlant inextricablement des tonalités vertes, parme et azur, la surface miroite, extirpant de la chair même de l’océan des raffinements chromatiques que l’artiste le plus doué ne peut reproduire sans crainte d’amoindrir la puissance sensuelle et crue de l’original.

–           « La Beauté est le moteur du monde ; sa raison d’être  » soupire captain Jefferson en laissant ses sens et son âme s’imprégner de cette harmonie ancestrale que la mondialisation n’a pas encore totalement recouverte de pétrole et de boue.

–           « Et la Beauté sauvera le Monde » affirme Kirk Douglas en caressant machinalement la tête du nguzunguzu qu’il vient d’achever.

–           « Le monde désire être sauvé, poursuit Harrison. Mais l’Homme désire-t-il poursuivre encore l’odyssée de la Vie ».

–           « Que veux-tu dire ? » s’inquiète son ami néo-zélandais qui sait très bien que les deux sculpteurs mélanésiens ne parlent jamais à la légère.

–           « Regarde ce nguzunguzu. Détaille chaque inclusion de nacre, chaque courbe. Chaque imperfection… ».

Docilement, le propriétaire du Pandora box examine l’œuvre que le petit-fils de John Wayne lui pose entre les mains.

Il satisfait d’abord son sens tactile avant d’émerveiller son regard.

Le bois blond et dense est soyeux sous la paume de la main. Une simple caresse semble prompte à l’éveiller, métamorphosant ainsi un bois inerte en indicible appel. Un écho lointain rameutant mille légendes issues d’une civilisation oubliée. L’âge des anciens aux yeux pailletés d’or et parlant avec les requins, les plantes et les volcans. L’âge des divinités telluriques, du culte de la Grande Déesse. Un âge d’or foulé aux pieds depuis quelques siècles déjà.

Comblant simultanément son sens esthétique et une certaine jouissance visuelle, il analyse posément cette étrange figurine.

Très caractéristiques de l’art accomplit et serein des sculpteurs du lagon de Marovo, les nguzunguzus s’arrachent désormais à des prix exorbitants dans le monde entier. Figures de proue ornant les pirogues mélanésiennes, ces sculptures avaient un rôle symbolique essentiel : protéger la vie des occupants de l’embarcation lors des expéditions inter-îles qui permettaient d’accroître l’empire de chaque tribu sur ses voisins tout en assurant un riche butin.

Naturellement, la fonction rituelle et guerrière de ces objets minutieusement décorés est depuis longtemps détournée de son objectif rituel initial. Objets de convoitise, les nguzunguzus assurent une relative aisance financière aux sculpteurs et à leurs familles, tout en ravissant des touristes friands d’exotisme et de retour aux sources de l’humanité. Attitude surprenante, schizophrénique même, alors que l’on constate que la quasi-totalité des civilisations vivant encore à l’unisson de la Nature ont été détruites ou aveulies.

Suivant les courbes élégantes et tendues de la figurine qui se niche au creux de ses mains, captain Jefferson examine cet étrange visage allongé mimant un profil de canidé. Le tour des yeux, les pommettes, la mâchoire et les lobes d’oreilles, sont garnis d’inclusions de nacre prélevées sur des nautiles et délicatement incrustées dans le bois aux tons chauds.

Le voyageur néo-zélandais se retourne vers Harrison.

–           « Ce nguzunguzu est une merveille ! ».

–           « Je te remercie, captain. Mais ce n’est pas un compliment que je désirais. As-tu observé l’intérieur de cette sculpture ? ».

–           « L’intérieur ! Mais comment pourrais-je ? C’est du bois massif… ».

L’homme sourit légèrement en dégageant une dentition rongée par les abus de bétel.

Les coloris carmin et lie de vin jonchant les derniers chicots restants explicitent ce désastre dentaire.

–           « Les occidentaux sont experts lorsque il convient d’analyser la surface des choses, des êtres, ou des éléments que la Nature met à notre disposition. A l’inverse, vous paraissez mal à l’aise lorsqu’il faut appréhender l’essence même des choses ; leur lumière interne ».

–           « Tu veux dire que de ce nguzunguzu émane une lumière propre qui l’identifie par rapport aux autres objets et qui synthétise ses relations avec le Monde ? ».

–           « Exactement ».

–           « Ceci me remet immédiatement en mémoire les premiers vers d’ »Auguries of Innocence », l’un des plus beaux poèmes de William Blake ».

–           « C’est-à-dire ? ».

–           « Prophétiquement, notre graveur, peintre et poète, évoquait l’étroite connivence qui relie le regard et la lumière, l’être et la Nature, le microcosme et le macrocosme. William Blake écrivait : « Voir le Monde dans un grain de sable et le Ciel dans une fleur sauvage. Tenir l’Infini dans la paume de sa main et l’Eternité dans l’heure qui vient ». Cette métaphore poétique synthétise parfaitement notre propos. Et notre impuissance »

–           « Voir le Monde dans un grain de sable et tenir l’Infini dans la paume de sa main… William Blake aurait dû être des nôtres, s’esclaffe Harrison. Mais, pour en revenir aux réalités du moment, le monde est d’une désarmante simplicité. Mais pour l’appréhender, le goûter, il ne faut surtout pas… ».

–           « Chercher à l’asservir ! ».

–           « Captain Jefferson, intervient Kirk tout en suivant du regard la troupe des dauphins qui s’éloignent à l’horizon, tu fais désormais pleinement partie des nôtres. Tes yeux et tes sens s’ouvrent à la Nature ».

–           « Hélas… » commence le propriétaire du Pandora box.

Puis il se ravise en comprenant qu’attrister ses amis n’illustrerait pas la meilleure façon de les remercier pour l’immense cadeau qu’ils lui font.

Kirk Douglas rebondit sur cet embryon de phrase avortée :

–           « Hélas, voulais-tu dire, cette ouverture est beaucoup trop tardive à l’heure où d’horribles menaces pèsent sur l’humanité ? ».

–           « Je ne cacherai pas ma peur face à cet épouvantable ultimatum. Et surtout face à la cacophonie impuissante et vaine que nos dirigeants semblent vouloir peaufiner et revendiquer jusqu’au jour fatal. Ce sentiment d’impuissance et l’extrême proximité du moment ultime me glacent le sang ».

–           « La peur est féconde, assène Harrison. Les larmes aussi sont utiles, c’est la meilleure semence de l’Homme ».

Le talentueux sculpteur sur bois s’arrête un instant. Il plonge ses yeux constellés de macules jaune et parme dans ceux de son ami.

Autour d’eux, une dizaine d’enfants de cinq à dix ans s’assemblent en babillant. La plupart d’entre eux sont affublés de ces invraisemblables tignasses d’un blond vénitien qui contrastent avec leur peau d’un noir de jais.

Après avoir fait un petit signe à l’une des fillettes qui gravitent autour d’eux, Harrison Ford poursuit.

–           « Les écoterroristes semblent avoir des moyens considérables et les dirigeants des principaux pays se noient dans des discussions qui n’aboutiront pas. Nous le savons tous ».

–           « C’est pour cette raison que j’ai si peur, avoue Jefferson Knight, en frottant ses avant bras en dépit de la chaleur et de l’humidité ambiante. Lorsque je navigue dans des mers hostiles au milieu des icebergs, je contrôle parfaitement ces paniques naissantes car je suis responsable de mes actes et la sécurité de mes passagers dépend de mes décisions. Mais, dans le cas présent, cette monstrueuse menace outrepasse tellement nos maigres pouvoirs de décision… Ceci me paralyse et m’angoisse ».

–           « Remémore-toi l’intensité de la lumière qui gronde à l’intérieur de cette statuette, poursuit Harrison en caressant le nguzunguzu. Elle nous plonge au coeur de notre vrai rôle sur Terre. Cessons de détruire sans cesse. Vivons enfin en respectant la Nature. En nous respectant nous-mêmes ».

–           « Nous ne savons plus agir ainsi » se lamente captain Jefferson.

–           « Exact. Mais si ce cataclysme survient vraiment, nous aurons une occasion inespérée de reconstruire sur de meilleures bases, avec de saines ambitions. Naturellement cette tragédie se traduira par un bilan atroce. Mais si les survivants de l’Apocalypse volcanique veulent enfin faire l’effort de partager, et non de prélever et détruire sans cesse, nous nous sauverons et regarderons l’avenir en face. Sans rougir ».

La fillette blonde revient rapidement à cet instant avec trois noix de coco germées. Le cocotier démontre une fois de plus ainsi son immense utilité car, aussi surprenant que cela puisse paraître, même la noix de coco germée est utilisée. On s’en sert comme savon, comme huile enrichissante pour la peau. Puis on la mange. C’est délicieux.

Passagèrement repus, les trois complices s’abîment dans la contemplation du lagon émeraude, des palmiers ébouriffés qui griffent le ciel de leurs frondes impertinentes, des frégates qui cisèlent dans l’azur leurs étranges silhouettes de ptérodactyles en perpétuelle quête de nourriture.

A l’horizon, les pentes volcaniques abruptes de l’île principale répondent en écho aux pics effrangés des îles Vangunu et Nggatokae.

– « Une annexe du jardin d’Eden avant que l’Apocalypse survienne et anéantisse cet embryon de Paradis sur Terre » songe Jefferson.

Kirk Douglas brise le cristal de ce silence relatif.

–           « Situé où nous sommes, l’éventuelle explosion d’un supervolcan aurait des conséquences épouvantables.  A quelques kilomètres d’ici, l’océan abrite l’un des volcans sous-marins parmi les plus récents et les plus actifs ».

–           « Le Kavachi, souligne Harrison. Sa dernière éruption date seulement de l’année dernière ».

–           « Le vrai danger est plus loin, argumente le capitaine du Pandora box. Dans un rayon de 3 000 kilomètres nous avons trois supervolcans : celui de la baie de Rabaul en Nouvelle-Bretagne, celui du lac Toba à Sumatra, et celui qui gît au large de la fosse des Tonga. Nous sommes encerclés. Si les écoterroristes ont choisi l’un de ces monstres tapis pour cible, la vague d’un tsunami colossal nous engloutira moins d’une heure après le cataclysme ».

Kirk Douglas, se détend un peu en s’appuyant à la base d’un pandanus dont les racines aériennes forment une gracieuse ombelle presque parfaitement géométrique.

–           « Seule la mort donne son vrai sens à la vie ».

–           « Nous te remercions pour ta synthèse ! s’insurge Jefferson Knight. Mais cette analyse ne résout nullement la problématique qui nous menace ».

–           « Si. Partiellement en tout cas ».

–           « Que veux-tu dire ? ».

–           « La mort de quelques millions d’innocentes victimes apportera peut être un sens accru à une vie qui n’en a plus depuis fort longtemps ».

–           « Une destruction partielle avant une rédemption et une reconstruction sur des bases plus saines ? ».

Le sculpteur du lagon de Marovo ne répondit point.

Il se contenta de caresser lentement la tête du nguzunguzu tout en se remémorant le début du poème de William Blake : « To see a world in a grain of sand and a heaven in a wild flower. Hold infinity in the palm of your hand and eternity in an hour »…

Les hallucinants « cerveaux de Boltzmann »

Certains "cerveaux de Boltzmann" existent-ils déjà dans notre univers ?

« Le vivant, lorsqu’il a atteint sa forme achevée, aime à se recourber. S’il se recourbe et se tourne en même temps dans un serpentement, il en résulte grâce et beauté ».

Goethe – Fossiler Stier

Vous aves eu l’occasion de le constater en lisant notre premier roman : « Cathédrales de brume », nous aimons « prendre de la hauteur » et nous immiscer au sein des arcanes les plus secrets d’un univers qui nous échappe encore…

En mettant en lumière la théorie des « cerveaux de Boltzmann » nous poursuivons cette démarche visant à défricher ce qui se passe au-delà des fragiles et bien incertaines frontières du visible.

Dans le cas des « cerveaux de Boltzmann », il s’agit d’une hypothèse selon laquelle les fluctuations de l’énergie du vide pourraient faire apparaître de façon aléatoire des « observateurs » dits Boltzmann Brains, lesquels pourraient venir en concurrence avec les observateurs humains dans l’observation de l’univers. Le concept de « cerveau de Boltzmann », ou « paradoxe du cerveau de Boltzmann » (qu’il ne faut pas confondre avec le concept de machine de Boltzmann désignant un type de réseaux de neurones) a été développé récemment à partir d’une intuition déjà ancienne due à Ludwig Boltzmann (1844-1906).

Un cerveau de Boltzmann serait une entité consciente née d’une fluctuation aléatoire provenant d’un état fondamental de chaos thermique. Boltzmann avait cherché à comprendre pourquoi nous observons un haut degré d’organisation dans l’univers (ou bas niveau d’entropie) alors que la seconde loi de la thermodynamique professe que l’entropie devrait augmenter sans cesse. Rappelons que l’expression « entropie » définit un niveau de désordre.

Dans ce cas, l’état le plus probable de l’univers devrait être proche de l’uniformité, dépourvu d’ordre et présentant par conséquent une entropie élevée.

Boltzmann avait formulé l’hypothèse selon laquelle nous-mêmes et notre univers serions les résultats de fluctuations se produisant au hasard au sein d’un univers à entropie élevée. Même au sein d’un état proche de l’équilibre, on ne peut exclure de telles fluctuations dans le niveau de l’entropie. Les plus fréquentes seraient relativement petites et ne produiraient que de bas niveau d’organisation. Mais occasionnellement, et de façon de plus en plus improbable en fonction de l’élévation du niveau d’organisation, des entités plus organisées pourraient apparaître.

Pourquoi n’en observons-nous pas davantage ? Parce que vu les dimensions considérables de l’univers ces entités hautement organisées sont très rares à notre échelle d’espace-temps.

De plus, par un effet de « sélection », nous ne voyons que le type d’univers hautement improbable qui nous a donné naissance, et non d’autres éventuellement différents.

Il s’agit là de l’application du principe anthropique faible. Et ceci conduit au concept de « cerveau de Boltzmann ».

Si le niveau d’organisation de notre univers, comportant de nombreuses entités conscientes, est le résultat d’une fluctuation au hasard, son émergence est bien moins probable que celle de niveaux d’organisation moins élevés, seulement capables de générer une seule entité consciente, elle-même plutôt rustique.

Ces entités devraient donc être d’autant plus nombreuses que serait élevée la probabilité de leur apparition. Ainsi devraient exister des millions de cerveaux de Boltzmann isolés flottant dans des univers faiblement organisés. Il ne s’agirait pas nécessairement de cerveaux tels que nous les connaissons, mais seulement de structures suffisamment organisées capables de jouer le rôle d’observateurs tels que le sont les humains quand ils observent leur univers.

C’est ici que l’on rejoint la cosmologie.

Celle-ci postule que ce que nous observons donne naissance aux lois de la physique et s’applique à l’univers tout entier. Dans la physique « réaliste », l’univers « en soi », existant indépendamment des observateurs, est donc conforme à ce que nous observons. Prenant en compte la relation entre l’observateur et l’observé introduite par la physique quantique, nous dirions que ce que nous observons décrit un certain type de relations entre l’observateur et l’observé, typique de l’univers tel qu’il nous apparaît. Si nous retenons l’hypothèse constructiviste développée par certains physiciens quantiques, nous supposerons que ce que nous observons décrit un univers créé par la relation entre l’observateur que nous sommes et l’observé que nos instruments nous permettent de caractériser.

Dans tous les cas, la position unique d’observateur qui est la nôtre devrait nous permettre d’affirmer que l’univers tel que nous l’observons est lui-même unique.

Ce ne serrait plus le cas si, conformément à l’hypothèse des cerveaux de Boltzmann, il existait des myriades d’observateurs observant un univers plus global que celui que nous observons. Ceux-ci pourraient être si nombreux, dans un futur de plusieurs milliards d’années, qu’ils nous remplaceraient en tant qu’observateurs. L’univers que nous avons cru pouvoir décrire perdrait ainsi toute pertinence.

Des visions du cosmos profondément différentes de celles que nous en avons pourraient remplacer la nôtre. Il ne s’agirait d’ailleurs pas de simples visions virtuelles mais en fait d’univers différents qui se substitueraient au nôtre, si l’on retient bien sûr l’hypothèse que les univers naissent de l’interaction entre observé et observateur.

Ce constat dérangeant rappelle étrangement les « cathédrales de brume » amoureusement façonnées par notre héros…

Selon Andreï Linde de l’Université de Stanford, ce ne sont plus des fluctuations dans le niveau d’entropie qui généreraient des « cerveaux de Boltzmann », mais des fluctuations dans la force répulsive, qualifiée d’énergie noire, constante cosmologique ou « énergie du vide ».

Il est à peu près admis que le vide quantique fluctue sans cesse puisque les « particules » qui le peuplent ne peuvent être au repos. Il peut en émerger de façon aléatoire des couples de particules-antiparticules qui s’annihilent, mais aussi des photons voire des atomes qui interagissent avec la matière ordinaire.

Rien n’interdit de penser alors que, sur une durée de temps suffisante, puisse se produire une émergence d’objets plus complexes.

La probabilité d’apparition d’une entité consciente répondant aux caractéristiques du « cerveau de Boltzmann » serait si faible qu’aucune d’entre elles, dit-on, n’aurait eu la chance de se matérialiser pendant les 13,7 milliards d’années correspondant à l’histoire de notre univers. Mais si celui-ci s’étend indéfiniment sous la pression de l’énergie noire, sa durée de vie s’étend elle-même sans limites et les chances de voir apparaître des « cerveaux de Boltzmann » augmentent considérablement.

Ces « cerveaux » n’observeraient plus un univers tel que nous connaissons, mais des espaces uniformes, froids et noirs, inhospitaliers pour nos formes de vie.

Pour de nombreux cosmologistes, l’hypothèse des « cerveaux de Boltzmann » mérite d’être approfondie car elle est compatible avec plusieurs théories souvent liées à la Théorie des cordes : l’inflation, la théorie des « bébés-univers » et celle -plus radicale encore et que nous affectionnons- d’un « multivers » protéiforme aux ramifications infinies.

Faudra-t-il attendre des milliards de siècles avant de voir apparaître ces étonnants « cerveaux de Boltzmann » ?

Pas sûr… En effet, plusieurs « cerveaux de Boltzmann », incorporés à des ensembles d’atomes plus ou moins organisés, auraient déjà pu apparaître dans notre monde à partir de l’énergie du vide. Certains d’entre eux se sont peut-être développés dans des parties de l’univers que nous ne connaissons pas ou que nous ne connaîtrons jamais, compte tenu de l’expansion.

Pourquoi, de la même façon, ne pas faire l’hypothèse que l’intelligence des systèmes biologiques puisse être née d’une émergence de cette nature. Dans cette même ligne de conjectures, nous ne pouvons pas exclure la possibilité de voir un « cerveau de Boltzmann » se matérialiser dans notre monde sous une forme et dans des circonstances que nous n’aurions évidemment pas pu prévoir, alors qu’il ne s’agirait que d’une manifestation banale du monde quantique sous-jacent, monde dont nous ne connaissons encore pratiquement rien.

Certaines hypothèses pourraient utilement être rapprochées de celle des « cerveaux de Boltzmann ». C’est le cas, par exemple, du « darwinisme quantique ».

Pour résumer ce surprenant darwinisme à l’échelle des mondes microscopiques et macroscopiques on peut le synthétiser ainsi : des bulles d’univers dotées de temps et d’espace locaux, sont aléatoirement créées à partir du vide quantique. Certaines sont annihilées, d’autres se développent.

Dans cette hypothèse, notre univers a été le produit d’une de ces fluctuations.  Une particule quantique aurait vu sa fonction d’onde réduite et se serait retrouvée sous la forme d’une particule matérielle ou macroscopique dont les propriétés auraient été favorables à la création de particules plus complexes par « observation » du monde quantique environnant. Des décohérences et des computations en chaîne en auraient résulté, d’où seraient sortis le monde que nous connaissons et les lois d’organisation des objets physiques, biologiques et même mentaux qui régulent son développement.

Dans l’hypothèse du « darwinisme quantique », les décohérences en chaînes se seraient produites à partir de l’ « observation » des entités quantiques fondamentales qu’aurait réalisé une première particule matérialisée.

On comprend mieux les pouvoirs générateurs de cette observation si, à la place d’une particule unique, on imagine un « cerveau de Boltzmann », c’est-à-dire un observateur disposant déjà d’une organisation matérielle complexe. Ce « cerveau de Boltzmann » en position d’observateur aurait généré de ce fait notre univers actuel, régulé par les lois que nous connaissons. Et ceci depuis le tout premier instant du big bang !

Voilà assurément une piste de réflexion transgressive et féconde…

Si vous désirez en savoir plus, l’un des articles récents d’Andreï Linde : « Sinks in the landscape, Boltzmann brains and the cosmological constant problem » répondra à toutes vos interrogations.

Le Marquis de Sade était-il un humaniste ?

Le monde décrit par le Marquis de Sade se transcende dans un univers carcéral

Certains personnages alimentent après leur mort des cohortes d’interprétations baroques et souvent contradictoires.

Le Marquis de Sade en représente probablement le plus fascinant archétype.

Tout le monde connaît les romans érotiques du divin Marquis qui contribuèrent à l’éducation sexuelle de nombreux adolescents tout en leur décryptant les joies de la masturbation… Tout le monde connaît aussi la cruauté arrogamment assumée de certains de ses récits.

A première analyse le constat est donc le suivant : la Marquis de Sade est un débauché dont les écrits incitent à jouir de la vie en abusant des autres. Un triste sire en quelque sorte…

Au fil des décennies, les œuvres du Marquis libertin s’éclairèrent enfin sous un jour différent et l’« ogre sadique » laissa la place à un philosophe révolté. Sade fut ainsi récupéré dans la mouvance des philosophes du Siècle des Lumières tout en demeurant un immoraliste compulsif. Il fascina donc les intellectuels du vingtième siècle et repris sa place au Panthéon de la littérature moderne.

Il bénéficie même d’une édition complète de ses œuvres dans la prestigieuse collection de la Pléiade…

Mais, en 2005, un écrivain -Jean-Baptiste Jeangène Vilmer- jette un pavé dans la mare en mettant en lumière une autre facette du divin Marquis. Son livre s’appelle « Sade moraliste » et cette définition en forme d’oxymore désarçonna une bonne partie des spécialistes et amateurs de Sade.

Comment pouvait-on le considérer comme étant un moraliste, alors que son libertinage déviant fait généralement l’apologie du crime, de la torture et du viol ?

Une lecture attentive des œuvres du Marquis de Sade révèle pourtant une autre facette de sa personnalité. Citons juste quelques lignes : « C’est dans le silence des lois que naissent les grandes actions » (Juliette). Dans un autre ouvrage intitulé Dialogue entre un prêtre et un moribond, il va beaucoup plus loin encore en précisant : « Toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot : rendre les autres aussi heureux que l’on désire l’être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n’en voudrions recevoir ».

Sa lucidité rejoint souvent cette vision holistique du Monde que nous prônons nous-mêmes dans nos romans et que nous théorisons dans un essai que nous venons de terminer : « La cause de ce que tu ne comprends pas est peut-être la chose du monde la plus simple. Epures ta raison, bannis tes préjugés ». Puis il poursuit : « Rien ne périt, mon ami, rien ne se détruit dans le monde, aujourd’hui homme, demain ver, après-demain mouche, n’est-ce pas toujours exister ? ». Sa lucidité parfois devient totale, absolue, même si le cynisme de la remarque peut choquer, lorsqu’il affirme : « La cruauté n’est autre chose que l’énergie de l’homme ».

Les informations télévisées dont les médias nous abreuvent jusqu’à l’écoeurement en sont le fidèle reflet…

Oksana dans un univers purement "sadien"...

Dans son livre, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer démontre que Sade est simultanément un philosophe libertin du Siècle des Lumières (ce que personne ne conteste désormais) mais aussi un moraliste qui décrit et encense le vice, la cruauté et le mal, uniquement afin de dénoncer les brimades dont il est la victime à travers ses nombreux emprisonnements.

L’œuvre de Sade est donc essentiellement une œuvre carcérale et il ne faut pas confondre l’auteur avec les personnages de ses romans. Bien au contraire, il s’est battu avec deux siècles d’avance contre la peine de mort.

Ecoutons-le une dernière fois : « Il découle, on le sent, la nécessité de faire des lois douces, et surtout d’anéantir pour jamais l’atrocité de la peine de mort, parce que la loi qui attente à la vie d’un homme est injuste, inadmissible ».

La loi qui attente à la vie d’un homme est injuste, inadmissible… peut-être verrez-vous différemment le Marquis de Sade et ses outrances désormais !

Un humaniste disions-nous en préambule… Ceci confirme éloquemment cette affirmation de René Char que nous nous approprions à travers chacun de nos romans : « le visible n’est que l’épiphanie de l’invisible ».

Ceci se vérifie à chaque instant de la vie.

Le crépuscule de l’univers

Actuellement l'univers se pare de milliards de milliards de joyaux stellaires

Imaginer la fin de l’univers est un exercice déroutant… sauf pour les néoplatoniciens !

Nous y reviendrons à la fin de cet article.

L’esprit humain a souvent quelques difficultés à concevoir les phénomènes astronomiques majeurs en raison de leur éloignement dans le temps et des distances colossales qu’ils impliquent dans l’espace. Dans ce contexte, prétendre décrire l’agonie de notre univers à son crépuscule peut paraître totalement irraisonnable ; voire blasphématoire.

Naturellement, les cosmologistes et les spécialistes des deux grandes « théories du Tout » (la théorie des cordes et celle de la gravitation quantique à boucles) se moquent éperdument de cette frilosité naturelle.

Se plongeant avec délice dans les arcanes du cosmos et des particules élémentaires les plus infinitésimales, ils décrivent actuellement trois scenarii possibles qui portent tous des noms délicieux : big crunch, big ripe, big chill.

A vos souhaits…

Par manque de place, nous allons succinctement évoquer les deux premiers en nous attardant un peu plus sur le troisième qui semble -pour le moment en tout cas- avoir les faveurs des spécialistes.

Il faut savoir en préambule que le facteur déterminant à cet égard est lié à la masse réelle de l’univers. Pour faire simple, l’évolution du cosmos dans un très lointain futur se fonde sur un choix de modèle cosmologique tout en s’aidant des équations de Friedmann. Celles-ci décrivent l’expansion de l’univers (dont la valeur actuelle est appelée « constante de Hubble ») en utilisant deux facteurs majeurs :

–          la densité d’énergie moyenne de l’univers,

–          sa courbure spatiale.

On constate immédiatement que toutes les hypothèses envisageables sont liées à la quantification précise de cette « constante de Hubble » qui détermine deux informations essentielles dans ce cas précis : la vitesse de fuite des galaxies (donc l’importance de l’expansion de l’univers) et la masse réelle de ce même univers. Ce point est essentiel car plus cette masse est élevée, plus les forces gravitationnelles (qui tendent à rassembler les galaxies) seront fortes.

Nous nous trouvons donc actuellement dans une situation d’équilibre précaire qui se situe à la confluence de deux forces antagonistes :

–          l’expansion, qui dilue la structure même de l’espace et provoquera (dans quelques milliards de milliards de siècles) une évaporation presque totale de notre univers. On parle alors de « mort thermique », d’où l’expression anglaise « big chill »,

–          la densité de l’univers. Si elle est plus forte que prévu -en raison de l’énergie sombre, par exemple- l’expansion finira par s’interrompre et le processus gravitationnel s’exercera à plein ; comme dans un trou noir. Mais ce phénomène de contraction et d’écrasement s’exercera à l’échelle de l’univers. On parle alors de « big crunch ».

Nous reviendrons à la fin de cet article sur le « big chill » qui semble symboliser actuellement le destin le plus crédible pour le cosmos, mais il convient de citer ici une troisième alternative assez étonnante : le « big rip » (déchirure en anglais). Ce « big rip » propose un scénario alternatif qui prévoit que la densité de l’univers s’accroîtra au fil du temps. Cette apparente incongruité (comment l’univers peut-il devenir plus dense tout en poursuivant une expansion qui devrait diluer la matière et l’énergie ?) est résolue par l’existence d’une « énergie fantôme » dont la force s’accroît alors que l’expansion se poursuit.

Dans l’hypothèse du « big rip », la densité de l’univers atteindra une valeur infinie dans un temps fini, ceci déterminant alors l’émergence d’une singularité gravitationnelle (comme c’est le cas pour un trou noir) au sein de laquelle toutes les structures sont annihilées en un ahurissant et titanesque cataclysme.

Dans ce cas, les objets célestes ne seront pas écrasés, comme dans le « big crunch », mais ils seront disloqués. D’où l’expression « big rip ».

Ces deux issues ne sont guère enthousiasmantes. La troisième non plus !

L’autre lointain futur de notre univers se symbolise essentiellement par le froid. Et l’obscurité.

Dans le scénario du « big chill », nous assistons à l’agonie thermique de l’univers. En effet, les effets de l’expansion -celle-ci semblant par ailleurs s’accélérer de plus en plus- entraînent une dilution de la matière et des sources thermiques qui la compose (étoiles, nuages de gaz chauds). Cette « évaporation stellaire » génère un espace de plus en plus grand, de plus en plus froid, et de moins en moins lumineux.

Une thébaïde cosmique où folâtreront encore quelques lumignons épars pendant quelques trillions de siècles.

Puis la nuit. Noire. Encore plus noire que nous ne pouvons l’imaginer…

Dans 10 puissance 100 millénaires, les galaxies auront disparues au profit d'un désert cosmique noir et glacé...

Pas de panique toutefois, ce crépuscule s’enténébrant au fil des millénaires est lointain.

Probablement dans 10 puissance 106 années (soit le chiffre 1 suivit de 106 zéros !).

Ceci nous laisse encore un peu de temps, mais le simple fait d’imaginer une aussi sombre agonie est déplaisant. Profondément déplaisant.

Cette dilution du temps, de l’énergie, de la matière et de la lumière, nous remémore immédiatement cette mélancolique remarque de Jorge Luis Borges au crépuscule de sa vie : « Année après année je perdis les autres couleurs et leurs beautés, et maintenant me reste seul, avec la clarté vague et l’ombre inextricable, l’or du commencement » (L’or des tigres).

Nous n’avons jamais connu l’or du commencement, mais notre lointain futur subira l’ombre inextricable. Dommage.

Dommage… sauf pour les philosophes néoplatoniciens et leurs épigones qui ne verront ici que la symbolisation ultime du mouvement qu’ils décrivent avec éloquence : le passage de l’Un au multiple, puis du multiple à l’Un.

Naturellement, Plotin, Porphyre, Jamblique, Proclus et Damascius ne connaissaient pas l’énergie sombre, la théorie des cordes et la constante de Hubble… Mais ils avaient un talent rare : le sentiment du Tout -doté d’une étrange accointance avec un érôs simultanément noétique et hénologique- et de sa merveilleuse unicité par-delà la duplicité des apparences.

Héraclite disait déjà, il y a 25 siècles : « Tout est un ».

Or le philosophe éphésien est l’un des héros principaux de notre premier roman : « Cathédrales de brume ».

 Le hasard fait bien les choses…

Les « Futuriales » le samedi 12 Juin

Affiche des "Futuriales" qui se dérouleront à Aulnay-sous-bois le samedi 12 Juin 2010

Le samedi 12 Juin, nous participerons à un nouveau festival de science-fiction en région parisienne : « Les Futuriales ».

Il se déroulera de 10h à 19h au Parc Dumont (12 Bd du Général Gallieni) à Aulnay-sous-bois. C’est à moins d’une minute à pied de la gare du RER B, station Aulnay-sous-bois.

Ce festival réunira une quarantaine d’auteurs de Fantasy et de SF. Nous aurons ainsi l’occasion de vous rencontrer et de dédicacer nos deux premiers romans : « Cathédrales de brume » et « Katharsis ».

ATTENTION : comme nous avons des rendez-vous sur Paris le matin même, nous serons aux « Futuriales » de 14h à 18h seulement…

A samedi !

Oksana & Gil

Dialogue avec une mygale

Il est souvent plus facile de dialoguer avec une mygale qu'avec un militant politique (quel que soit le parti...)

Il est toujours simultanément passionnant et attristant d’assister en spectateur muet à une discussion entre plusieurs personnes. En quelques secondes on a tout compris : on va encore assister à un dialogue de sourds…

En effet, même si la discussion est dénuée de toute visée polémique et de toute agressivité, on s’aperçoit immédiatement que chacun parle pour soi et que l’écoute de l’autre est une ambition remisée aux oubliettes. Au-delà même des mots, la gestuelle et les mimiques se suffisent à elles-mêmes. Lorsqu’une personne parle, l’autre -ou les autres- réfléchissent déjà à leurs propres réponses.

C’est ainsi que chacun pérore à l’aune de sa propre logique sans réellement chercher le sens congru du discours de l’autre. Ceci est parfaitement logique car chaque être humain s’aheurte sans cesse aux frontières immatérielles de sa propre « bulle émotionnelle et psychique ».

Nous ne sommes pas totalement indifférents aux autres -espérons-le en tout cas- mais seules les ramifications de l’autre qui nous concernent vraiment nous intéressent. Tout le reste s’embrume et se noie dans un brouhaha informationnel que l’on oublie à la seconde.

C’est pour cette raison que les discussions constructives au sein de la famille, avec les amis, les collègues de travail ou les relations extérieures n’abordent que la surface des choses.

Nous avons déjà plusieurs fois évoqués ici ce que nous décrivons comme étant le « paradigme de l’iceberg ». Paradigme que l’on peut résumer ainsi : tout comme l’iceberg dont nous ne voyons émerger que 10% de la masse totale, l’invisible l’emporte toujours au détriment du visible. Or comme nous ne nous intéressons souvent qu’aux apparences, nous frôlons sans cesse la vraie vie en nous réfugiant prudemment au sein d’une mince bulle qui nous évite de nous impliquer réellement.

C’est ainsi que les discussions entre les êtres humains sont généralement infécondes. Elles se concrétisent uniquement lorsque de réels centres d’intérêts réunissent les êtres.

Naturellement ce cas de figure est rare. Trop rare.

Conscient de ce constat que chacun peut aisément faire, prétendre dialoguer avec une mygale peut paraître absurde, extravagant ; voire malsain. Et pourtant…

Mais avant d’aller plus loin, il n’est probablement pas inutile de nous remémorer ici quelques détails concernant ces charmantes bêtes poilues.

Les mygales forment un sous-ordre d’araignées appartenant au groupe des orthognathes. Le sous-ordre compte actuellement 15 familles, lesquels totalisent 301 genres et 2456 espèces.

Les mygales, comme les autres araignées, sont dépourvues de squelette interne (endosquelette). En effet, elles ne possèdent qu’une cuticule qui joue le rôle de squelette externe (exosquelette). Les animaux à mue ont une croissance non linéaire car l’épiderme synthétise des protéines qui forment une couche non cellulaire au niveau de la surface du corps: la cuticule.

Cette couche est plus ou moins rigide, ce qui empêche l’organisme de croître. Ainsi, l’animal doit donc se débarrasser de cette exuvie afin de continuer sa croissance. Lorsqu’elles sont jeunes, les mygales muent tous les deux ou trois mois, à chaque stade de la croissance, laissant régulièrement ainsi des exuvies dans leur sillage.

L’une des plus intéressantes mygales est parfois appelée « mygale à genoux rouges » ou « grande mygale mexicaine ». Son nom scientifique est infiniment plus poétique : Brachypelma smithi…

Cette mygale est d’un naturel placide. Elle mesure parfois 8 centimètres de diamètre ce qui la rend assez impressionnantes pour celles et ceux qui sont arachnophobes.

De plus en plus rare dans son habitat d’origine, Brachypelma smithi est désormais élevée en terrarium ou sa reproduction ne pose aucun problème.

Cette araignée facétieuse et peu agressive nous interpelle car elle semble se situer très au-delà du relationnel habituel des humains. Or cette limitation est bien regrettable car un contact est tout à fait envisageable avec cette créature qui fascine et surprend en même temps.

Un reportage étonnant illustrait ceci il y a quelques années. L’histoire se passait à New York. On voyait une fillette d’une dizaine d’années jouer avec une grosse mygale à genoux rouges tout en tissant avec elle une relation qui outrepassait largement les barrières sclérosantes qui emprisonnent l’immense majorité des êtres humains ; même ceux qui se prétendent totalement désinhibés…

La mygale vivait une grande partie du temps sur les épaules de la fillette et regardait la télévision en même temps qu’elle, démontrant éloquemment ainsi que deux êtres fondamentalement différents peuvent « partager » des attitudes, des gestes, des relations.

On peut donc « dialoguer » avec une mygale, même si le sens du mot doit être pris ici dans un sens très large.

Mais l’émotion prévaut, et c’est ce qui importe.

L’histoire de cette petite fille et de sa mygale de compagnie peut donner le sentiment d’être une anecdote sympathique ; sans plus.

Hélas, il suffit de se promener dans la rue, ou de regarder les informations télévisées pendant une demi-heure, pour réaliser immédiatement qu’il est apparemment beaucoup plus difficile de dialoguer avec certains êtres humains… qu’avec une mygale !

L’ostracisme, le rejet de l’autre et la haine des différences demeurent constants. Il est affolant de constater qu’une fillette peut établir une relation forte et pérenne avec une mygale à genoux rouges, alors que des millions d’êtres humains se haïssent tout simplement parce qu’ils refusent de connaître l’ « autre » et de dialoguer avec lui.

Nous serons neuf milliards en 2050 et le contexte environnemental et social sera considérablement plus difficile qu’en 2010.

Que faire ?

Observons les mygales et posons-nous une question toute simple : les différences doivent-elles nous enrichir ou nous opposer ?

L’avenir du Monde est dans la réponse que ces neuf milliards d’êtres humains donneront.

Qui veut parier sur le résultat ?