Le crépuscule de l’univers

Actuellement l'univers se pare de milliards de milliards de joyaux stellaires

Imaginer la fin de l’univers est un exercice déroutant… sauf pour les néoplatoniciens !

Nous y reviendrons à la fin de cet article.

L’esprit humain a souvent quelques difficultés à concevoir les phénomènes astronomiques majeurs en raison de leur éloignement dans le temps et des distances colossales qu’ils impliquent dans l’espace. Dans ce contexte, prétendre décrire l’agonie de notre univers à son crépuscule peut paraître totalement irraisonnable ; voire blasphématoire.

Naturellement, les cosmologistes et les spécialistes des deux grandes « théories du Tout » (la théorie des cordes et celle de la gravitation quantique à boucles) se moquent éperdument de cette frilosité naturelle.

Se plongeant avec délice dans les arcanes du cosmos et des particules élémentaires les plus infinitésimales, ils décrivent actuellement trois scenarii possibles qui portent tous des noms délicieux : big crunch, big ripe, big chill.

A vos souhaits…

Par manque de place, nous allons succinctement évoquer les deux premiers en nous attardant un peu plus sur le troisième qui semble -pour le moment en tout cas- avoir les faveurs des spécialistes.

Il faut savoir en préambule que le facteur déterminant à cet égard est lié à la masse réelle de l’univers. Pour faire simple, l’évolution du cosmos dans un très lointain futur se fonde sur un choix de modèle cosmologique tout en s’aidant des équations de Friedmann. Celles-ci décrivent l’expansion de l’univers (dont la valeur actuelle est appelée « constante de Hubble ») en utilisant deux facteurs majeurs :

–          la densité d’énergie moyenne de l’univers,

–          sa courbure spatiale.

On constate immédiatement que toutes les hypothèses envisageables sont liées à la quantification précise de cette « constante de Hubble » qui détermine deux informations essentielles dans ce cas précis : la vitesse de fuite des galaxies (donc l’importance de l’expansion de l’univers) et la masse réelle de ce même univers. Ce point est essentiel car plus cette masse est élevée, plus les forces gravitationnelles (qui tendent à rassembler les galaxies) seront fortes.

Nous nous trouvons donc actuellement dans une situation d’équilibre précaire qui se situe à la confluence de deux forces antagonistes :

–          l’expansion, qui dilue la structure même de l’espace et provoquera (dans quelques milliards de milliards de siècles) une évaporation presque totale de notre univers. On parle alors de « mort thermique », d’où l’expression anglaise « big chill »,

–          la densité de l’univers. Si elle est plus forte que prévu -en raison de l’énergie sombre, par exemple- l’expansion finira par s’interrompre et le processus gravitationnel s’exercera à plein ; comme dans un trou noir. Mais ce phénomène de contraction et d’écrasement s’exercera à l’échelle de l’univers. On parle alors de « big crunch ».

Nous reviendrons à la fin de cet article sur le « big chill » qui semble symboliser actuellement le destin le plus crédible pour le cosmos, mais il convient de citer ici une troisième alternative assez étonnante : le « big rip » (déchirure en anglais). Ce « big rip » propose un scénario alternatif qui prévoit que la densité de l’univers s’accroîtra au fil du temps. Cette apparente incongruité (comment l’univers peut-il devenir plus dense tout en poursuivant une expansion qui devrait diluer la matière et l’énergie ?) est résolue par l’existence d’une « énergie fantôme » dont la force s’accroît alors que l’expansion se poursuit.

Dans l’hypothèse du « big rip », la densité de l’univers atteindra une valeur infinie dans un temps fini, ceci déterminant alors l’émergence d’une singularité gravitationnelle (comme c’est le cas pour un trou noir) au sein de laquelle toutes les structures sont annihilées en un ahurissant et titanesque cataclysme.

Dans ce cas, les objets célestes ne seront pas écrasés, comme dans le « big crunch », mais ils seront disloqués. D’où l’expression « big rip ».

Ces deux issues ne sont guère enthousiasmantes. La troisième non plus !

L’autre lointain futur de notre univers se symbolise essentiellement par le froid. Et l’obscurité.

Dans le scénario du « big chill », nous assistons à l’agonie thermique de l’univers. En effet, les effets de l’expansion -celle-ci semblant par ailleurs s’accélérer de plus en plus- entraînent une dilution de la matière et des sources thermiques qui la compose (étoiles, nuages de gaz chauds). Cette « évaporation stellaire » génère un espace de plus en plus grand, de plus en plus froid, et de moins en moins lumineux.

Une thébaïde cosmique où folâtreront encore quelques lumignons épars pendant quelques trillions de siècles.

Puis la nuit. Noire. Encore plus noire que nous ne pouvons l’imaginer…

Dans 10 puissance 100 millénaires, les galaxies auront disparues au profit d'un désert cosmique noir et glacé...

Pas de panique toutefois, ce crépuscule s’enténébrant au fil des millénaires est lointain.

Probablement dans 10 puissance 106 années (soit le chiffre 1 suivit de 106 zéros !).

Ceci nous laisse encore un peu de temps, mais le simple fait d’imaginer une aussi sombre agonie est déplaisant. Profondément déplaisant.

Cette dilution du temps, de l’énergie, de la matière et de la lumière, nous remémore immédiatement cette mélancolique remarque de Jorge Luis Borges au crépuscule de sa vie : « Année après année je perdis les autres couleurs et leurs beautés, et maintenant me reste seul, avec la clarté vague et l’ombre inextricable, l’or du commencement » (L’or des tigres).

Nous n’avons jamais connu l’or du commencement, mais notre lointain futur subira l’ombre inextricable. Dommage.

Dommage… sauf pour les philosophes néoplatoniciens et leurs épigones qui ne verront ici que la symbolisation ultime du mouvement qu’ils décrivent avec éloquence : le passage de l’Un au multiple, puis du multiple à l’Un.

Naturellement, Plotin, Porphyre, Jamblique, Proclus et Damascius ne connaissaient pas l’énergie sombre, la théorie des cordes et la constante de Hubble… Mais ils avaient un talent rare : le sentiment du Tout -doté d’une étrange accointance avec un érôs simultanément noétique et hénologique- et de sa merveilleuse unicité par-delà la duplicité des apparences.

Héraclite disait déjà, il y a 25 siècles : « Tout est un ».

Or le philosophe éphésien est l’un des héros principaux de notre premier roman : « Cathédrales de brume ».

 Le hasard fait bien les choses…

Lorsque la nuit sera totalement noire…

Les galaxies extérieures à la nôtre disparaîtront de notre ciel dans quelques milliards d'années

« J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîme

Qui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cime

Etait là, morne, immense ; et rien n’y remuait.

Je me sentais perdu dans l’infini muet »

Victor Hugo – Les contemplations (Livre sixième : au bord de l’infini)

Nous l’avons déjà précisé à plusieurs reprises : ce blog a pour objectif de vous convier à élargir le regard tout en pratiquant une saine et vivifiante transgression permanente de tous les carcans intellectuels qui nous engluent l’esprit.

Cet article ne dérogera guère à ce principe.

Nous vous proposons de faire avec nous un petit voyage dans le temps. Dans le futur pour être précis.

Imaginez-vous sur Terre dans… 3 milliards d’années ! Un saut de puce à l’aune du destin de l’univers, mais un pas de géant pour un être humain.

Avant cela, remémorons-nous un instant ce que nous avons déjà évoqué dans l’article consacré au « multivers », car la cosmologie contemporaine décrypte, peu à peu, des mystères fascinants. De nombreux théoriciens esquissent les prémices d’un multivers au sein duquel notre univers ne serait qu’une infime parcelle. Ce multivers pourrait s’organiser en arborescences ascendantes (des univers naissent à chaque instant par fluctuation du vide ou lors du heurt cataclysmique des gigantesques branes multidimensionnelles prédites par la Théorie des cordes) ou par le biais d’une titanesque mise en abyme susceptible d’enchâsser des univers les uns dans les autres.

Si votre raison vacille et qu’une céphalée persistante vous assaille, faisons une pause et revenons à des conceptions plus placides, plus sereines ; la vie sur Terre dans 3 milliards d’années par exemple.

Comment sera la Terre à cette période ? Nul ne le sait.

Quelle sera l’espèce dominante ? Nul ne le sait.

Comment seront disposés les continents ? Nul ne le sait.

Quel sera le climat en ces temps lointains ? Nul ne le sait.

Mais ce que nous savons avec une quasi certitude, c’est que la nuit sera beaucoup plus noire qu’actuellement. Pourquoi ?

La raison tient en cinq mots : accélération de l’expansion de l’univers.

Depuis de nombreuses années nous savons que toutes les galaxies s’éloignent les unes par rapport aux autres, ce qui révèle que notre univers est en expansion. Mais, depuis 1998, plusieurs équipes de chercheurs ont mis en évidence un phénomène beaucoup plus surprenant : cette expansion s’accélère au fil du temps…

Cette découverte a été effectuée en mesurant la distance entre des astres dont la luminosité absolue est supposée être parfaitement connue. Généralement, la cause de cette accélération est liée à l’existence d’une énergie sombre qui représenterait presque les trois-quarts de notre univers.

Cette accélération de l’expansion implique naturellement une progressive dilution de la matière conduisant à très long terme à une véritable mort thermique de l’univers (Big Chill en anglais).

La conséquence serait donc un univers de plus en plus vide et de plus en plus froid.

Pas très gai…

Si nous en revenons à notre hypothèse de départ : un saut de 3 milliards d’années dans le futur, il est évident que les étoiles constituant notre galaxie continueront à briller. Elles seront simplement disposées différemment. Ce qui changera fondamentalement c’est que toutes les galaxies qui entourent la nôtre donneront la singulière impression de s’être enfuies… La nuit ne sera donc pas totalement noire, mais le fond diffus des centaines de milliards de galaxies -elliptiques, spiralées et irrégulières- qui nous entourent, aura disparu.

Nous serions donc de plus en plus seuls dans un univers de plus en plus noir et de plus en plus froid.

Mais nous aurons disparu depuis fort longtemps.

Espérons simplement que les créatures étranges qui nous succéderont dans 3 milliards d’années n’aient pas peur dans les ténèbres…

Si vous souhaitez en savoir beaucoup plus sur le sujet, nous vous recommandons encore un ouvrage de référence incontournable écrit par notre ami Jean-Pierre Luminet (qui a par ailleurs rédigé la préface de « Cathédrales de brume ») : Le destin de l’univers : trous noirs et énergie sombre (Fayard).

Pour celles et ceux qui s’intéressent aux univers qui jaillissent au-delà du nôtre, un livre récent (2007) s’impose : Paysage cosmique : notre univers en cacherait-il des millions d’autres ? écrit par Leonard Susskind (Robert Laffont).