Dialogue avec une mygale

Il est souvent plus facile de dialoguer avec une mygale qu'avec un militant politique (quel que soit le parti...)

Il est toujours simultanément passionnant et attristant d’assister en spectateur muet à une discussion entre plusieurs personnes. En quelques secondes on a tout compris : on va encore assister à un dialogue de sourds…

En effet, même si la discussion est dénuée de toute visée polémique et de toute agressivité, on s’aperçoit immédiatement que chacun parle pour soi et que l’écoute de l’autre est une ambition remisée aux oubliettes. Au-delà même des mots, la gestuelle et les mimiques se suffisent à elles-mêmes. Lorsqu’une personne parle, l’autre -ou les autres- réfléchissent déjà à leurs propres réponses.

C’est ainsi que chacun pérore à l’aune de sa propre logique sans réellement chercher le sens congru du discours de l’autre. Ceci est parfaitement logique car chaque être humain s’aheurte sans cesse aux frontières immatérielles de sa propre « bulle émotionnelle et psychique ».

Nous ne sommes pas totalement indifférents aux autres -espérons-le en tout cas- mais seules les ramifications de l’autre qui nous concernent vraiment nous intéressent. Tout le reste s’embrume et se noie dans un brouhaha informationnel que l’on oublie à la seconde.

C’est pour cette raison que les discussions constructives au sein de la famille, avec les amis, les collègues de travail ou les relations extérieures n’abordent que la surface des choses.

Nous avons déjà plusieurs fois évoqués ici ce que nous décrivons comme étant le « paradigme de l’iceberg ». Paradigme que l’on peut résumer ainsi : tout comme l’iceberg dont nous ne voyons émerger que 10% de la masse totale, l’invisible l’emporte toujours au détriment du visible. Or comme nous ne nous intéressons souvent qu’aux apparences, nous frôlons sans cesse la vraie vie en nous réfugiant prudemment au sein d’une mince bulle qui nous évite de nous impliquer réellement.

C’est ainsi que les discussions entre les êtres humains sont généralement infécondes. Elles se concrétisent uniquement lorsque de réels centres d’intérêts réunissent les êtres.

Naturellement ce cas de figure est rare. Trop rare.

Conscient de ce constat que chacun peut aisément faire, prétendre dialoguer avec une mygale peut paraître absurde, extravagant ; voire malsain. Et pourtant…

Mais avant d’aller plus loin, il n’est probablement pas inutile de nous remémorer ici quelques détails concernant ces charmantes bêtes poilues.

Les mygales forment un sous-ordre d’araignées appartenant au groupe des orthognathes. Le sous-ordre compte actuellement 15 familles, lesquels totalisent 301 genres et 2456 espèces.

Les mygales, comme les autres araignées, sont dépourvues de squelette interne (endosquelette). En effet, elles ne possèdent qu’une cuticule qui joue le rôle de squelette externe (exosquelette). Les animaux à mue ont une croissance non linéaire car l’épiderme synthétise des protéines qui forment une couche non cellulaire au niveau de la surface du corps: la cuticule.

Cette couche est plus ou moins rigide, ce qui empêche l’organisme de croître. Ainsi, l’animal doit donc se débarrasser de cette exuvie afin de continuer sa croissance. Lorsqu’elles sont jeunes, les mygales muent tous les deux ou trois mois, à chaque stade de la croissance, laissant régulièrement ainsi des exuvies dans leur sillage.

L’une des plus intéressantes mygales est parfois appelée « mygale à genoux rouges » ou « grande mygale mexicaine ». Son nom scientifique est infiniment plus poétique : Brachypelma smithi…

Cette mygale est d’un naturel placide. Elle mesure parfois 8 centimètres de diamètre ce qui la rend assez impressionnantes pour celles et ceux qui sont arachnophobes.

De plus en plus rare dans son habitat d’origine, Brachypelma smithi est désormais élevée en terrarium ou sa reproduction ne pose aucun problème.

Cette araignée facétieuse et peu agressive nous interpelle car elle semble se situer très au-delà du relationnel habituel des humains. Or cette limitation est bien regrettable car un contact est tout à fait envisageable avec cette créature qui fascine et surprend en même temps.

Un reportage étonnant illustrait ceci il y a quelques années. L’histoire se passait à New York. On voyait une fillette d’une dizaine d’années jouer avec une grosse mygale à genoux rouges tout en tissant avec elle une relation qui outrepassait largement les barrières sclérosantes qui emprisonnent l’immense majorité des êtres humains ; même ceux qui se prétendent totalement désinhibés…

La mygale vivait une grande partie du temps sur les épaules de la fillette et regardait la télévision en même temps qu’elle, démontrant éloquemment ainsi que deux êtres fondamentalement différents peuvent « partager » des attitudes, des gestes, des relations.

On peut donc « dialoguer » avec une mygale, même si le sens du mot doit être pris ici dans un sens très large.

Mais l’émotion prévaut, et c’est ce qui importe.

L’histoire de cette petite fille et de sa mygale de compagnie peut donner le sentiment d’être une anecdote sympathique ; sans plus.

Hélas, il suffit de se promener dans la rue, ou de regarder les informations télévisées pendant une demi-heure, pour réaliser immédiatement qu’il est apparemment beaucoup plus difficile de dialoguer avec certains êtres humains… qu’avec une mygale !

L’ostracisme, le rejet de l’autre et la haine des différences demeurent constants. Il est affolant de constater qu’une fillette peut établir une relation forte et pérenne avec une mygale à genoux rouges, alors que des millions d’êtres humains se haïssent tout simplement parce qu’ils refusent de connaître l’ « autre » et de dialoguer avec lui.

Nous serons neuf milliards en 2050 et le contexte environnemental et social sera considérablement plus difficile qu’en 2010.

Que faire ?

Observons les mygales et posons-nous une question toute simple : les différences doivent-elles nous enrichir ou nous opposer ?

L’avenir du Monde est dans la réponse que ces neuf milliards d’êtres humains donneront.

Qui veut parier sur le résultat ?