Burj Dubaï : 819 mètres de schizophrénie…

Se prenant pour Nemrod tout en omettant de se remémorer la fâcheuse destinée de la Tour de Babel, des architectes et des constructeurs viennent d’achever un obélisque de béton, de verre et de métal, dont les dimensions exceptionnelles outrepassent l’imagination : Burj Dubaï.

Située, comme son nom l’indique, au sein de ce petit état extrêmement dynamique et inventif (même s’il est actuellement presque en dépôt de bilan…), la tour Burj Dubaï culmine à… 819 mètres !

Elle sera inaugurée dès lundi.

Dans la même démarche de gigantisme cyclopéen, Dubaï a déjà mis en chantiers deux autres tours qui dépasseront les 500 mètres : Pentominium et Burj Al-Alam.

Toutes ces tours sont très effilées, très élégantes ; très belles.

Très inquiétantes aussi…

En contemplant ces grandes silhouettes qui défient le ciel en dressant leur arrogance au-delà des sables ocre et roux du désert, trois sentiments nous tiraillent.

Le premier est parfaitement logique : cette démesure nous inquiète à l’orée d’un siècle qui crucifie notre planète et génère de lourds nuages au-dessus de la tête de nos propres enfants. Construire des immeubles hauts de 500 à 800 mètres semble totalement fou à une époque où nous cherchons -sans grand succès il faut bien le reconnaître- à nous réapproprier une certaine connivence avec la Nature.

Le second est ambigu : cette démesure nous fascine car elle symbolise l’excellence de nos techniques et le génie quelque peu alambiqué de nos architectes. Eriger des tours qui tutoient les nuages concrétise notre ambition ultime : dominer le Monde en installant -ici et là- quelques fanaux qui baliseront l’espace et tempéreront les conséquences implacables du temps…

Le troisième sentiment est paradoxal et totalement pragmatique : cette démesure est (même si cette expression peut faire bondir) écologiquement compréhensible.

Ce dernier point mérite naturellement quelques explications…

Bâtir des tours gigantesques semble absurde si l’on prend en compte les contraintes liées au réchauffement climatique, car elles nécessitent la mise en œuvre de processus qui consomment beaucoup d’énergie et qui produisent d’énormes quantités de gaz à effet de serre.

L’horreur…

Mais, lorsqu’elles sont construites, elles permettent d’éviter d’innombrables déplacements inutiles en concentrant au même endroit des milliers de personnes qui n’ont plus besoin d’effectuer de longs trajets pour aller de leur habitation à leur lieu de travail.

Par ailleurs, la concentration au même endroit de centaines d’appartements superposés induit des économies d’énergie par rapport à un habitat trop dispersé.

Et c’est pour cette raison que les tours (qu’elles fassent 100 mètres ou… 800 mètres !) reviennent en force dans toutes les grandes villes du monde.

On peut naturellement considérer ceci comme étant un lamentable retour en arrière. Mais à une époque où les énergies seront de plus en plus rares et chères, économiser chaque année des millions de kilomètres de transports inutiles deviendra une priorité absolue.

Nous donnions comme titre à cet article : 819 mètres de schizophrénie… Ce qui précède l’explicite parfaitement tout en résumant l’ambiguïté de notre situation actuelle : chaque décision que nous prenons est simultanément porteuse d’espoir et objet d’inquiétude.

On dit souvent que « le Diable est dans les détails »… Ceci confirme, une fois de plus, cet adage populaire maintes fois vérifié.