Nous vous proposons aujourd’hui un entretien avec deux auteurs assez atypiques de la scène imaginaire française : Oksana & Gil Prou. Auteurs de Cathédrales de Brume nous leur avons posé quelques questions afin de mieux comprendre quel a été leur processus d’écriture, quelles ont été leurs influences mais aussi de leurs projets futurs. Maintenant j’arrête mon blabla et je leur cède la place…
Mythologica.net : Bonjour à tous deux et merci de prendre le temps de répondre à ces quelques questions. Votre bébé, Cathédrales de Brumes, est en librairie depuis quelques temps déjà. La chronique sur le site se trouve d’ailleurs ici. Comment deux personnes au parcours et au style si différents en sont venus à écrire de la science-fiction, et surtout ensemble. En ce qui te concerne Oksana comment en vient-on du film de charme à la science-fiction (même si je me doute que cette question t’a déjà été posée cent fois…) et toi Gil pourquoi après avoir dirigé la FNAC te tournes-tu vers l’écriture alors que tu aurais pu réaliser énormément d’autres choses. Le rayon SF de la FNAC n’étant même pas très important pour eux…
Oksana : Bonjour Mythologica et merci pour la chronique !
J’aborde simultanément le X et la science fiction comme un même univers, mystérieux à découvrir, à décrypter et à enrichir. Tout devient possible ainsi. Dans le domaine du sexe et de la cosmologie on est très loin d’avoir fait un tour d’horizon complet. Le sexe et l’univers symbolisent un sujet universel qui passionne le monde depuis la nuit des temps. Dans ce contexte unissant sensualité, émotion et émerveillement devant les beautés du cosmos, les horizons transgressifs proposés par la SF se déploient sans cesse devant notre imagination.
C’est pour cette raison que notre premier roman est souvent empreint de sensualité et d’une fantastique envie de découvrir l’autre. Et ceci même si l’autre est un extraterrestre à la pensée fragmentaire ou un crocodile géant !
Enfin, j’ai toujours été intéressée par l’écriture. Récemment, j’ai réalisé des reportages et rédigé des chroniques pour la version française de la revue « Les filles de Penthouse ».
Gil Prou : J’ai quitté la FNAC en 2000. Trois tours du monde plus tard, j’ai décidé de poser mon sac et de me consacrer à l’écriture car mes activités précédentes ne m’avaient vraiment pas laissé le temps nécessaire. J’avais déjà fait quelques essais littéraires, il y a très longtemps, lorsque je collaborais à la revue « Actuel » (essentiellement des chroniques de disques). Mais ce désir de partager avec les lecteurs des émotions se noyant dans une intrigue fantasmagorique devint très forte au fil du temps.
Oksana et Gil Prou : Comme nous nous connaissons depuis plusieurs années, l’idée d’écrire ensemble s’est insensiblement imposée à nous. Nos personnalités étant très différentes (c’est le moins que l’on puisse dire !) et nos centres d’intérêts étant très proches, l’osmose littéraire se concrétisa presque immédiatement.
Naturellement, nous aurions pu coécrire des récits mêlant sexe, argent, pouvoir et vengeance. Ce cocktail réussit généralement fort bien…
Mais notre ambition était toute autre car nous souhaitions développer dans nos romans une approche très personnelle de la vie que l’on pourrait définir comme étant une sorte de « paradigme de l’iceberg » que l’on peut résumer ainsi en quelques lignes. Tout comme nous ne voyons que 10% de la masse d’un iceberg lorsque nous naviguons près de lui, toute la complexité de la vie se réduit souvent aux apparences, parfois même à la surface des apparences… Etant tous les deux passionnés par la cosmologie et la gravitation quantique, nous pouvons confirmer que ce constat se vérifie éloquemment dans ces domaines scientifiques qui nous obligent systématiquement à « élargir le regard ». Cette ambition nous convient totalement.
M.net : L’intrigue du roman surprend un peu, surtout quand on lit entre les lignes et que l’on ne s’arrête pas aux premières impressions. Avez-vous souhaité utiliser un scénario pour développer vos idées un peu plus profondes ou bien l’inverse ?
Oksana : J’aime quand on peut lire entre les lignes… Dans la vie il ne faut jamais s’arrêter aux apparences. Derrière chaque visage il y a une âme différente, et cette âme est rarement le strict reflet du visage. L’Homme a souvent l’impression de maîtriser le monde, mais beaucoup de chose lui échappe car il omet de franchir la fragile surface du miroir de ces mêmes apparences qui polluent notre sensibilité et nos capacités de réflexion.
Gil Prou : Dans notre démarche créative, ce fut l’inverse en réalité car, en façonnant les différentes péripéties et en écrivant le roman, des images cinématographiques nous venaient continûment à l’esprit. Nous avons donc écrit un scénario qui s’inscrit dans le strict prolongement du récit.
Oksana & Gil Prou : Par ailleurs, notre roman est plutôt conçu comme un conte car il mêle inextricablement des réalités cosmiques et des fantasmes intimes. Condamné à errer dans l’espace pendant plusieurs millions d’années sans pouvoir bouger ni mettre fin à ses jours, notre héros doit rêver son destin et le façonner à sa mesure. C’est pour cette raison -et en raison du caractère atypique de notre postulat de départ- que nous poussons jusqu’au paroxysme les ahurissantes potentialités de la Théorie des cordes, de celle du « multivers » et des trous noirs.
Nous sommes donc très éloignés du space opera classique et avons cherché à mettre un peu d’onirisme et de poésie dans cette tragédie humaine hors norme.
On peut signaler aussi que certains ingrédients caractéristiques du space opera sont développés ici dans un cadre qui annonce une quête plus ambitieuse encore (ce roman devrait se poursuivre dans le cadre d’un « triptyque » s’immergeant dans les arcanes du multivers). La préface de Jean-Pierre Luminet met parfaitement en exergue certains de ces points.
M.net : Comment se passe l’écriture à quatre mains ? Cela a-t-il par moment créé des dissensions ou bien le principe a-t-il été facilement mis en place.
Oksana & Gil Prou : Ecrire à quatre mains est extrêmement facile lorsque les deux auteurs se partagent bien le travail. Dans notre cas le principe est simple : Oksana s’occupe principalement de l’humain et des émotions et Gil s’occupe principalement de l’environnement matériel et des péripéties. Ensuite tout va très vite : identification d’une idée de départ, organisation des grandes articulations du récit, puis mise en place des principales péripéties.
Puis on écrit un premier jet (le résultat est généralement assez décevant) et on retravaille le texte. Encore et encore… Par phases successives l’épure originale prend forme et le travail le plus excitant commence alors : donner vie à l’ensemble !
Cela occasionne d’innombrables discussions, mais jamais de dissensions.
Cette façon de travailler nous convient parfaitement car elle nous permet de mettre en œuvre une véritable alchimie qui se nourrit de nos différences. Et l’arithmétique de nos émotions et de nos imaginations cumulées s’étoffe toujours un peu plus à chaque phase de l’écriture.
M.net : De fortes connotations écologiques sont lisibles dans ce roman. Etait-ce une volonté de votre part de défendre ces théories ? Faites-vous autre chose parallèlement pour défendre cette cause ?
Oksana : L’écologie et la problématique de l’environnement sont des sujets qui nous passionnent. C’est quelque chose qui nous concerne tous !
Notre planète est de plus en plus polluée. Les guerres et la pauvreté croissent sans cesse. Tout le monde ne vit pas confortablement sur notre planète. C’est le moins que l’on puisse dire. En 2009, un milliard d’êtres humains ont faim et un enfant meurt toutes les cinq secondes en raison d’une eau insuffisante ou trop polluée !
C’est aberrant et honteux pour notre XXIe siècle. Une fois que nos ressources seront épuisées et que la Terre ne suffira plus à assouvir nos fantasmes de domination et de conquête, où irons-nous ?
Nous penserons alors à nous implanter sur une autre planète. Pour refaire les mêmes erreurs ?
Je pense que si des extraterrestres étaient susceptibles de voir cela, ils ne feraient certainement pas notre connaissance et ne comprendraient pas notre logique et l’étrange façon que nous avons de nous servir de notre… intelligence !
Gil Prou : Nous aimons la Nature dans son sens le plus large : les animaux, les plantes, la beauté des paysages. Ceci apparaît clairement dans notre blog : www.oksanaetgil.skyrock.com .
Naturellement l’aveuglement humain actuel nous révolte et nous redoutons les effets catastrophiques de la disparition de la biodiversité et de la salutaire différence qui existe entre les êtres depuis les aubes du précambrien. Nous sommes tous les deux perpétuellement en quête d’altérité, et cette quête passe aussi bien par la philosophie que par la sensualité…
C’est pour cette raison que, dans « Cathédrales de brume », nous faisons la part belle à des êtres vraiment différents. Nous les aimons ; et nous revendiquons clairement ce choix.
Oksana & Gil Prou : Dans le même ordre d’idée, certaines des intrigues amoureuses du roman sont résolument « décalées ». Mais, là encore, la culture des différences symbolise une volonté d’appréhender l’autre dans sa totalité et non par le prisme biscornu des apparences. Cette démarche est typiquement néoplatonicienne car elle s’articule sur la prééminence de l’Un et l’acceptation totale de la « coïncidence des opposés » chère à Nicolas de Cues…
Pour répondre à la dernière partie de la question, nous pensons que si nos romans aident certains lecteurs à se poser quelques questions importantes sur eux-mêmes et leur relation aux autres, nous n’aurons pas perdu notre temps.
Chaque réponse est une nouvelle question. Et l’arborescence est sans fin.
M.net : J’ai vu également qu’un groupe de musique s’était inspiré de votre roman à tous deux pour sortir un album. Comment cela s’est-il passé et les deux projets ont-ils finit par se nourrir ?
Oksana & Gil : En écrivant le scénario de « Cathédrales de brume » (le titre du screenplay est « Soliloquium in splendor ») nous imaginions les différentes scènes tout en nous efforçant d’y inclure une musique qui mette en valeur les séquences les plus fortes émotionnellement parlant.
La musique de certains groupes de Dark Ambient nous venait immédiatement à l’esprit : Lustmord et Raison d’Être par exemple.
Nous cherchions donc une musique qui pourrait constituer une bande originale de film. Le label suédois Cold Meat Industry (www.coldmeat.se) nous apporta la solution en nous faisons découvrir les atmosphères martiales et envoûtantes de « Dawn & Dusk Entwined ».
Nous avons contacté David Sabre via MySpace. Nous lui avons présenté le synopsis de l’intrigue, puis nous nous sommes rencontrés.
Trois mois plus tard les 27 morceaux étaient composés, chacun reprenant une péripétie ou une séquence du scénario.
Nous sommes très fiers de ce partenariat qui symbolise parfaitement les connivences que l’on peut concrétiser entre des domaines et des disciplines différentes. Schopenhauer prétendait que « l’architecture est de la musique congelée » (Le Monde comme volonté et comme représentation) et cette image nous plaît bien car elle corrobore notre volonté -dans nos romans comme dans nos vies- d’évolution perpétuelle entre des mondes différents, des sensibilités différents. Des univers différents.
Ceci explique aussi l’étrange accointance littéraire réunissant une star du X passionnée par la cosmologie et un amateur de Dark Metal passionné de poésie.
M.net : Comment a été reçu ce premier roman à la fois par les journalistes et chroniqueurs mais aussi par le public car je crois que vous vous déplacez sur les salons pour rencontrer vos lecteurs…
Oksana : Notre premier roman a été plutôt bien accueilli par celles et ceux qui l’on lu entièrement.
Notre approche étant assez atypique, certaines personnes sont déroutées au début, mais le dialogue avec les lecteurs lors des salons permet d’expliquer la raison d’être de certaines péripéties ou l’emploi (dans le premier roman en tout cas) d’un vocabulaire qui peut paraître exagérément luxuriant.
Gil Prou : Par ailleurs, nous n’avons nullement pour objectif de plaire à tout le monde… Mais si nos romans permettent l’ouverture d’un débat ou de discussions sur des problèmes de fond, nous aurons remplis notre mission.
La rencontre avec nos lecteurs -ou nos futurs lecteurs- est un instant privilégié et particulièrement fécond. C’est pour cette raison que nous participerons à plusieurs festivals de SF.
M.net : Je crois qu’un second roman est d’ores et déjà prévu chez un autre éditeur. Pouvez-vous nous en dire plus à la fois sur la date de sortie mais aussi sur le contenu ?
Oksana : Notre second roman : « Katharsis » sort effectivement au mois de mars 2010 aux Editions Interkeltia : http://www.interkeltia.com/Fiches-livres/f-katharsis.htm . C’est un roman de SF fondamentalement différent car il se situe dans un avenir proche et prend la forme d’un thriller écologique. Le thème étant cruellement d’actualité et l’ensemble des données prises en compte étant tout à fait réaliste et crédible (une seule information utilisée dans le récit est volontairement exagérée d’un facteur 10), le philosophe et écologiste Yves Paccalet a immédiatement accepté de rédiger une préface pour « Katharsis » après avoir lu le manuscrit.
Il y a effectivement une évidente synergie entre son essai le plus célèbre : « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! » et notre roman.
Gil Prou : Ce thriller évoque un chantage à la finalité apocalyptique -dans le sens congru du terme « apocalyptique »- si les gouvernements des principaux pays refusent d’obtempérer à une triple requête visant à protéger notre planète et nous-mêmes du drame environnemental et social qui couve.
Nous n’en dirons pas plus, mais cette intrigue nous place à l’aplomb de notre propre abîme. Et tous les éléments enrichissant les différentes péripéties du roman sont déjà en germe dans notre société en 2009.
M.net : Quels sont les prochains évènements auxquels vous avez prévu de participer, afin que vos lecteurs puissent vous rencontrer ?
Oksana & Gil Prou : Nous participerons aux 6eme « Rencontres de l’Imaginaire » à Sèvres (12 Décembre), puis au festival « Zone Franche : les Mondes Imaginaires » à Bagneux (13 & 14 Février 2010).
Par ailleurs, nous serons en dédicace le samedi 20 Février (à partir de 15h 30) à la librairie Gibert Joseph située à l’angle du Bd St Michel et de la rue de l’Ecole de médecine. Nous devrions être avec Kurt Steiner, Alain Blondelon et P-J Herault.
D’autres dédicaces devraient suivre.
M.net : Merci en tout cas d’avoir pris la peine de répondre à ces quelques questions et je vous laisse bon courage pour la suite de vos aventures science-fictionnelles.
Oksana & Gil Prou : Merci beaucoup d’avoir pris part à notre aventure en nous consacrant cette interview !
Entretien réalisé par Deuskin