Lorsque la nuit sera totalement noire…

Les galaxies extérieures à la nôtre disparaîtront de notre ciel dans quelques milliards d'années

« J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîme

Qui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cime

Etait là, morne, immense ; et rien n’y remuait.

Je me sentais perdu dans l’infini muet »

Victor Hugo – Les contemplations (Livre sixième : au bord de l’infini)

Nous l’avons déjà précisé à plusieurs reprises : ce blog a pour objectif de vous convier à élargir le regard tout en pratiquant une saine et vivifiante transgression permanente de tous les carcans intellectuels qui nous engluent l’esprit.

Cet article ne dérogera guère à ce principe.

Nous vous proposons de faire avec nous un petit voyage dans le temps. Dans le futur pour être précis.

Imaginez-vous sur Terre dans… 3 milliards d’années ! Un saut de puce à l’aune du destin de l’univers, mais un pas de géant pour un être humain.

Avant cela, remémorons-nous un instant ce que nous avons déjà évoqué dans l’article consacré au « multivers », car la cosmologie contemporaine décrypte, peu à peu, des mystères fascinants. De nombreux théoriciens esquissent les prémices d’un multivers au sein duquel notre univers ne serait qu’une infime parcelle. Ce multivers pourrait s’organiser en arborescences ascendantes (des univers naissent à chaque instant par fluctuation du vide ou lors du heurt cataclysmique des gigantesques branes multidimensionnelles prédites par la Théorie des cordes) ou par le biais d’une titanesque mise en abyme susceptible d’enchâsser des univers les uns dans les autres.

Si votre raison vacille et qu’une céphalée persistante vous assaille, faisons une pause et revenons à des conceptions plus placides, plus sereines ; la vie sur Terre dans 3 milliards d’années par exemple.

Comment sera la Terre à cette période ? Nul ne le sait.

Quelle sera l’espèce dominante ? Nul ne le sait.

Comment seront disposés les continents ? Nul ne le sait.

Quel sera le climat en ces temps lointains ? Nul ne le sait.

Mais ce que nous savons avec une quasi certitude, c’est que la nuit sera beaucoup plus noire qu’actuellement. Pourquoi ?

La raison tient en cinq mots : accélération de l’expansion de l’univers.

Depuis de nombreuses années nous savons que toutes les galaxies s’éloignent les unes par rapport aux autres, ce qui révèle que notre univers est en expansion. Mais, depuis 1998, plusieurs équipes de chercheurs ont mis en évidence un phénomène beaucoup plus surprenant : cette expansion s’accélère au fil du temps…

Cette découverte a été effectuée en mesurant la distance entre des astres dont la luminosité absolue est supposée être parfaitement connue. Généralement, la cause de cette accélération est liée à l’existence d’une énergie sombre qui représenterait presque les trois-quarts de notre univers.

Cette accélération de l’expansion implique naturellement une progressive dilution de la matière conduisant à très long terme à une véritable mort thermique de l’univers (Big Chill en anglais).

La conséquence serait donc un univers de plus en plus vide et de plus en plus froid.

Pas très gai…

Si nous en revenons à notre hypothèse de départ : un saut de 3 milliards d’années dans le futur, il est évident que les étoiles constituant notre galaxie continueront à briller. Elles seront simplement disposées différemment. Ce qui changera fondamentalement c’est que toutes les galaxies qui entourent la nôtre donneront la singulière impression de s’être enfuies… La nuit ne sera donc pas totalement noire, mais le fond diffus des centaines de milliards de galaxies -elliptiques, spiralées et irrégulières- qui nous entourent, aura disparu.

Nous serions donc de plus en plus seuls dans un univers de plus en plus noir et de plus en plus froid.

Mais nous aurons disparu depuis fort longtemps.

Espérons simplement que les créatures étranges qui nous succéderont dans 3 milliards d’années n’aient pas peur dans les ténèbres…

Si vous souhaitez en savoir beaucoup plus sur le sujet, nous vous recommandons encore un ouvrage de référence incontournable écrit par notre ami Jean-Pierre Luminet (qui a par ailleurs rédigé la préface de « Cathédrales de brume ») : Le destin de l’univers : trous noirs et énergie sombre (Fayard).

Pour celles et ceux qui s’intéressent aux univers qui jaillissent au-delà du nôtre, un livre récent (2007) s’impose : Paysage cosmique : notre univers en cacherait-il des millions d’autres ? écrit par Leonard Susskind (Robert Laffont).

Black hole

Deux étoiles colossales qui se métamorphoseront -dans quelques millions d'années- en "trous noirs"...

« En cherchant l’œil de Dieu, je n’ai vu qu’un orbite

Vaste, noir et sans fond, d’où la nuit qui l’habite

Rayonne sur le monde, et s’épaissit toujours.

Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,

Seuil de l’ancien chaos dont le néant est l’ombre,

Spirale engloutissant les Mondes et les Jours ! »

Gérard de Nerval – Les Chimères

 

Spirale engloutissant les Mondes et les Jours…

Lorsque les humains ne savent plus décrire l’indescriptible, seuls les poètes y parviennent. Parfois…

Les trous noirs constituent probablement les objets les plus extraordinaires de tout l’Univers. Ils sont simples, beaux ; fascinants.

Ils sont terrifiants aussi.

Pour résumer en une phrase, un trou noir est une région de l’espace-temps à l’intérieur de laquelle la gravitation est si forte qu’elle empêche toute matière et tout rayonnement de s’échapper. En fait, ces gouffres gravitationnels sont si denses que même la lumière ne peut plus s’en échapper…

Nés de l’explosion cataclysmique d’une étoile géante (ce que l’on appelle une supernova), ils sont les résidus du cœur même du colosse défunt. Les forces atomiques ne pouvant plus endiguer les forces gravitationnelles, les atomes de l’étoile s’effondrent en son centre et forment une singularité quantique de masse presque infinie et de volume presque nul.

Au cœur d’un trou noir, la totalité de notre planète tiendrait dans un téléphone portable…

Les trous noirs sont de tailles variées -certains cannibalisent le centre des galaxies alors que d’autres sont microscopiques- et les conséquences de leur formidable pouvoir d’attraction varient considérablement. Nous n’en ferons donc pas ici un descriptif complet, le livre que nous citons en référence à la fin de cet article comblera aisément votre curiosité.

Mais il faut quand même citer ici une singularité particulièrement extraordinaire, singularité que nous exploitons par ailleurs dans notre premier roman : « Cathédrales de brume ».

Un trou noir ayant une densité colossale, celle-ci finit par distendre les mailles de l’espace-temps. En clair, cela signifie que la matière et l’énergie emprisonnées au cœur de l’ogre cosmique finissent par… quitter notre Univers !

A cet instant de nos réflexions, nous entrons naturellement dans le domaine des hypothèses et supputations. Certains théoriciens pensent que cette matière resurgit ailleurs en formant un « trou blanc ». D’autres pensent qu’elle quitte réellement notre Univers afin de se fondre en un ailleurs à jamais indécelable pour nous.

Hormis par la pensée.

Quel que soit notre sentiment profond, les trous noirs et leurs ahurissantes particularités nous situent exactement là où nous souhaitons déambuler : à la lisière du visible et de l’invisible. Au centre de cette fragile frontière qui unit le dicible et l’indicible. Un monde qui réunit enfin le scientifique et le poète, l’ingénieur et le chaman, le Yin et le Yang.

L’ombre et la lumière.

Notre reflet en fait.

Nous sommes tous sœurs et frères des trous noirs géants qui dévorent le cœur de toutes les galaxies. Et ce constat nous pétrifie et nous excite à la fois.

Afin d’en savoir plus, nous recommandons la lecture de : Le destin de l’univers : trous noirs et énergie sombre de notre ami Jean-Pierre Luminet (Fayard) http://livre.fnac.com/a1861029/Jean-Pierre-Luminet-Le-destin-de-l-univers?Mn=-1&Ra=-1&To=0&from=1&Nu=1&Fr=0

Avec sa rigueur scientifique et sa verve poétique, Jean-Pierre décrit très clairement des phénomènes complexes et affolants. Un talent rare.

Il dédie enfin son livre à celles et ceux pour qui chaque réponse est une nouvelle question.

Dans nos romans, comme dans nos vies, nous nous situons exactement dans la même logique…

Noctis Labyrinthus

Mars : le Labyrinthe de la Nuit...

Depuis les aubes les plus reculées de l’humanité la symbolique du labyrinthe obsède nos pensées et crucifie notre logique.

Les plus grands auteurs : Kafka ou Borges pour n’en citer que deux, se sont régulièrement efforcer à l’art délicat de la déambulation saccadée dans un espace vital que nul regard ne peut étreindre totalement.

Depuis les labyrinthes tracés avec des pigments végétaux dans les grottes du Néolithique aux labyrinthes contemporains que l’on édifie fugacement dans nos champs afin de distraire les enfants, ces moments d’éternité pétrifiée assaillent encore notre esprit en s’imposant tranquillement.

Sobrement.

Le mythe d’Ariane et Thésée est puissant. La violence du Minotaure aussi. Mais ces résurgences d’un passé qui vrombit en nous, et que nous ne pouvons dissiper d’un simple geste, nous remémorent que nous sommes toutes et tous filles et fils d’Ariane. Perdus dans le labyrinthe d’une existence que nous ne comprenons pas, d’un monde que nous ne comprenons plus, nous errons en cherchant, ici et là, quelques bribes d’une sérénité passagère.

Et qui s’estompe au moindre souffle de vent.

Le labyrinthe que nous évoquons en titre illustre parfaitement cette obsession née du fond des âges. Mais ce Labyrinthe de la Nuit –Noctis Labyrinthus– n’est pas situé en Crête ou dans les méandres d’un affluent de l’Amazone.

Noctis Labyrinthus trône au centre de la planète de tous les records : Mars !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la planète Mars est vraiment hors normes. Elle est pourtant proche de la Terre et de dimension assez réduite, puisque son diamètre est égal à la moitié de celui de notre planète et sa masse est seulement égale à 10% de celui de la Terre.

Mais cette planète apparemment anodine ne l’est nullement. A sa surface d’une couleur uniformément ocre et rouille, on découvre des « monstres » géologiques.

Mars s’enorgueillit en effet d’abriter les quatre plus hautes montagnes du système solaire. Dans un vaste espace portant le doux nom de « Dôme de Tharsis » on trouve en effet quatre volcans éteints : Arsia Mons, Pavonis Mons, Ascraeus Mons et Olympus Mons, dont les hauteurs s‘échelonnent entre 14 000 mètres et… 25 kilomètres !

Dans un autre registre, Mars abrite aussi la plus colossale cicatrice tectonique de tout le système solaire : Valles Marineris. Longue de 4 000 kilomètres (alors que la circonférence de Mars est seulement de 21 000 kilomètres…), elle atteint parfois plus de 7 000 mètres de profondeur !

Le gigantisme du Grand canyon du Colorado se nanifie à cet instant en regard de cette balafre cyclopéenne qui barre l’équateur martien.

Situé à l’ouest de cette gorge impressionnante, un ahurissant lacis de gorges étroites se fragmentant sans cesse conclue étonnamment ce défi au bon sens et au cartésianisme.

Ce dédale oppressant s’appelle : Noctis Labyrintus.

Nous y voilà…

Frissonnant sous les zéphyrs martiens, cet enchevêtrement de canyons soigneusement imbriqués les uns dans les autres égarerait un pisteur sioux, aussi sagace soit-il.

Cet entrelacs lithique aux formes torturées est aussi un paysage d’ombre lorsque le soleil bascule à l’horizon. L’étreinte monstrueuse unissant fugacement l’ombre et la lumière, la cendre et le feu, obnubile alors le regard.

Nous évoquions Jorge Luis Borges au début de cet article, laissons-le évoquer un instant ce moment magique et angoissant à la fois : « Toujours est émouvant un coucher de soleil quelque indigent ou bigarré qu’il soit, mais plus émouvant encore est cet éclat désespéré et final qui rouille la plaine lorsque le dernier soleil s’est abîmé. Nous avons peine à soutenir cette lumière tendue et distincte, cette hallucination qu’impose à l’espace l’unanime crainte de l’ombre » (Afterglow).

Une hallucination imposant à l’espace l’unanime crainte de l’ombre… c’est pour cette raison que nous aimons cette structure martienne qui défie l’imagination et claquemure nos angoisses dans un écrin d’angoisses plus impérieuses encore…

Nous l’aimons tellement que nous lui avons consacré une place de choix dans l’un de nos deux romans : « Cathédrales de brume ».

Confronté à une situation affolante : survivre pendant plusieurs millions d’années sans pouvoir bouger, ni mettre fin à ses jours… notre héros se réfugie passagèrement dans les arcanes d’une beauté austère et grandiloquente à la fois. Une beauté qui instille dans l’âme des sentiments partagés ; mais toujours très puissants.

Règnent ici : la terreur devant une architecture qui outrepasse l’imagination, la fascination au contact d’une force tellurique issue des débuts flamboyants et cataclysmiques de l’Univers, et la sérénité en regard d’une immobilité pétrifiée qui nous remémore que nous ne sommes qu’un brimborion follement agité et qui s’éteindra toujours trop promptement.

La contemplation de ce Labyrinthe de la Nuit et de ses formes convolutées nous remet face à nous-même. L’expérience est grandiose.

L’expérience est affolante…

L’univers de cristal

Un multivers protéiforme et infini

Nous avons déjà esquissé à plusieurs reprises la notion dérangeante, certains diront même iconoclaste ou blasphématoire, de multivers.

Ce concept nous est très précieux car nous l’utilisons dans notre roman : « Cathédrales de brume », tout en intégrant d’autres paramètres émotionnels qui propulsent nos héros vers des archipels psychiques insoupçonnés.

Mais revenons à ce multivers que nous décrivons métaphoriquement comme un « univers de cristal »…

L’idée même d’univers multiples se substituant au notre est très ancienne. Elle filigrane les approches cosmologistes d’Anaximandre, de Nicolas de Cues, de Giordano Bruno ou de Leibniz.

Elle jalonne en fait toute l’histoire de la philosophie et trouve écho au sein de nombreuses cosmogonies.

Pertinent dans le domaine des sciences, le concept d’ « univers en cascade » -généralement appelé multivers– constitue une révolution conceptuelle s’assimilant à la rupture née des innovations coperniciennes. Le géocentrisme est mort. Et la notion d’univers unique et pérenne est probablement morte aussi.

Paix à son âme.

Le point de départ de ces théories visant à décrypter l’existence d’un multivers infiniment plus complexe que notre univers fait référence à un constat simple. Nous vivons sur une planète tellurique qui est très peu représentative du contenu moyen du cosmos. En extrapolant cette immense diversité qui fait chatoyer l’univers, on peut légitimement se demander si notre univers n’est pas, lui aussi, qu’un élément anecdotique et non significatif d’un ensemble colossalement plus grand et plus complexe : le multivers !

Ceci nous invite donc à mettre en œuvre une vision cosmologique globale (ceci fait étroitement référence à notre exigence d’une vision holistique du Monde) en constatant que notre environnement direct -la Terre en l’occurrence- n’est absolument pas représentatif du Tout…

S’il existe bien d’innombrables étoiles, d’innombrables galaxies et d’innombrables amas de galaxies, pour quelles raisons notre univers devrait-il être unique ?

Dans le cadre des théories physiques modernes, la Relativité générale d’Einstein et la Physique quantique s’accommodent parfaitement de cette hypothèse audacieuse. Le modèle d’Einstein démontre que la géométrie de l’espace-temps est structurée par la matière qu’il contient. Or ce modèle prédit un espace infini dans deux des trois géométries utilisées en cosmologie.

Si l’espace est potentiellement infini, notre univers n’est donc qu’un brimborion en son sein.

Dans le même ordre d’idées, certains des fondements de la Physique quantique : les équations d’onde de Schrödinger par exemple (équations fondamentales de la Physique quantique qui décrivent dans le temps l’évolution d’une particule massive non-relativiste) impliquent « théoriquement » l’existence d’une multiplicité des univers.

Mais c’est naturellement dans le cadre des grandes théories d’unification de la gravitation quantique, c’est à dire la Gravitation quantique à boucles et la Théorie des cordes, que le concept du multivers prend toute sa valeur.

Et son insolente grandeur…

Nous ne décrirons pas ici ces théories complexes qui fascinent et déroutent les esprits les plus hardis. Les excellents ouvrages de Jean-Pierre Luminet et de Brian Greene satisferont toutes vos curiosités.

Nous dirons simplement que la Théorie des cordes présuppose que, dans les premiers milliardièmes de seconde du big bang, la taille de notre univers augmenta brutalement et monstrueusement.

Ce processus d’inflation cosmique est actuellement validé par la presque totalité de la communauté scientifique internationale. Il conduit inéluctablement à la notion d’un méta-univers situé en amont de notre propre univers et qui serait agité d’une perpétuelle inflation.

L’espace et le multivers se créent sans cesse et se diversifient sans cesse.

Baroque, extravagant et totalement protéiforme, ce multivers s’alimente aux sources de sa propre exubérance.

Un monde inquiétant et fascinant à la fois…

Le modèle de multivers le plus accompli -et le plus séduisant- est décrit par Andrei Linde (Stanford University).

Ce dernier a formulé, dès 1982, une théorie qui tente de dépasser les faiblesses du modèle du big bang.

Linde critique la théorie du big bang en raison des nombreux problèmes physiques et philosophiques qu’elle soulève. Il considère notamment que les équations physiques qui déterminent le big bang prédisent un univers beaucoup plus petit qu’il ne l’est en réalité. Par ailleurs, le modèle théorique n’explique pas pourquoi les différentes régions de l’univers se ressemblent et pour quelles raisons les lointaines galaxies sont distribuées de façon aussi uniforme dans toutes les directions au sein de l’univers.

Linde proposa donc la théorie d’un univers auto-reproducteur et à très forte croissance (self-reproducing inflationary univers) qu’il a modélisé grâce à des simulations sur ordinateur.

Selon lui, la croissance de l’univers à son origine aurait obéi à un modèle d’« inflation chaotique ». La théorie de Linde décrit un univers semblable à une bulle qui produirait des bulles identiques, et ainsi de suite. L’univers ainsi décrit enfanterait de nouveaux univers par autoreproduction et selon une arborescence empruntée aux mathématiques fractales.

Pour Linde, il faudrait donc imaginer l’univers comme un ensemble de bulles reliées entre elles et qui se développent de manière totalement fractale, c’est-à-dire que chaque partie ressemble au tout.

Il y aurait donc eu création d’un univers à partir duquel plusieurs bulles se seraient formées de façon indépendante. Ces nouvelles bulles seraient en fait des points de l’univers qui seraient entrés en expansion en eux-mêmes. Donc, sans affecter l’univers originel.

Chacun de ces univers aurait ses propres lois de la physique et pourrait donner naissance à d’autres univers, et ainsi de suite.

Ce mécanisme engendrerait un univers auto-reproducteur éternel et infini dans le temps et dans l’espace. Ceci conduit à un multivers particulièrement fécond dans sa capacité à rendre compte du réel. Ce « maelström cosmique » permet l’émergence de lois physiques multiples tout en prédisant l’existence d’univers-bulles déconnectés les uns des autres.

Dans ce cadre ambitieux, les mathématiques qui décrivent notre réel (donc celui de notre univers) sont à réinterpréter comme étant de simples paramètres environnementaux. Parmi d’autres…

A la lecture de ce qui précède, vous comprenez aisément pour quelles raison cet « univers de cristal » aux entrelacs oniriques et baroques nous fascine.

Il satisfait parfaitement nos exigences de mise en abyme tout en nous révélant -une fois de plus- que le visible n’est qu’une infime parcelle de l’invisible.

Matière noire, énergie sombre, quintessence, multivers… la liste est longue !

Et nous continuerons à en décrypter les arcanes; dans nos romans comme dans nos deux blogs.

Pour votre plaisir. Pour le nôtre aussi…

Supernova

 

Depuis sa création, il y a environ 4,5 milliards d’années, le système solaire a été le théâtre de cataclysmes impressionnants. Il en fut de même pour la Terre qui dut subir des heurts violents avec des astéroïdes géants.

Le plus violent de tous étant la collision avec un astre d’une taille similaire à la planète Mars.

De ce chaos dantesque naquit le couple Terre-Lune…

Mais tout ceci est anecdotique à l’aune des grands cataclysmes qui parsèment l’univers.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’événement le plus apocalyptique n’est pas le heurt entre deux galaxies, car celles-ci étant constituées d’étoiles très éloignées les unes des autres, ces enchevêtrements galactiques s’effectuent presque sans dommage, même si la plus petite des deux galaxies ressort généralement très démembrée après cette colossale étreinte…

L’événement le plus effroyable -le plus théâtral aussi- est l’explosion d’une supernova.

Rarissimes dans notre galaxie à l’échelle d’une vie humaine, elles sont fréquentes lorsque l’on prend en compte la totalité de l’univers composé, rappelons-le ici, d’au moins 100 milliards de galaxies et chacune de ces galaxies contenant en moyenne 100 milliards d’étoiles !

Lors de l’explosion d’une supernova, la luminosité dégagée par cette étoile défunte est égale à la luminosité globale de la galaxie qui l’abrite. Et ce flamboiement se prolonge pendant plusieurs semaines…

Avant d’aller plus loin, il convient de se remémorer un élément capital : plus une étoile est petite, plus elle vit longtemps et calmement. On en déduit donc immédiatement que, plus une étoile est massive (entre 5 et 50 masses solaires), plus elle vivra fugacement et tumultueusement.

Et ce n’est pas un euphémisme.

Sans rentrer dans les détails de la nucléosynthèse stellaire (l’expression semble inquiétante et compliquée, mais le principe est assez simple), on peut préciser qu’une étoile passe l’immense majorité de sa vie à transformer de l’hydrogène en hélium. C’est le principe même de la fusion nucléaire.

Pendant toute cette période, les étoiles sont des sphères de gaz qui restent stables en équilibrant deux forces antagonistes : la pression due à leur propre gravité (conséquence directe de leur masse énorme), qui tend à les faire s’effondrer sur elles-mêmes, et les forces de pression liées à l’agitation thermique des molécules. Ces forces de pression entraînent la dilatation des étoiles.

Entre effondrement et dilatation l’équilibre demeure presque parfait pendant des milliards d’années.

Lorsque l’étoile est de faible masse, la température interne de l’astre ne dépasse jamais les 100 millions de degrés (quand même…) et le processus atomique se satisfait de la combustion de tout l’hydrogène de l’étoile en hélium.

Puis la nucléosynthèse s’éteint d’elle-même, faute de « carburant ».

La situation est très différente lorsque l’étoile dépasse 5 masses solaires, car le phénomène de contraction accroît encore la température interne qui provoque la fusion de l’hélium en éléments plus lourds.

Le processus s’affole alors. Plus la température s’accroît, plus les métamorphoses se bousculent. L’hélium se transforme en carbone, puis en oxygène, en néon, en sodium, en magnésium…

Implacable, le scénario explose tous les schémas préétablis.

En augmentant encore la température du cœur de l’étoile torturée par ses propres entrailles, s’effectuent alors les fusions du soufre, du phosphore, du silicium. Au-delà les choses s’accélèrent à la vitesse d’un cheval au galop. Le phénomène s’amplifie encore avec la fusion très rapide du calcium, du cobalt, du nickel.

Et du fer.

Tout s’arrête à cet instant, car le fer est l’élément le plus stable. Et le processus s’interrompt brutalement. Bousculée par ces phénomènes qui se sont accélérés en quelques jours (un battement de cils à l’échelle de la vie d’une étoile…), l’étoile acquiert une structure en « pelure d’oignon ».

Au centre de cet « oignon » particulièrement chaud à cet instant -plus de 10 milliards de degrés !- la température est tellement élevée que les noyaux de fer se désintègrent en noyaux d’hélium et en neutrons, puis en protons et neutrons. Par un phénomène complexe, il s’ensuit un déséquilibre énergétique qui conduit à l’effondrement brutal du cœur de l’étoile, alors que les couches extérieures sont expulsées à très grande vitesse.

On observera que lorsque l’étoile qui explose en supernova est très massive et que le cœur restant dépasse encore les trois masses solaires, le phénomène cosmique le plus faramineux de tous se métamorphose alors en trou noir.

C’est-à-dire l’objet galactique le plus étonnant qui soit, l’ogre quantique qui ouvre -peut-être- des « portes d’abîme » vers d’autres univers…

Mais revenons un instant à notre étoile défunte. L’immense partie de la matière stellaire torturée par l’explosion de la supernova ensemencera l’univers en créant, beaucoup plus tard, de nouvelles étoiles avec leur cortège baroque de planètes bigarrées.

L’une d’entre elles sera peut être une nouvelle Terre…

Résumé en quelques lignes (car le processus complet est naturellement beaucoup plus complexe), voilà l’histoire d’une grosse étoile qui désira vivre très vite.

Et qui en mourut, créant autour d’elle des lueurs d’Apocalypse.

Mais elle engendra la Vie, symbolisant merveilleusement ainsi l’éternel retour précocement décrit par Héraclite.

Il y 2 500 ans…

Postface de « Cathédrales de brume » (avec glossaire)

Postface

 

En dépit du caractère onirique et surréel de « Cathédrales de brume », le roman s’appuie sur des données scientifiques fiables et, pour une large part, unanimement acceptées par la communauté scientifique mondiale.

Les hypothèses prises en compte dans l’intrigue font référence à quatre grands « piliers » de la physique contemporaine et de la cosmologie.

Le premier de ces piliers se réfère explicitement à la Physique quantique et à la Relativité générale d’Einstein. C’est ainsi que les évocations de la multiplicité des univers, de la fluctuation du temps et des singularités quantiques, sont directement issues du Principe d’incertitude d’Heisenberg et des équations de Schrödinger, c’est à dire les fondements même de la Physique quantique.

Pareillement, les trous noirs sont les « enfants naturels » de la Relativité générale.

Le second vivier d’informations, apparemment baroques et folles, est le fruit des dernières découvertes de la cosmologie moderne. Les résultats obtenus par les sondes spatiales, le télescope Hubble, et les innombrables analyses effectuées depuis les grands télescopes situés dans les zones où l’atmosphère terrestre est la plus pure, confirment certains points mis en exergue dans notre récit.

Les trois plus importants étant :

–                           que la théorie du big bang en tant que commencement primordial doit être totalement refondue,

–                           que la matière visible, ou accessible à nos instruments d’investigation, représente au maximum 4% de notre univers,

–                           et que l’expansion de ce dernier se poursuit sur un rythme accéléré.

En fait, nous savons désormais que nous savons fort peu de choses sur la vie, l’origine et la destinée de notre univers.

Ce constat ne peut naturellement que ravir tous les romanciers de science-fiction…

La troisième hypothèse est en phase de concrétisation. Elle s’inscrit dans une forme décapante et iconoclaste de la Physique des particules que l’on nomme Théorie des cordes. Il y est fréquemment fait référence dans Cathédrales de brume, tout comme dans le screenplay que nous avons écrit en nous inspirant de cette étrange odyssée.

Pour faire court, cette théorie précise que les constituants ultimes de la matière sont de minuscules cordes dont le mode de vibration produit l’émergence de telle ou telle particule. Ceci s’apparente un peu aux cordes d’un violon qui, en vibrant, produisent des harmoniques distinctes. Ces cordes (ou supercordes lorsqu’elles incluent les principes de la supersymétrie) ont une singularité supplémentaire : elles se modélisent en… dix dimensions spatiales !

Ces dix dimensions sont nos trois dimensions habituelles, six dimensions minuscules repliées sur elles-mêmes depuis le big bang, et une dimension géante qui englobe notre univers.

Enfin, la dernière hypothèse -largement mise à contribution tout au long de l’intrigue- est sensiblement plus spéculative, même si elle est incluse dans les équations de la Physique quantique depuis le premier quart du XXe siècle.

Il s’agit de la théorie du multivers.

Cette théorie, magistralement mise en forme par Andrei Linde de l’Université de Stanford, indique que notre univers n’est qu’une parcelle d’un ensemble infiniment plus vaste et susceptible de regrouper des trillions et des trillions d’univers différents.

Bien que ces spéculations soient nombreuses et disparates, deux priment actuellement.

La première prévoit que l’ensemble des univers soit composé d’innombrables bulles se formant sans cesse et formant une « mousse d’univers » éternelle et pérenne. Dans cette optique, notre univers ne serait en fait qu’une minuscule parcelle d’une étendue cosmique colossale : le multivers

La seconde imagine que l’arborescence d’univers multiples se fasse principalement en mode vertical, les univers étant ainsi enchâssés les uns dans les autres. Cette théorie s’appuie essentiellement sur les particularités des différents types de trous noirs (stellaire, comme dans notre roman, ou galactique) et leur propension affolante à réduire une masse énorme dans un lieu de volume nul et de densité infinie.

Hâtivement brossées, ces quelques informations scientifiques démontrent que la cosmologie contemporaine est aussi extravagante, enfiévrée et baroque, que l’heroïc fantasy la plus débridée…

Afin d’apporter quelques lumières supplémentaires, le court glossaire qui suit résume certains termes techniques liés à la Théorie des cordes et à la cosmologie contemporaine.

Si vous souhaitez glaner des informations beaucoup plus complètes, nous vous recommandons trois ouvrages essentiels :

–                           Le destin de l’univers : trous noirs et énergie sombre (Fayard) – Jean-Pierre Luminet,

–                           L’univers élégant (Robert Laffont) – Brian Greene,

–                           Le paysage cosmique : notre univers en cacherait-il des millions d’autres ? (Robert Laffont) – Leonard Susskind.

Glossaire

 

Antimatière : matière dont les propriétés gravitationnelles sont similaires à celles de la matière ordinaire, mais dont la charge électrique est opposée.

Big bang : théorie selon laquelle l’univers en expansion aurait émergé, il y a 14 milliards d’années, d’un état d’énergie, de densité et de compression colossales.

Brane (ou membrane) : objets étendus caractéristiques de la théorie des cordes. Une une-brane est une corde, une deux-brane est une membrane, une trois-brane s’étend sur trois dimensions spatiales etc… Plus globalement, une p-brane s’étend sur p dimensions spatiales.

Corde : objet essentiel et unidimensionnel ; c’est l’objet principal de la théorie des cordes.

Dimension : axe ou direction indépendante dans l’espace ou dans l’espace-temps. L’espace qui nous est familier possède trois dimensions (gauche-droite, avant-arrière, haut-bas) et l’espace-temps en possède quatre (les trois axes précédents plus la « flèche du temps »). Dans la théorie des cordes, l’univers possède sept dimensions spatiales supplémentaires, mais invisibles à notre échelle.

Dualité onde/corpuscule : fondement de la Physique quantique selon lequel les objets possèdent, soit un comportement ondulatoire, soit un comportement corpusculaire.

Entropie : mesure du désordre d’un système physique. C’est en fait le nombre de réarrangements des ingrédients d’un système laissant son apparence globale intacte. En cosmologie, on évoque souvent l’entropie d’un trou noir.

Équation d’onde de Schrödinger : équation fondamentale en Physique quantique. Elle décrit l’évolution dans le temps d’une particule massive non relativiste.

Espace-temps : union de l’espace et du temps issue de la relativité restreinte d’Einstein. C’est le « matériau » à partir duquel notre univers est façonné.

Fluctuations quantiques : comportement turbulent d’un système aux échelles microscopiques dû aux relations d’incertitudes caractéristiques de la Physique quantique. Paradoxalement, notre univers est beaucoup plus lisse et placide à l’échelle cosmique qu’à l’échelle nanoscopique…

Gravitation quantique : théorie qui réunirait efficacement la Physique quantique et la Relativité générale, c’est-à-dire les deux piliers de la Physique concernant les domaines de l’infiniment petit et de l’infiniment grand. La Théorie des cordes symbolise l’une des deux meilleures candidates à cette unification totale. La seconde est la Gravitation quantique à boucles.

Inflation ou cosmologie inflationnaire : évènement se situant lors de la première seconde après le big bang et qui décrit un très bref sursaut d’expansion démesurée (un facteur de l’ordre de 1050 !).

Multivers : hypothèse selon laquelle notre univers ne serait qu’un brimborion parmi des trillions d’autres univers, chacun étant régi par des lois physiques susceptibles d’être fondamentalement différentes.

Physique quantique : ensemble des lois physiques qui régissent notre univers et dont certaines caractéristiques singulières : principe d’incertitude, fluctuations quantiques ou dualité onde-corpuscule, ne deviennent manifestes qu’aux échelles nanoscopiques (atomes et particules subatomiques : quarks par exemple).

Principe d’incertitude d’Heisenberg : il stipule que l’on ne peut pas connaître simultanément la position et la vitesse d’une particule atomique. Pire encore, plus on connaît l’un de ces éléments avec précision, moins on connaît l’autre…

Spin : mouvement de rotation sur soi spécifique à la physique quantique. Les particules atomiques possèdent un spin qui est soit un nombre entier, soit un nombre demi-entier.

Théorie des cordes : théorie qui postule que les ingrédients fondamentaux (et les plus petits) de la nature sont des petits filaments unidimensionnels appelés cordes. Cette théorie présente l’avantage d’unifier élégamment la Physique quantique et la Relativité générale mise en lumière par Einstein.

Théorie des supercordes : théorie des cordes qui inclut la supersymétrie. Celle-ci décrit un principe de symétrie qui relie les propriétés des particules ayant un spin entier (les bosons) à celles des particules ayant un spin demi-entier (les fermions).

Trou de ver : région de l’univers semblable à un tube et qui est susceptible de relier ensemble des zones stellaires qui peuvent être considérablement éloignées. L’utilisation de trous de ver galactiques ou extragalactiques symboliserait le moyen le plus radical de s’affranchir de la barrière infranchissable de la vitesse de la lumière : 300 000 kilomètres par seconde.

Trou noir : objet céleste dont le champ gravitationnel est si élevé qu’il capture tout ce qui s’en approche. La gravitation y est si intense que même la lumière demeure captive de ce cannibale cosmique qui s’appelait primitivement « astre occlus ».

Préface de Jean-Pierre Luminet pour « Cathédrales de brume »

« Existe-t-il des déchirures dans l’espace qui donnent sur l’autre coté ? », écrivait Fernando Pessoa. Étrange prémonition du poète portugais, disparu en 1935…

Trente ans plus tard, le physicien américain John Wheeler interpréta certaines structures géométriques associées aux trous noirs, calculées dans le cadre de la théorie de la relativité générale d’Einstein, en termes de raccourcis qui connecteraient deux régions éloignées de l’espace.

Il baptisa « trous de ver » ces tunnels ou déchirures, ouvrant ainsi la porte aux spéculations les plus extravagantes sur les voyages spatio-temporels : serait-il possible de plonger dans un trou noir, d’emprunter le trou de ver correspondant et de ressortir par un « trou blanc », pour déboucher en un temps record dans une région très lointaine de l’univers, voire dans un « univers parallèle » ?

Malheureusement, les trous de ver et les trous blancs, contrairement aux trous noirs, sont restés à ce jour des concepts purement théoriques ; leur existence ou leur formation physique dans l’univers réel ne sont toujours pas assurées. Et même s’ils existaient, des calculs récents suggèrent que n’importe quel morceau de matière qui pénètre dans un trou de ver, fût-ce une simple particule ou un rayonnement, acquiert une énergie tellement amplifiée par le champ gravitationnel que sa propre gravité altère l’espace-temps et bouche le tunnel, empêchant l’intrus de passer de « l’autre côté ».

Je me souviens qu’en 1976, l’année même où j’ai commencé à faire de la recherche en relativité générale, la très sérieuse et très britannique Bacon Foundation offrait un prix de 300 £ à quiconque résoudrait le problème formulé de la façon suivante : « Selon la théorie en vigueur, les trous noirs sont de véritables portes ouvertes sur d’autres régions de l’espace-temps. Comment donc un vaisseau spatial pourrait-il passer d’un trou noir à une autre région de l’espace-temps sans être détruit par le champ gravitationnel d’une singularité ? »

Le jeu valait certainement plus que la modeste somme mise en jeu.

Des physiciens se sont ingéniés à imaginer dans quelles conditions un trou de ver macroscopique (associé par exemple à un trou noir géant, de façon à ce que les forces de marée ne soient pas trop grandes) pourrait rester ouvert malgré l’intrusion de matière et d’énergie (sous forme par exemple de vaisseau spatial). Ils ont découvert qu’il était théoriquement possible de maintenir un trou de ver macroscopique ouvert, à condition d’utiliser de la « matière exotique », une substance quelque peu aberrante possédant une pression négative et, de ce fait, ayant des propriétés antigravitantes.

L’antigravitation, ou gravité répulsive, permettrait alors de repousser les parois d’un trou de ver et de le stabiliser…

Nous aurions ainsi des trous de ver « intra-univers », connectant un lieu à l’autre du même univers, et des trous de ver « inter-univers » qui connecteraient des univers différents.

Cette idée d’univers multiples n’est pas aussi fantaisiste qu’il y paraît.

Comme le suggèrent certaines théories récentes de gravitation quantique, notre espace-temps quadridimensionnel pourrait n’être qu’une tranche, appelée « brane », d’un espace-temps fondamental comportant un nombre notablement plus grand de dimensions spatiales. Dans ces conditions, d’autres tranches de l’espace fondamental, c’est-à-dire d’autres branes, représenteraient d’autres « univers » qui pourraient parfaitement être reliés entre eux par des trous de ver interbranes.

On peut aussi imaginer un « bébé-univers » formé par un trou noir et connecté à son univers « parent » par un trou de ver ombilical.

Quoi qu’il en soit, les trous de ver, en distordant fortement l’espace-temps, permettraient en principe, s’ils étaient traversables, de voyager d’un point à l’autre plus vite que ce que mettrait la lumière pour franchir cette distance dans l’espace « normal ». Ce serait le voyage interstellaire assuré sur des échelles de temps humaines !

Rien d’étonnant, donc, si les trous de ver sont rapidement devenus un thème classique de la science-fiction, tant dans la littérature qu’au cinéma.

Le célèbre film 2001, Odyssée de l’espace, réalisé en 1968 par Stanley Kubrick, est devenu un classique et reste dans la mémoire de tous ses spectateurs. Le scénario repose sur une nouvelle écrite en 1954 par le perspicace écrivain Arthur C. Clarke. Ce dernier, unanimement reconnu comme l’un des auteurs de science-fiction les plus imaginatifs, suivait de très près les développements de la recherche scientifique de son temps, et il fut l’un des premiers à concevoir le voyage dans l’« hyperespace » en utilisant les distorsions engendrées par les trous noirs et les trous de ver (qui, à l’époque, n’avaient pas encore été nommés ainsi).

Lui les baptisa « portes des étoiles ».

Plus tard, les trous de ver ont constitué la clé du roman de Carl Sagan, Contact (1985, adapté au cinéma en 1997) ; ils ont ensuite joué un rôle central dans Donnie Darko (2001) et les célèbres séries Star Trek et Stargate.

Aujourd’hui, il est devenu presque la règle, dans les œuvres de fiction, d’appeler à la rescousse la physique spéculative des trous de ver afin de résoudre tout problème de voyage spatio-temporel.

L’étonnant roman que vous tenez entre les mains ne déroge pas à ce séduisant précepte. Il y ajoute une étonnante rigueur scientifique, qui m’a de prime abord étonné, mais que, par la suite, j’ai attribuée à la formation et à la culture scientifique poussées des deux auteurs.

Une rigueur scientifique que l’on trouve en maints passages.

On découvre par exemple une description exacte et quelque peu didactique de l’évolution stellaire, ainsi que des différents résidus que celle-ci engendre : naines blanches, étoiles à neutrons, trous noirs. Les étranges propriétés de ces derniers objets sont largement exploitées et commentées avec beaucoup de pertinence : horizon des événements au-delà duquel plus aucune information ne peut ressortir, monstrueuses forces de marée capables de briser des étoiles entières, disques d’accrétion ultra-chauds, vortex de gaz et de rayonnements aux images distordues par la courbure de l’espace-temps.

J’ai même eu la surprise de découvrir une référence explicite à l’image scientifique d’un disque d’accrétion autour d’un trou noir que j’ai calculée en 1979, révélant les distorsions optiques qui permettent de voir simultanément le dessus et le dessous.

Mais pour moi, les morceaux de bravoure du roman restent les péripéties qui entourent l’exploration des trous de ver, joliment nommés ici « portes d’abîme ». Parallèlement à l’excitation du voyage vers l’inconnu pointe  l’angoisse du même inconnu : c’est que « tout peut transiter par ces tunnels ; le meilleur comme le pire. De l’anti-matière, des constituants venant d’un autre univers. »

Je me suis pris à rêver au XXIIe siècle.

En effet, Oksana et Gil Prou brossent avec brio l’historique imaginaire de la découverte des trous de ver, à la fin du XXe siècle, et de leur maîtrise effective deux siècles plus tard : après bien des essais infructueux et de lourdes pertes en hommes et en matériel, ces portes d’abîme seront désormais à la portée de quelques civilisations avancées.

Mais toujours avec cette part d’incertitude, source de toutes les angoisses.

Le chapitre 34, l’un des derniers du roman, s’achève sur ces mots : « Et l’horizon les engloutit ».

Après la traversée du trou de ver, nos héros vont-ils pouvoir se reconstituer dans un autre univers, plutôt que d’être à tout jamais broyés par le funeste tunnel ? Il n’y a en effet qu’une chance sur mille milliards pour qu’ils sortent indemnes de la poigne de fer gravitationnelle associée à la porte d’abîme

Je ne dévoilerai évidemment pas le suspense, d’autant que leurs aventures semblent appelées à se poursuivre dans une saga romanesque, qui nous promet d’autres chemins tortueux.

Nous les suivrons sans hésiter !

Jean-Pierre Luminet, octobre 2008

Directeur de recherches au C.N.R.S. 
Laboratoire Univers et Théories (LUTH) 
Observatoire de Paris-Meudon, 92195 Meudon cedex, France

Les prémices de la vie sous les glaces d’Europe

Depuis Galilée, nous connaissons les quatre plus gros satellites de Jupiter : Ganymède, Europe, Io et Callisto. On les appelle souvent lunes galiléennes en hommage à leur illustre découvreur.

Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour que d’autres satellites apparaissent dans les lunettes et les télescopes des astronomes qui s’escrimaient à répertorier les mystères de l’Univers.

Désormais on en connaît… 63 !

Avant l’envoi de sondes spatiales orbitant autour de la planète gazeuse géante qui trône au centre de cet invraisemblable carrousel d’objets célestes, on connaissait les caractéristiques physiques des quatre plus gros satellites de Jupiter.

Et c’était tout.

Avec la mission Galileo on a enfin découvert une partie des mystères de cet étrange système solaire en miniature.

Les deux satellites les plus étonnant sont Io et Europe.

Habituellement nommée la « planète pizza » en raison de sa couleur générale rappelant étrangement une pizza bigarrée par la tomate et le fromage fondu, Io est affectée par un volcanisme démentiel. Elle recrache ses entrailles par la bouche de centaines de volcans géants qui lacèrent sa surface.

Cette agitation volcanique démentielle est due à la très grande proximité de Io avec la planète géante. Les forces gravitationnelles étant titanesques en raison de la masse de Jupiter, l’intérieur de Io est affecté par des « effets de marée » qui triture le magma central et provoque ce volcanisme hystérique.

La situation est beaucoup plus calme pour Europe, qui est par ailleurs la plus petite des quatre lunes galiléennes. Son intérêt est ailleurs…

Lorsque Galileo put s’approcher relativement près de ce satellite à l’apparence banale, on découvrit avec surprise que la surface d’Europe est intégralement recouverte de… glace !

Sous cette glace, un océan gigantesque : 100 kilomètres de profondeur en moyenne…

L’épaisseur de cette ahurissante « banquise » extraterrestre est quant à elle d’une dizaine de kilomètres. Nous découvrons donc avec stupeur un lointain satellite jovien qui symbolise en quelque sorte une planète aquatique pétrifiée dans la glace.

Et qui dit « eau » dit « vie ».

On peut s’étonner de l’existence d’un océan de ce type alors que la température de surface frôle les -200°C !! Mais l’existence simultanée d’un volcanisme silicaté et d’un gradient géothermique important autorise ce paradoxe à l’échelle de notre expérience terrestre : de l’eau à l’état liquide dans un environnement outrepassant tout ce que l’on connaît sur notre planète. Pour mémoire, les températures les plus basses observées sur Terre sont de -90°C en Antarctique. Brrr…

Naturellement, notre imagination bourdonne, s’enthousiasme et fantasme. Un océan recouvert de glace à la surface d’Europe nous conduit immédiatement à nous interroger sur la possible existence d’une forme de vie embryonnaire sur Europe.

C’est possible. Très possible même…

Dans un précédent article intitulé : « Celles qui nous survivront… » nous avions présenté des êtres extraordinaires : les bactéries extrêmophiles. Vivant dans des milieux apparemment parfaitement incompatibles avec la vie, ces bactéries prolifèrent dans de l’eau bouillante, dans des milieux très salés, très acides. Bref, ils s’accommodent parfaitement de l’Enfer !

On en trouve aussi dans des milieux sans aucune lumière, sans oxygène ou dans des lieux où règnent une température très largement inférieure à 0°C.

Celle-ci sont généralement des bactéries procaryotes qui sont définit comme étant « psychrophiles »… encore un nom idéal pour un groupe de Death Metal !

Ces extrêmophiles psychrophiles pourraient donc vivre sans aucun problème dans la glace qui encapuchonne Europe ou au sein de son gigantesque océan.

Comment le savoir ?

Il faudra y aller un jour, ce qui impliquera l’organisation d’une expédition jovienne ayant pour vocation d’envoyer un module qui fracturera la banquise d’Europe afin d’en analyser les composants.

Et les éventuelles traces d’une vie extraterrestre…

Pour l’instant nous ne pouvons pas aller plus loin, mais nous éprouvons un réel plaisir à imaginer une faune étrange s’agitant frénétiquement dans les abîmes de l’océan d’Europe. Une faune dont les formes baroques et incongrues nous remémorerons peut-être nos pires cauchemars.

Ou nos rêves les plus luxuriants…

Se ciselant éternellement dans le froid, cette faune adopte peut-être des formes cristallines. Elle peut aussi s’orner d’une gothicité outrée que ne renieraient pas les peintres les plus hallucinés.

Qu’importe…

Si elle existe, cette faune démontrera l’incroyable diversité du cosmos et l’ingéniosité de la Nature lorsqu’elle doit se confronter à des situations extrêmes.

Elle nous prouvera en tout cas que l’immarcescible beauté dont l’Univers se pare, même dans ses instants les plus cataclysmiques, demeurera inviolée à jamais.

Et c’est très bien ainsi…

Oksana & Gil

Interview pour Fantastinet (6 Octobre 2009)

Allan : Bonjour Oksana et Gil. Je vous laisserai d’abord, si vous l’acceptez, passer par la terrible épreuve de l’auto-présentation, pour nous indiquer votre parcours si cela ne vous gêne pas.

Gil : Après des études supérieures en Egyptologie à la Sorbonne et une participation à l’aventure de la revue Actuel au début des années 70, j’ai occupé plusieurs postes à la FNAC. J’ai dirigé le Département Disques de la FNAC Montparnasse, puis la filiale chargée de l’importation de tous les produits culturels. Fin 2000, j’ai entamé trois tours du monde -une quarantaine de pays visités- en privilégiant l’Asie du sud-est et la zone Pacifique (principalement Mélanésie et Micronésie).

J’écris des romans avec Oksana depuis 2007.

Je me passionne pour les sciences de la Nature, la philosophie, la poésie. J’aime aussi les musiques sombres (Dark ambient, Doom, Dark metal) et le contact avec les civilisations oubliées (Antiquité) ou que l’Homme moderne souhaite oublier et qualifie parfois de « peuples premiers ».

Oksana : Epicurienne, j’aime les plaisirs de la vie. Je suis connue pour avoir tourné dans des films à caractère pornographique. J’ai participé également à des clips musicaux (Tony Sad, Stumy Bugsy), rédigé des chroniques pour la version française de Penthouse, présenté la dernière des Nuz avec Laurent Weil.

J’ai eu aussi un petit rôle dans le film Truands de Frédéric Shoendoerffer aux côtés de Philippe Caubère et Benoît Magimel.

J’aime ce qui est insolite. L’exhibition et les jeux entre partenaires par exemple sont des choses qui pimentent ma vie. Pour moi la provoc… c’est naturel ! Sans cela, la vie paraît si terne et tout le monde se préoccupe stérilement de son voisin pour choisir son chemin.

Après des études scientifiques, j’ai mis en pratique mes cours de philosophie et j’ai cherché le sens absolu de l’expression « libre-arbitre »…

Allan : Pouvez-vous nous raconter comment s’est déroulé votre rencontre ?

Oksana & Gil : Nous nous connaissons depuis plusieurs années. Constatant que nous avions de nombreux points communs et une vision totalement désinhibée de la vie, nous avons rapidement forgé le projet d’écrire ensemble. En fait, nous n’avons pu concrétiser cette ambition qu’à partir de 2007. Depuis cette date nous avons donc coécrit deux romans parallèlement à nos autres activités.

Et nous ne comptons pas en rester là si le public accueille favorablement nos deux premières fictions.

Allan : Oksana, cela n’est pas trop dur de faire passer le message que ton parcours ne se limite pas au cinéma adulte ? Quel accueil reçois-tu en général quand tu parles de tes projets d’écriture ?

Oksana : J’adore quand c’est dur ! Non, ce n’est pas un problème. J’assume pleinement mes choix. Chacun voit en moi ce qu’il a envie de voir. J’aime diversifier mes activités, quelles soient érotiques ou non. Ce n’est vraiment pas un obstacle pour moi. Nue ou vêtue, je me sens la même personne…

Nous avons reçu beaucoup de messages d’encouragements et d’admirations pour ce projet totalement atypique. Jusqu’à présent, mes interlocuteurs ont été séduits autant par le concept que par le contenu en lui-même.

La diffusion d’un premier chapitre sur le site de l’éditeur à été une étape test qui s’est révélée très positive.

Allan : Vous êtes tous deux férus de cosmologie : pour les novices, pouvez-vous indiquer ce dont il s’agit ?

Oksana & Gil : La cosmologie est la branche de l’astrophysique qui étudie l’ensemble de l’univers, ses origines et son évolution. La cosmologie est en relation directe avec la gravitation quantique qui élabore les théories d’unification des quatre grandes forces universelles. Elle s’inscrit aussi dans une logique d’ensemble qui intègre les plus récentes découvertes de la Physique fondamentale, la Théorie des cordes en constituant le plus illustre exemple. Les théories cosmologiques les plus avancées examinent les scénarii décrivant ce qui a pu se passer avant le big bang, tout en s’efforçant d’élucider la nature réelle de l’énergie sombre et de la matière noire qui représentent 96% de la masse totale de notre univers.

Cette matière scientifique innovante, déroutante et parfois totalement fantasmagorique (imaginer ce qui a pu se passer avant le big bang aurait été presque blasphématoire il y a une trentaine d’années), est pure délectation pour nous…

Allan : Comment travaillez-vous ensemble ?

Oksana & Gil : Nous partons d’une idée simple, puis nous examinons différentes péripéties qui structurent peu à peu l’intrigue. De discussion en discussion nous élaborons le profil des principaux personnages, leur caractère, leur histoire. Puis, chacun travaille de son côté. Lorsque la synthèse nous convient, nous rédigeons un premier jet.

C’est à cet instant que le gros travail commence, car il faut revoir sans cesse ce qui a déjà été écrit, étoffer l’ensemble, éliminer les parties inutiles, chasser les répétitions. Cela prend beaucoup de temps…

Quelques mois plus tard, le récit définitif prend progressivement forme et tous les efforts préalables disparaissent. Seul reste alors le plaisir.

Allan : Comment vous partagez-vous le travail ?

Oksana : Je m’occupe principalement de l’humain, des émotions, de la sensualité. Je veille aussi à la crédibilité de nos personnages en laissant toujours transparaître les faiblesses, les fêlures intimes. Je travaille et peaufine les caractères en tenant compte des interactions entre les personnages.

La démarche est différente -mais tout aussi exaltante- dans le cas de créatures extraterrestres. Là je laisse parler totalement mon imagination…

Gil : Je prends en charge le contexte matériel et la mise en œuvre de nos idées communes. En liaison avec Oksana, j’élabore aussi les enchaînements entre les différentes péripéties tout en validant nos choix techniques et scientifiques. J’assume aussi le choix d’un vocabulaire, parfois issu du domaine poétique, qui s’efforce de traduire au mieux les métaphores que nous affectionnons tout particulièrement.

Allan : Votre actualité immédiate va être marqué par la parution dans la collection Rivière Blanche de Black Coat Press de « Cathédrales de Brume« . Comment le définiriez-vous ?

Gil : Cathédrales de brume est simultanément une odyssée cosmique et une ahurissante errance intime. Condamné à survivre plusieurs millions d’années sans pouvoir bouger ou mettre fin à ses jours, un naufragé de l’espace recrée des univers personnels muables et luxuriants : ses « cathédrales de brume ».

Parfois la réalité heurte l’onirisme en créant une étrange eurythmie. Avant la chute…

Oksana : Une « sentinelle » électronique et sensuelle établira une vraie complicité avec le naufragé de l’espace et du temps. Elle le stimulera et l’aidera à optimiser son imagination afin de créer des mondes oniriques et flamboyants.

Ainsi, la réalité et le rêve se mêlent inextricablement jusqu’à l’instant magique où tout devient possible…

Dans notre roman, nous avons voulu mettre en valeur la notion de grandeur infinie, combinant étroitement ainsi l’émerveillement de l’esprit et la beauté du cosmos.

Allan : Que vouliez-vous essentiellement montrer à travers ce roman : la peur de l’homme face à l’éternité ou la fragilité de l’homme dans l’univers ?

Oksana & Gil : Le point de départ de notre démarche fut le suivant : la pensée humaine se heurte toujours à trois barrières infranchissables :

–      la brièveté de la vie,

–      la faiblesse du corps par rapport aux potentialités de l’esprit,

–      le carcan des verrous intellectuels et des barrières psychiques que nous consolidons sans cesse autour de nous.

Dans Cathédrales de brume, nous façonnons la destinée d’un humain débarrassé des deux premières contraintes. Nous avons examiné ce qu’il pourrait faire de cette liberté nouvelle, désormais affranchie des contraintes du temps. Le résultat est déroutant car l’âme humaine est toujours infiniment plus complexe que le fallacieux jeu des apparences.

Optimisant les possibilités offertes par l’ahurissant postulat de départ que nous avons choisi, nous avons développé cette idée jusqu’à son paroxysme en forçant notre héros à revivre tous les moments cardinaux vécus par les cent milliards d’êtres humains nés avant lui.

Ce supplice sans nom (car les moments de plaisir sont infimes en regard des souffrances subies) symbolise la réflexion de René Char : « le visible n’est que l’épiphanie de l’invisible ». En revivant fugacement les destinées de tous les hommes, notre héros explore les labyrinthes d’une créature incroyablement fascinante, riche et inquiétante… lui-même !

Allan : L’intelligence artificielle qui accompagne Amaranth, notre survivant va d’une certaine façon « s’éprendre » de ce dernier : c’est le franchissement ultime de l’homme par rapport à la machine ?

Oksana : L’Amour se joue des apparences. Humain ou intelligence artificielle… quelle importance ! Dans notre roman, nous poussons jusqu’au bout cette quête d’altérité qui va bien au-delà de l’humain. Seule notre capacité de transgression permet d’avancer et de s’exhausser au-delà de la lie du quotidien. Cathédrales de brume symbolise donc l’absolue nécessité de transgresser afin d’endiguer l’horreur d’un châtiment sans fin.

Pour prendre un exemple que je connais bien, l’univers du X, du sexe et de la séduction, symbolisent souvent des choses qui nous dépassent. Nous formons notre éducation sur des acquis que nous ne remettons jamais en cause. Nous façonnons ainsi des « verrous intellectuels » qui sclérosent nos possibilités et nous empêchent de penser par nous même.

Or -à l’échelle humaine, comme à l’échelle de l’univers- la réalité est bien différente. Beaucoup plus riche que le simple miroir des apparences, elle est complexe, pétrie d’émotions ; envoûtante.

Allan : Amaranth va d’ailleurs être coincé entre une réalité difficile à appréhender (l’éternité) et un monde onirique qu’il va pouvoir modeler au travers de ses cathédrales de Brume : cela pourrait donner une impression de « lâcheté », non ?

Gil : Exact. Mais dans sa situation (prisonnier emmuré vivant pendant plusieurs millions d’années) qui pourrait lui en tenir grief ? Par ailleurs, la connivence liant réel et virtuel émerveille sa vie et lui donne enfin un sens congru.

Allan : La préface est écrite par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, connu pour ses publications sur les trous noirs : ce doit être pour vous une grande source de satisfaction de voir ce spécialiste préfacer votre roman ?

Oksana & Gil : Absolument. Mais cette démarche est assez logique si l’on prend en compte la diversité des écrits de Jean-Pierre Luminet. Il s’intéresse à la poésie, à l’art, à la science-fiction, à la musique. Jean-Pierre illustre cette capacité d’acquérir une vision holistique du monde que nous mettons en exergue dans notre second roman.

Nos chemins devaient se rencontrer…

Allan : Vous évoquer régulièrement dans votre récit la Théorie des cordes et celle du multivers. Pourquoi ?

Oksana & Gil : Ces deux théories fondamentales sont particulièrement fécondes pour des écrivains de SF. Par ailleurs -et en complément de la préface de Jean-Pierre Luminet- nous avons rédigé une courte postface qui donne quelques informations utiles sur ces sujets.

Allan : En parallèle du roman sortira un disque s’appuyant sur l’univers de Cathédrales de Brume : le disque sera vendu avec ?

Oksana & Gil : Non, et ceci pour des raisons techniques. Mais notre partenariat avec le groupe « Dawn & Dusk Entwined » nous permettra de promouvoir simultanément le disque et le roman. Nous sommes très satisfaits de cette synergie nous permettant de créer un lien entre le monde de la musique et celui des littératures de l’imaginaire. Comme nous avons écrit aussi un screenplay complet d’après l’intrigue de « Cathédrales de brume », la musique de « Dawn & Dusk Entwined » concrétise ce que pourrait être la musique d’un film reprenant le même thème.

Allan : Vous avez écrit un scénario s’inspirant de Cathédrales de brume… Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Oksana : L’intrigue du roman ayant été conçu d’une manière très « visuelle », l’écriture d’un scénario s’inspirant étroitement de cette ahurissante odyssée devint rapidement une évidence pour nous. Nous avons donc écrit un screenplay complet avec les dialogues.

Le roman étant assez long (200 000 mots) et l’intrigue s’étirant sur trois millions d’années, le screenplay est structuré en deux scénarios se complétant. Si un producteur s’intéresse vraiment à ce projet très atypique, il concrétisera probablement cette adaptation cinématographique en deux films.

Gil : Les quelques professionnels du cinéma qui ont déjà lu ce scénario évoquent un « Mahâbhârata du futur » ou une « Odyssée intérieure ». La comparaison est probablement excessive, mais nous l’apprécions à sa juste valeur…

Allan : Votre deuxième roman, « Katharsis », est prévu pour Mars 2010 aux éditions Interkeltia. Pourquoi dans si longtemps ?

Oksana & Gil : Afin de ne pas égarer nos futurs lecteurs car les deux récits sont fondamentalement différents.

Allan : La thématique est plus immédiate, puisqu’abordant des notions écologiques d’une part et économiques d’autre part : la multiplication des romans sur l’urgence écologique est-elle à votre sens une prise de conscience de la situation actuelle ?

Oksana & Gil : Probablement. Et si de nombreux auteurs évoquent les drames latents qui obscurciront l’avenir de nos descendants, cela provoquera peut être un électrochoc.

Chaque goutte d’eau est utile à l’océan…

Allan : Il s’agira à la lecture de la quatrième de couverture d’un roman tant politique que de SF : doit-on comprendre que pour vous la SF est engagée ?

Gil : Certains auteurs de SF sont engagés. Pour nous, la politique, le dogmatisme et l’idéologie ne présentent aucun intérêt.

Le contexte actuel est gravissime et la 6eme extinction de masse est peut être déjà en marche. Il est évident que la politique n’apportera aucune solution pérenne car les hommes politiques sont tous obnubilés par une chose : leur élection ou leur réélection. Or les mesures à prendre afin d’être réellement efficaces seraient tellement impopulaires qu’aucun d’entre eux n’acceptera de prendre un tel risque.

Le problème de notre planète et de la Nature est dans l’Homme ; et la solution est dans l’Homme.

Chercher ailleurs serait inutile ; voire dangereux.

Oksana : C’est pour cette raison que nous avons demandé au philosophe et écologiste Yves Paccalet de rédiger la préface de notre second roman. Après l’avoir lu, il n’a pas hésité car notre récit éclaire d’une façon complémentaire et crue son célèbre essai : « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! ».

Là encore, notre rencontre avec Yves nous permit de concrétiser une ambition qui se symbolise avec la notion d’ouverture aux autres, de quête d’altérité et l’émergence d’une véritable vision holistique du monde.

Et ce n’est certainement pas du côté des militants politiques que l’on peut trouver cette « ouverture » aux autres…

Allan : Vous êtes présents sur Facebook mais surtout sur votre blog mis à jour régulièrement avec des articles notamment sur la cosmologie : tout cela doit vous prendre un temps fou non ?

Oksana & Gil : Nous travaillons 365 jours par an…

Allan : Maintenant, je suppose que vous avez d’autre projet en cours… Pouvez-vous nous en parler ?

Oksana & Gil : Si nos lecteurs apprécient nos deux premiers romans, nous n’en resterons pas là. Mais ce n’est pas à nous de préjuger.

Allan : Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Oksana & Gil : De rester nous même tout en apportant du plaisir et du divertissement à nos futurs lecteurs. Ce sera déjà beaucoup…

Allan : Le mot de la fin sera :

Oksana & Gil : Dans nos romans, nous nous employons à « hausser le réel d’un ton » pour reprendre la synthèse de Bachelard (L’air et les songes) tout en gardant notre capacité d’émerveillement devant la beauté du monde.

Si quelques uns de nos lecteurs partagent cette ambition après avoir lu nos romans, nos efforts n’auront pas été vains. Et nous serons contents.

Interview réalisée par mail par Allan pour Fantastinet.

Mise en ligne : 06 octobre 2009