Labyrinthes, ouroboros et fractales

Lorsque le "labyrinthe-cerveau" se substitue au "labyrinthe-utérus"

« Ce que nous appelons visible est la surface d’une profondeur, la section d’un être massif, un grain ou un corpuscule engendré par une onde de l’être ».

Merleau-Ponty – Le visible et l’invisible.

L’un des premiers chapitres de notre roman « Cathédrales de brume » se déroule sur Mars, dans les sinuosités abyssales de Noctis Labyrinthus plus exactement.

Le Labyrinthe de la nuit…

Nous ne sommes ni les premiers, ni les derniers, a être fascinés par les labyrinthes et leurs étranges structures convolutées où l’esprit se perd au sein d’innombrables embryons de pistes qui se résolvent toutes dans l’inquiétante matrice d’un symbole archaïque.

Dans le titre de cet article nous incluons aussi l’ouroboros (symbolisé par un serpent qui se mord la queue) et les fractales générées par nos ordinateurs.

Une première fractale...

Naturellement, le labyrinthe demeure la figure la plus prégnante et celle qui inspira les poètes, les peintres et les architectes.

Reprenons l’histoire du labyrinthe le plus célèbre en Occident : le labyrinthe crétois du roi Minos.

Le mythe commence lorsque le roi crétois Minos demanda à Poséidon de prouver sa puissance en faisant sortir un taureau des flots. Puis, Minos devrait sacrifier la bête.

Mais lorsque Poséidon accomplit ce prodige, Minos ne respecta pas l’accord et prit le taureau pour développer son troupeau.

Pour se venger, Poséidon généra en Pasiphaé, la conjointe de Minos, un inextinguible et déroutant amour pour le puissant taureau que le dieu des océans avait fait sortir de l’eau.

Souhaitant concrétiser cette passion dévorante, Pasiphaé alla voir Dédale pour qu’il construise une vache en bois recouverte de cuir dans laquelle elle puisse se glisser pour s’accoupler avec le taureau. Pasiphaé donna donc naissance au Minotaure, monstre pourvu d’une tête de taureau sur un corps d’homme et qui se nourrissait de chair humaine.

Jugé dangereux et infamant pour la réputation de la reine Pasiphaé, le Minotaure fut enfermé dans un labyrinthe construit par Dédale à la demande de Minos pour y cacher le monstre. Puis, pour le nourrir, Minos envoya sa flotte saccager Athènes et exigea après sa victoire sur les Athéniens que ceux-ci lui envoient tous les neuf ans quatorze jeunes de la cité c’est-à-dire sept garçons et sept jeunes filles encore vierges.

Thésée, fils d’Egée, qui était en train de voyager dans le royaume, arriva à Athènes, et voulut alors délivrer la ville du tribut annuel que la ville devait à Minos.

Thésée alla alors au palais minoen de Cnossos en Crète pour y tuer le Minotaure.

Ariane, la fille de Minos et de Pasiphaé, éprouva presque immédiatement de tendres sentiments pour le jeune homme. Elle décida donc de l’aider à tuer le fruit des amours de sa mère et du taureau.

Elle donna une épée à Thésée, ainsi qu’une pelote de laine qui lui servit à retrouver la sortie du Labyrinthe après avoir tué le Minotaure. Il lui suffit pour cela de suivre le fil qu’il avait déroulé derrière lui à l’aller.

Pour se venger de l’affront, Minos enferma Dédale et son fils Icare dans le Labyrinthe. Dédale fabriqua des ailes avec des plumes et de la cire pour s’échapper du Labyrinthe.

Pendant son vol, Icare s’approcha trop près du soleil et la cire de ses ailes fondit. Il fut précipité dans la mer qui porte désormais son nom, la mer Icarienne. 

Après avoir accompli sa promesse envers Athènes, Thésée s’enfuit pour rejoindre son père, accompagné d’Ariane. Puis il abandonna la malheureuse sur l’île de Naxos.

Etrangement distrait, Thésée oublia de hisser le drapeau blanc qui devait symboliser sa victoire et qui était un signe convenu avec son père.

Convaincu de la défaite et la mort de son fils, Egée se suicida dans la mer qui porte désormais son nom, la Mer Egée.

Après la mort de son père, Thésée prit le trône du royaume d’Athènes puis épousa Phèdre, la sœur d’Ariane…

Une deuxième fractale

Le labyrinthe est donc essentiellement connu à travers ce mythe, mais ces tracés complexes se retrouvent à l’état naturel dans les tunnels de certaines grottes préhistoriques.

Ce tracé complexe était parfaitement connu en Egypte et on retrouve de nombreux labyrinthes dans nos cathédrales.

On peut déjà préciser que le labyrinthe permet l’accès à une voie spirituelle ou symbolique grâce à un voyage initiatique. Sa complexité en interdit l’accès à ceux qui n’en ont pas les « qualités » requises. 

On a souvent rapproché les labyrinthes des mandalas qui comportent, parfois, l’aspect d’un labyrinthe. Il s’agit donc d’une figuration d’épreuves initiatiques, préalables au cheminement vers une finalité recherchée.

Le parcours se faisait fréquemment à genoux. Le labyrinthe annonce la présence de quelque chose de précieux ou de sacré. Il peut avoir une fonction militaire, pour la défense, d’un tombeau, d’un trésor. Il n’en permet l’accès qu’à ceux qui connaissent les plans, aux initiés. Le centre que protège le labyrinthe sera réservé à l’initié, à celui qui, à travers les épreuves de l’initiation (les détours du labyrinthe), se sera montré digne d’accéder à la révélation mystérieuse.

Une fois parvenu au centre, il est comme consacré; introduit dans les arcanes, il est lié par le secret.

L’aller et le retour dans le labyrinthe seraient en quelque sorte le symbole de la mort et de la résurrection spirituelle. 

Le labyrinthe conduit aussi -et surtout- à l’intérieur de soi-même. C’est là, dans cette crypte, que se retrouve l’unité perdue de l’être, qui s’était dispersé dans le monde phénoménal. On retrouve là une quête du retour à l’Un totalement en phase avec la philosophie néoplatonicienne qui nourrit nos romans…

Le labyrinthe est insaisissable. Son aura fascinante repose sur le flou symbolique qui l’entoure. Figure originelle, géométrique, sacrée ou magique, il est d’abord la représentation d’une philosophie humaine. Les civilisations le manipulent comme une incarnation de leurs conceptions du monde et de la vie. Un sens profond se cache peut-être à l’intérieur de l’homme.

Avant d’être une fantaisie architecturale, le labyrinthe est un puissant symbole.

Son existence matérielle ne constitue qu’une partie de son histoire et son pouvoir d’évocation remonte à l’origine des temps.

Pour mieux appréhender le mystère du labyrinthe, il faut comprendre que son voyage dans le temps l’a rendu polysémique. Les civilisations se le sont appropriées et l’ont chargé d’un symbolisme représentatif de leur époque et de leur philosophie.

Le labyrinthe souterrain construit par Dédale est un élément à part entière de la naissance de l’homme. Sa forme délibérée d’utérus accueillait les cultes consacrés à la Terre : la Déesse mère. Le labyrinthe est la matrice où l’homme fut conçu et vit le jour. Il se forma physiquement et spirituellement dans le ventre maternel avant de s’épanouir au soleil.

Le labyrinthe-utérus de l’antiquité grecque a progressivement été remplacé par le labyrinthe-cerveau et aérien au Moyen Âge. Le dédale concrétise alors l’essence même de la vie.

Mais le centre du labyrinthe reste mystérieux et s’enrichit d’évocations nouvelles à la Renaissance.

Léonard de Vinci l’appréhende comme étant la combinaison de la spirale et de la tresse qui exprime l’infini.

Et une dernière fractale...

La géométrie labyrinthique est donc sacrée et renvoie à des nombres irrationnels et symboliques. La transformation du nœud en labyrinthe est ainsi une vision en quête d’elle-même. C’est simultanément l’étude d’un objet, d’un cheminement de la conscience et la découverte d’une vérité intime par le biais d’un renversement.

Le labyrinthe est, en quelque sorte, la parfaite accointance de l’art et de la géométrie. Le centre du labyrinthe désigne ainsi un centre absolu où le visible et l’invisible, l’intérieur et l’extérieur, se rejoignent en une ultime étreinte.

Il existe dans l’univers un objet qui en symbolise un ahurissant écho : le trou noir

Le labyrinthe s’insinue aussi le quotidien et l’inconscient individuel. Il refait parfois surface à l’occasion d’un rêve et est généralement interprété comme l’annonce d’une révélation.

Le dédale n’a pas fini de se livrer. Son sens caché est enfoui dans l’homme et la solution se trouve alors dans une aventure intérieure.

Et c’est exactement pour cette raison que la symbolique inhérente au labyrinthe apparaît à plusieurs reprises dans « Cathédrales de brume ». Confronté à la remémoration de sa vie, puis à celles des milliards d’êtres humains ayant vécu avant lui, notre héros s’immerge dans les labyrinthes de sa propre conscience. Quitte à se damner…

Mais l’espace émotionnel et spirituel à investiguer est si colossal, si tentaculaire, si protéiforme… qu’il lui faut bien trois millions d’années pour se découvrir !

Nous évoquions à l’instant les étranges harmonies liant la symbolique du labyrinthe à l’effroyable gravitationnelle que l’on nomme « trou noir ».

Dans « Cathédrales de brume » on trouve un labyrinthe martien et un trou noir stellaire.

Est-ce un pur hasard ?

Probablement pas.

En réponse, nous laisserons la parole à Jorge Luis Borges qui, dans Abenhacan El Bokhari mort dans son labyrinthe (nouvelle extraite de L’Aleph) affirme « Il n’est pas nécessaire de construire un labyrinthe quand l’Univers déjà en est un ». Un peu plus loin il précise : « Qui a entrevu l’univers, qui a entrevu les ardents desseins de l’univers ne peut plus penser à un homme, à ses banales félicités ou à ses bonheurs médiocres, même si c’est lui cet homme ».

Tout est dit.