Sappho

Sappho : une harmonie liant simplicité, épicurisme et amour

Mettons en lumière l’une des plus célèbres poétesses de tous les temps : Sappho…

La seule évocation de Sappho nous plonge immédiatement dans un imaginaire luxuriant, pour ne pas dire luxurieux.

La poétesse grecque, dont Platon disait qu’elle était la « dixième Muse », fait immédiatement référence à un univers trouble dans lequel l’homosexualité féminine prend une place essentielle. Singulièrement réductrice, cette approche occulte partiellement l’influence considérable exercée par Sappho tout au long de l’Antiquité.

Même si son nom et celui de son île, Lesbos, font ostensiblement référence au lesbianisme, la postérité ne s’y est guère trompée et la cohorte des admirateurs de Sappho est presque innumérable. Outre Platon, on peut citer Ovide, Paul le Silentiaire, Jodelle, Baudelaire, Pierre Louÿs, Madeleine de Scudéry, Amy Lowell, Marguerite Yourcenar, Renée Vivien, Chateaubriand, Maurice Gounod, Lawrence Durrell. Et beaucoup d’autres à leur suite.

Selon les sensibilités de chacun, différentes facettes de cette personnalité hors norme furent successivement mises en lumière. Et le flot ininterrompu des siècles, 2 600 ans pour être précis, auréole de fantasmes et de mythes la légende d’une vie qu’aucun document ne pourra étayer.

En filigranes multiples et soigneusement imbriqués, se dessinent ainsi : la poétesse inspirée, la première grande figure de l’érotisme littéraire, la lesbienne assumant pleinement ses préférences sexuelles, l’amoureuse passionnée se jetant des falaises de Leucade afin de sublimer sa passion pour le beau Phaon, l’inspiratrice géniale de centaines de jeunes femmes qui purent ensuite exprimer leur talent à travers la musique, la poésie, la danse ou le chant.

Eternel palimpseste littéraire sur lequel chacun peut réécrire une partition ou un poème sans prendre le risque d’être démenti, Sappho symbolise une entité complexe dont l’essence même nous échappe mais que nous nous approprions définitivement, l’inscrivant ainsi dans chaque fibre de notre cœur, dans chaque repli de notre âme.

Et cette essence est simplicité, humilité et bonheur de vivre.

La parole de Sappho est avant tout frisson, moutonnement de soi-même en quelque sorte, préludant ainsi la très belle évocation de Stefan George : « Je ne suis qu’un ébranlement de la voix sacrée » (Ravissement).

La « voix sacrée » que nous transmet Sappho, fut-ce à travers des fragments épars, ébranle encore nos esprits, nos émotions et nos âmes, révélant ainsi sa totale et intemporelle prégnance.

Que savons-nous en fait de cette figure illustre que les méandres du temps opacifient progressivement ?

Sappho est née à Erèse, une petite ville proche de Mytilène, dans l’île de Lesbos entre 630 et 612 avant Jésus Christ. Située près de la Lydie, cette île était à l’époque une cité-état indépendante qui s’enorgueillissait d’être un foyer culturel majeur dont l’importance rayonnait à travers toute la Grèce antique.

Les parents de Sappho appartenaient à l’aristocratie de Lesbos. Son père s’appelait Scamandronymos et sa mère Cléïs. Sachant que la poétesse n’évoque jamais son père alors qu’elle donna le nom de sa mère à sa fille, on peut supposer qu’elle fut plus proche de sa mère que de son père.

Sappho avait trois frères : Charaxos, Larichos et Eurygios. L’aîné commercera avec l’Egypte et le comptoir grec de Naucratis.

Peut-être contre son gré, elle fut mariée très jeune à un marchand qui s’appelait Kerkôlas. L’origine triviale de ce nom, kerkos signifiant membre viril, laisse à penser que le mariage fut loin d’être idyllique et que l’amour n’était probablement nullement partagé à l’unisson. De cette union incongrue naquit une fille, Cléïs, qui lui apporta un immense bonheur et qu’elle chérit tendrement.

Sappho semble avoir été très rapidement dégagée de toute obligation maritale, soit en raison d’une séparation, soit à la suite d’un veuvage précoce.

A partir de cet instant elle se partagea entre création et formation de ses jeunes élèves au sein d’une Maison des Muses, communauté féminine qui peut s’apparenter simultanément à une Académie artistique et à un Cercle littéraire.

Hélas, les aléas politiques et les rudes affrontements prévalant au sein de l’oligarchie qui régnait à Lesbos obligèrent de nombreux artistes à s’exiler en Sicile. Ce fut le cas pour Sappho lorsque Mélanchros, le tyran de Mytilène, prit le pouvoir. Elle vécut donc quelques années en Sicile sans qu’il soit possible de savoir avec certitude si sa réputation lui valut un accueil enthousiaste ou mitigé.

Lorsqu’un nouveau tyran, Pittacos, s’empara à son tour du pouvoir, Sappho fut graciée ainsi que de nombreux poètes et musiciens, dont son ami Alcée.

Reprenant son activité première, elle forma de nombreuses jeunes filles de la noblesse de Lesbos auxquelles elle enseigna la science de la lyre et l’art délicat de la composition d’odes. Poèmes lyriques enflammés, celles-ci concélébraient la puissance de l’amour et la suavité d’un désir naissant.

Etant douée aussi bien pour la musique que pour la poésie, Sappho inventa une nouvelle espèce de lyre. Appelée « magadis », cette dernière était un peu plus petite que les lyres traditionnelles utilisées à cette époque. Elle inventa aussi un nouveau mode musical, le mode mixo-lydien, qui convenait parfaitement lors de la transcription d’atmosphères mélancoliques ou passionnées.

Dans le domaine particulièrement exigeant de la poésie, elle inaugura un nouveau type de strophe, que l’on nomme désormais strophe saphique. Celle-ci est composée de quatre mètres, les trois premiers de onze syllabes chacun et le dernier de cinq syllabes seulement.

Bouleversante, son œuvre poétique révéla la vraie lumière des femmes.

Se livrant totalement, elle se met à nue et décrypte en mille reflets versicolores toutes les facettes d’une âme généreuse et passionnée.

Artiste accomplie, elle composa aussi des œuvres à la commande, satisfaisant avec élégance les exigences d’absolu et de pureté de ses contemporains. Dans le domaine strictement poétique, l’étendue de ses talents est presque incroyable. Elle composa de nombreuses épigrammes, des ïambes et chants nuptiaux,  mais aussi des élégies, monodies, épithalames et strophes saphiques, révélant ainsi la perfection rythmique de ses compositions.

Son œuvre est colossale. On l’estime à plus de 12 000 vers.

Il nous en reste quelques fragments épars : 660 vers laborieusement glanés dans les arcanes du temps.

L’émotion est essentielle chez Sappho. Une émotion qui règne sans partage.

Frisson délicieux, cet ébrouement sensuel s’impose, nous enveloppe et nous pousse à outrepasser les limites de notre propre ego, réfugiant ainsi notre âme et notre être intime dans les plus hautes sphères d’une spiritualité quiète et somptueuse.

Avec Sappho, un être fruste devient le chantre halluciné des vérités fondamentales qui jaillissent sans cesse autour de nous et que nous ignorons superbement. La Beauté pure s’insinue alors en nous et fait jaillir un torrent de larmes.

La plus belle semence imaginable.

Afin de symboliser très imparfaitement cette émotion qui cascade et rejaillit sans cesse à l’évocation de cette poétesse divinement douée, il convient d’emprunter quelques vers à Théophile Gautier qui, dans « Emaux et Camées », évoque les marbres de Paros à travers un superbe poëme de la femme :

« Un jour, au doux rêveur qui l’aime,

En train de montrer ses trésors,

Elle voulut lire un poëme ,

Le poëme de son beau corps.

D’abord, superbe et triomphante

Elle vint en grand apparat,

Traînant avec des airs d’infante

Un flot de velours nacarat […]

Glissant de l’épaule à la hanche,

La chemise aux plis nonchalants,

Comme une tourterelle blanche

Vint s’abattre sur ses pieds blancs.

Pour Apelle ou pour Cléomène,

Elle semblait, marbre de chair,

En Vénus Anadyomène

Poser nue au bord de la mer.

De grosses perles de Venise

Roulaient au lieu de gouttes d’eau,

Grains laiteux qu’un rayon irise,

Sur le frais satin de sa peau »

L’auteur du « Roman de la momie » et de « Capitaine Fracasse » poursuit un peu plus loin :

« Ses paupières battent des ailes

Sur leurs globes d’argent bruni,

Et l’on voit monter ses prunelles

Dans la nacre de l’infini »

On pourra arguer que des paupières qui battent des ailes constitue une licence poétique qui n’est peut être plus totalement en phase avec notre époque, mais Théophile Gautier insuffle dans ces quelques strophes une grandeur immaculée (les poètes préfèrent dire immarcescible…) que le temps fige un instant, parcelle d’éternité qui résonne en nous en évoquant parfaitement Sappho, son époque et l’atmosphère harmonieuse et languide qui prévalait alors.

Le marbre de sa chair est en nous.

Ses prunelles montant dans la nacre de l’infini sont en nous.

Sappho est notre fille, notre femme, notre sœur.

Sappho est éternelle.

Au-delà de son talent inouï à extraire la quintessence des formes, des émotions et des êtres, Sappho fut naturellement une femme amoureuse.

Sappho aima les jeunes femmes, chacun le sait. Elle aima Atthis, Abanthis, Pleistodica, Mnasidika, Gyrinnö, Anactoria et beaucoup d’autres.

Certains de ses admirateurs essayèrent, maladroitement, de dissimuler ce qu’ils considéraient comme une regrettable erreur susceptible d’entacher la réputation de cette artiste exceptionnelle.

Ils avaient tort.

Sappho concrétisa la capacité d’aimer dans sa forme la plus pure, la plus élégante, la plus intense. Et la plus douloureuse sans doute.

On retrouve par ailleurs cet hymne à l’amour en écho décalé dans le Cantique des Cantiques : « Les eaux multiples ne pourront éteindre l’amour, les fleuves ne les submergeront pas ».

Avec Sappho le désir devient souffrance. Le désir devient cristal. Le désir devient pureté transcendante.

Ecoutons la poétesse nous conter les exigences exorbitantes et délicieuses de la passion :

« Ah ! ce désir d’aimer qui passe dans ton rire. Et c’est bien pour cela qu’un spasme étreint mon cœur dans ma poitrine. Car si je te regarde, même un instant, je ne puis plus parler »

« Mais d’abord ma langue est brisée, un feu subtil a couru en frisson sous ma peau. Mes yeux ne me laissent plus voir. Un sifflement tournoie dans mes oreilles »

« Une sueur glacée couvre mon corps, et je tremble, tout entière possédée. Et je suis plus verte que l’herbe. Me voici presque morte, je crois… ».

Vingt six siècles plus tard nous ne transcrivons guère mieux l’émoi amoureux et ses étranges conséquences…

Sappho continue à nous tenir par la main, à nous montrer un chemin qui sinue dans l’azur et dont l’issue semble toujours incertaine. Incertaine et féconde.

Comme le signale parfaitement Yves Battistini dans son édition des Odes et fragments de la poétesse grecque : « Sappho demeure notre perpétuelle contemporaine ».

Contemporaine et amie…

Chronique de Katharsis sur le site L’Autre Monde

L'Homme du XXIe siècle sera-t-il responsable de la 6e extinction de masse affectant notre planète ?

Décidément Oksana et Gil Prou n’ont pas fini de nous surprendre. Avec leur nouveau roman, les deux auteurs nous offrent un thriller d’anticipation écologique et apocalyptique.

Le principe est simple : en 2033, une organisation éco-terroriste vient de lancer un ultimatum aux nations. Si dans 18 jours aucun accord n’a été trouvé pour répondre à leurs 3 revendications (réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre, supprimer l’esclavage économique et arrêter de détruire les forêts), les éco-terroristes supprimeront l’Homme de la surface de la Terre. Puisque l’être humain ne fait que piller les ressources naturelles sans se soucier du lendemain, il est devenu un poison pour la Terre.

Toutes les tentatives d’accords se sont soldées par des échecs. Alors, en ayant le couteau sous la gorge, peut-être que les pouvoirs politiques prendront enfin les décisions qui s’imposent depuis plusieurs dizaines d’années ?

Ou peut-être pas !

Nous allons suivre les débats qui vont animer l’ONU, qui en 2033 est aussi inefficace qu’à l’heure actuelle. Et découvrir que malgré le bon sens des revendications des éco-terroristes, les chefs d’état dans leur grande majorité ne vont s’occuper que de leur petit nombril en se demandant : est-ce que la menace est réelle ? Est-ce que mon pays risque quelque chose ? Pourquoi devrais-je négocier avec des terroristes ?

Enfermés dans leurs tours d’ivoire, les décideurs politiques vont se détourner de l’essentiel du message de l’organisation terroriste : il faut agir pour sauver la planète sinon nous allons tous mourir dans 18 jours.

Nous assisterons aux échanges entre chefs d’Etat, aux réunions préparatoires organisées par Katrin Thoroddsen, la Secrétaire Générale des Nations Unies, mais également aux réactions des simples citoyens, comme le blogeur Goran Janacek de Sarajevo, la famille Vintilhac dans les Cévennes etc. Avec quelques intermèdes dans une navette spatiale à destination de Mars renfermant 12 scientifiques en mission pour la Nasa. Chaque début de chapitre étant consacré à un aborigène australien qui est occupé à dessiner un serpent arc-en-ciel.

Les communiqués qui sont envoyés par l’organisation terroriste font monter la pression crescendo, en livrant les informations au compte gouttes sur la façon qu’ils ont choisi pour déchaîner les enfers sur Terre, si rien n’est fait.

Ce roman d’anticipation ne fait que légèrement grossir le trait par rapport à notre situation actuelle. Il suffit de voir ce qu’a donné, ou plus exactement n’a pas donné, le Sommet de Copenhague. Même sans être sensible à la mouvance écologique, le plus bête des hommes ne peut que constater l’épuisement des ressources naturelles et leur disparition (derniers exemples en date : le thon rouge, que le japon continue de consommer plus que de raison et les ravages forestiers que produit le développement de l’utilisation de huile de palme dans l’industrie agro alimentaire).

De ce fait, les revendications des éco-terroristes et leurs différents plaidoyers pour une réaction forte des états sonnent comme un cri du cœur et non comme un chantage odieux. C’est la réaction des gouvernements qui va vous faire hurler en lisant Katharsis, car ce roman d’anticipation pourrait se révéler être notre triste réalité dans quelques années.

Espérons qu’Oksana et Gil Prou pourront éveiller quelques consciences supplémentaires avec leur roman. D’autant que le texte est émaillé de nombreuses citations littéraires et d’explications scientifiques (tectonique des plaques, théorie des cordes etc).

Katharsis n’est pas un simple roman écolo-futuriste que tout le monde pourrait écrire. Il s’agit d’un plaidoyer pour sauver la planète, qui met en exergue les prises de conscience que des auteurs classiques ou des philosophes anciens. Les références utilisées par Oksana et Gil Prou ne sont pas un catalogue pour exposer leur culture générale, mais une invitation à aller plus loin dans la réflexion.

Car Katharsis ne doit pas rester un simple livre qui, une fois votre lecture achevée, se retrouvera à prendre la poussière dans votre bibliothèque. Il faut que vous en parliez autour de vous, que vous prêtiez ou offriez Katharsis à vos amis, car n’oubliez pas une chose : les décideurs politiques sont élus. Et vous avez la possibilité de les obliger à prendre en considération la planète que nous foulons du pied tous les jours.

Vous savez ce qui vous reste à faire (tout du moins si vous habitez dans une démocratie…).

Cependant n’allez pas croire que Katharsis est un manifeste politique. Ce livre reste un roman d’anticipation, et donc avant tout un objet culturel, qui vous permettra de passer un très bon moment en vous faisant peur, en imaginant ce qui pourrait arriver de pire à la notre belle planète dès demain.

Mais pour aujourd’hui tout va bien… Enfin, tout ne va pas si mal.

 Lien : http://lautremonde.radio.free.fr/litterature.php?id=662 

Xavier

Antarctique : issue de secours ou piège fatal ?

L'Antarctique nous sauvera-t-il ?

« La gloire qui s’empourprait et fleurissait n’est plus qu’une histoire, souvenir ténébreux des vieux âges défunts. Et maintenant les voyageurs voient de vastes formes qui se meuvent fantastiquement aux sons d’une musique discordante pendant que, comme une rivière rapide et lugubre, une hideuse multitude se rue éternellement ».

Edgar Allan Poe – La chute de la maison Usher

Les humains situés dans les zones les plus reculées de notre planète le savent parfaitement : l’eau c’est la vie.

Nous -c’est-à-dire les quelques centaines de millions de privilégiés qui bénéficient et abusent des bienfaits prodigués par la nature- nous en avons fugacement conscience. Fugacement, seulement…

Toutefois, l’humanité sait bien que l’eau douce constitue le bien le plus précieux qui soit. Or l’une des conséquences les plus catastrophiques du réchauffement climatique futur s’incarnera justement à travers ces pénuries d’eau qui assécheront nos espérances.

Pour résumer, la totalité de l’eau existante, ce que l’on appelle l’hydrosphère, se répartit ainsi :

–          les océans, qui représentent 97,40% du total,

–          les terres émergées, qui recueillent les 2,60% restants.

Presque toute l’eau disponible sur notre planète est salée, donc non potable sans traitements complexes et coûteux.

Les 2,60% que nous pouvons donc utiliser se répartissent ainsi :

–          79% pour les calottes glaciaires, banquises et glaciers,

–          20% pour les eaux souterraines et les réserves fossiles,

–          1% pour l’eau douce superficielle : lacs, rivières, humidité contenue dans le sol et dans la végétation.

Conséquence immédiate de ce qui précède : si une élévation importante de la température terrestre provoquait à terme la fonte totale de toutes les banquises et de tous les glaciers, l’eau douce ne représenterait plus que 0,50% du total de l’hydrosphère au lieu de 2,60% actuellement.

Naturellement, les 40 milliards de tonne d’eau douce existant actuellement sur notre planète ne vont pas disparaître en quelques décennies. Notre problématique est ailleurs, car les êtres humains n’ont pas besoin d’une eau potentielle, ils ont besoin chaque jour de quelques dizaines de litres d’eau douce et propre à la consommation pour les besoins les plus élémentaires : boire, se laver et cuire les aliments.

Trois facteurs vont perturber ce subtil équilibre qui prévaut depuis des millions de siècles :

–          s’épuisant à une vitesse vertigineuse dans de nombreuses régions, l’eau des nappes phréatiques se renouvellera de plus en plus difficilement. Parallèlement, les éléments concourant à sa pollution (nitrates, engrais, produits chimiques, pesticides) voient leur densité s’accroître dangereusement,

–          le réchauffement de la planète entraînera une fonte des glaciers et des banquises au fil des décennies. On transformera ainsi des milliards de tonnes d’eau douce en eau salée,

–          enfin, le réchauffement climatique exacerbera les phénomènes météorologiques extrêmes, ce qui signifiera que la désertification s’étendra bien au-delà des zones sub-tropicales, alors que les zones équatoriales et tropicales recevront des pluies de plus en plus impressionnantes, noyant des zones entières tout en lessivant des sols appauvris et en occasionnant de tragiques glissements de terrain.

L’eau potable sera donc toujours potentiellement disponible, mais une large partie deviendra non utilisable (trop polluée ou salée), alors qu’une autre partie se déversera de façon torrentielle sur des contrées déjà saturées.

Les quantités globales d’eau circulant dans l’atmosphère seront probablement similaires à celles que nous connaissons actuellement. Ces masses d’eau ne vont pas s’évaporer ou se multiplier par magie… Ce qui va changer c’est leur répartition, leur rythme et leur intensité. La conséquence absurde de ce dérèglement climatique accru se matérialisera donc par une carence en eau douce au sein des contrées les plus densément peuplées. Simultanément, les contrées déjà traditionnellement inondées seront encore plus humides, encore plus fragiles, encore plus insalubres.

N’oublions pas ce chiffre tout simple : 40% de la population mondiale vit actuellement le long de 250 fleuves et de rivières qui se répartissent entre plusieurs états.

Cela signifie donc 250 risques potentiels de guerres pour l’appropriation d’une eau douce rare et chère.

Et l’Antarctique… Quel sera son rôle dans les décennies à venir ?

Un premier constat s’impose : le continent austral symbolise la plus importante réserve d’eau douce sur Terre. Et la plus stable.

Sous cet aspect, l’Antarctique est donc source d’espoirs, si ce n’est de solutions pérennes pour l’avenir. Par ailleurs, les principales nations du monde ayant décidé de sanctuariser cette zone immense, on peut légitimement espérer que les appétits de consommation, d’exploitation et de puissance ; seront endigués pour quelques décennies. Peut-être…

Le titre de cet article évoquant un piège fatal, on peut se demander la raison de ce pessimisme ?

La réponse est simple, nous avons tous en mémoire le film « Home ». Or l’information la plus essentielle de ce film esthétiquement très beau tient en une phrase : « nous avons une dizaine d’années avant que les effets du réchauffement climatique soient irréversibles ». Ceci est encourageant.

Mais ceci est faux !

Les études les plus récentes démontrent éloquemment que le réchauffement climatique est déjà irréversible… Et ce n’est pas l’arrivée brouillonne de quelques centaines de milliers d’éoliennes et de quelques millions de mètres carrés de panneaux solaires qui changeront les perspectives globales.

En 2050 nous serons 9 milliards d’êtres humains ! Nos appétits, nos besoins et nos exigences, seront similaires. Même si 25% de la population mondiale décidaient de changer sensiblement ses comportements environnementaux (ce qui serait déjà ex-tra-or-di-naire…), l’irréversibilité du changement climatique est en marche.

Le rôle de l’Antarctique sera crucial à cet instant et la solution potentielle deviendra « piège fatal ». En effet, les glaces australes en fondant accroîtront dramatiquement l’élévation du niveau des océans tout en perturbant considérablement la circulation thermohaline.

Conséquences : des centaines de millions de réfugiés climatiques dans le premier cas, et l’accélération brutale des phénomènes météorologiques extrêmes dans le second cas.

Pire encore, cet apport important d’eau douce et l’élévation graduelle des températures océaniques provoquera à terme la dilution des millions de milliards de tonnes d’hydrates de méthane emprisonnées au fond des mers.

Or le méthane est un gaz à effet de serre vingt fois plus puissant que le gaz carbonique.

C’est par ailleurs ce phénomène d’évaporation des hydrates de méthane dans l’atmosphère terrestre qui accéléra la mise en œuvre de la plus grave « extinction de masse » de toute l’histoire de notre planète, celle du Permien. Il y a 252 millions d’années.

Pendant ce temps, à l’orée de crépuscules qui dépasseront l’entendement et nos plus funestes prévisions, nos politiques parlent.

De tout. Et de rien.

C’est le thème central de notre second roman : « Katharsis ».

En l’écrivant, nous ne songions nullement à jouer les prophètes. Hélas, la réalité nous a rattrapé : le Sommet de Copenhague fut un échec, le Grenelle de l’Environnement se métamorphose en farce pathétique et l’écologie est devenue : soit un tremplin pour des politiques peu imaginatifs mais très soucieux de leur future réélection, soit un élément marketing comme un autre.

Le Grand Théâtre du Monde cher à Calderon se poursuit.

Nos descendants apprécieront-ils notre sens de l’humour ?

Nous en doutons…

Dédicaces à la FNAC Valenciennes le samedi 15 Mai

Oksana & Gil en dédicace à la Fnac Valenciennes le samedi 15 Mai

Nous serons le samedi 15 Mai à la FNAC Valenciennes pour une rencontre avec le public et une séance de dédicace.

Nous aurons ainsi l’occasion de dialoguer avec nos lecteurs et avec celles et ceux qui sont intrigués par le caractère « prémonitoire » de notre dernier thriller écologique : « Katharsis ».

En effet, depuis une semaine trois évènements majeurs confirment la pertinence et la cruelle lucidité de l’intrigue de « Katharsis » :

–          à Washington, les chefs d’état de 50 pays se sont réunis afin d’examiner les risques de propagation d’armes nucléaires en direction des mouvements terroristes,

–          un petit volcan islandais paralyse plus de 60% du trafic aérien européen ; et nul ne sait quand ces perturbations s’estomperont vraiment,

–          Obama vient de confirmer une grande ambition : envoyer une mission habitée vers Mars à l’horizon 2035…

Nous n’avons nullement l’intention de nous faire passer pour les « Nostradamus du XXIe siècle », mais il est vrai que ces coïncidences sont troublantes.

A bientôt dans le Nord…

Site de notre éditeur : http://www.interkeltia.com/Fiches-livres/f-katharsis.htm

Chroniques déjà parues :

http://www.plume-libre.com/index.php?option=com_content&task=view&id=971

http://www.khimairaworld.com/articles/fiche/1876/Katharsis

http://www.phenixweb.net/PROU-Okhsana-et-PROU-Gil-Katharsis

http://www.psychovision.net/livres/critiques/fiche/689-katharsis

L’odieuse étreinte de la Vierge de fer

L'âme humaine est insondable

Dans certaines circonstances exceptionnelles, l’être humain parvient à s’exhausser au-delà de lui-même. Il réalise alors des exploits insensés et fait honneur au bipède arrogant qui s’imagine être la créature la plus perfectionnée de l’univers…

Hélas, la presque totalité de ses capacités et de son imagination s’orientent dans d’autres directions. Et la face sombre de l’Homme irradie alors, tel un soleil noir. Dans l’un de ses plus beaux poèmes : « La fin de Satan », Victor Hugo examine les arcanes de ce « désespoir en marche » qui nous anime parfois.

Cette « face sombre » s’exprime tout au long de l’Histoire de l’humanité et des faits et des personnages illustrent dramatiquement cette propension au crime. Les citer tous nécessiterait la rédaction d’une encyclopédie en 100 volumes !

Par manque de place (et de courage et de temps il faut bien l’avouer…) nous en sélectionnons seulement deux ici que nous réunissons sous le même terme : « vierge de fer ». Le premier est un instrument de torture, le second est une femme que l’on soupçonne d’avoir torturé et tué près de 650 jeunes filles : Elizabeth Bathory.

Redoutable instrument de torture utilisé à partir du XVIIIe siècle, la « vierge de fer » se présentait sous la forme d’un sarcophage de bois ou d’acier dans lequel la victime devait se tenir debout. La boite faisait généralement deux mètres de haut et un mètre de largeur. Des pointes, tranchantes ou perforantes, étaient disposées sur les parois intérieures ainsi que sur le couvercle. Elles transperçaient la victime à la fermeture du mécanisme qui pouvait être cadenassé.

Ces pointes étaient généralement sournoisement disposées de façon à perforer la victime sans causer une mort immédiate afin de rendre la séance de torture plus longue et douloureuse. Forcée à se tenir debout, la personne enfermée à l’intérieur mourait donc, vidée de son sang, épuisée et quelques fois asphyxiée.

Une ou plusieurs petites ouvertures, généralement disposées sur le couvercle, permettaient aux tortionnaires d’interroger sa victime ou de continuer le supplice avec d’autres instruments de torture.

Une belle invention !

La première vierge de fer aurait été fabriquée par l’allemand Johann Philipp Siebenkees, qui aurait conçu « la vierge de Nuremberg » en 1793. Selon un de ces ouvrages, il se serait inspiré d’un outil similaire utilisé au XVIe siècle, le « Schandmantel » (le manteau de la honte). Ce dernier se présentait comme une boite généralement composée de bois et d’étain, mais dont l’intérieur ne possédait aucune pointe et servait uniquement à humilier les criminels.

Une modification du « manteau de la honte » aurait servie, pour la première fois, à l’exécution d’un faux monnayeur le 14 août 1515. Les archives rapportent qu’une fois que l’homme était placé à l’intérieur de la boîte, on refermait tranquillement la porte afin que de longs clous viennent pénétrer ses bras et ses jambes à plusieurs endroits, ainsi que ses yeux, sa poitrine, ses épaules et sa vessie. Les clous n’étaient pas enfoncés profondément dans le corps du supplicié. La victime pouvait donc survivre et se lamenter pendant plusieurs jours avant de rendre l’âme.   

Naturellement, l’origine de ces descriptions demeure floue. Nos connaissances sur les vierges de fer étant fondées sur des archives et une littérature du XIXe siècle qui étaient fortement influencées par les croyances populaires, la fiction et la réalité sont difficiles à dissocier.

La vierge de Nuremberg est encore aujourd’hui la « vierge de fer » la plus connue et la plus souvent représentée. Elle était anthropomorphe (de forme humaine) et les rumeurs disent qu’elle représentait la vierge Marie. Elle a été utilisée durant l’inquisition afin d’injecter symboliquement la foi chrétienne dans le corps des hérétiques. Elle mesurait 2.1 mètres de hauteur et 0.9 mètre de largeur, possédait deux portes et était assez grande pour contenir un homme adulte. À l’intérieur de ce cercueil, une dizaine de longs clous se dressaient, prêts à perforer sa victime.

Au dessous de cette machine infernale béait une oubliette au fond de laquelle le cadavre tombait et pourrissait dans un ruisseau souterrain avant de nourrir les poissons.

La vraie vierge de fer...

Tout ceci est charmant et nous démontre que l’ingéniosité humaine trouve sa vraie puissance dans le besoin de pouvoir, l’instinct de survie et la quête du bouc-émissaire. Après, règnent la terreur, l’angoisse, la douleur ; et la mort…

Quittons les objets inanimés afin d’examiner un instant l’étrange destin d’une comtesse hongroise : Elizabeth Bathory.

Elizabeth Bathory est née en 1560, d’une famille de sang royal, comptant dans ses proches parents le prince de Transylvanie, Sigismond Bathory, un oncle qui devint roi de Pologne, des gouverneurs de province, de hauts magistrats, des évêques et un cardinal. Cette famille remontait très loin dans le temps et comptait un certain nombre d’aventuriers hongrois descendant probablement des Huns et qui s’étaient imposés par le sang et la violence.

C’est donc dans une atmosphère encombrée de sortilèges et de traditions ancestrales que se déroula l’enfance d’Elizabeth Bathory, Par ailleurs, certains de ses ancêtres avaient été des brutes sanguinaires. Pire encore, la propre nourrice d’Elizabeth, Jo Ilona, deviendra son âme damnée. Pratiquant la magie noire et les sortilèges les plus pervers, Jo Ilona eut une influence déterminante sur l’évolution de son esprit.

Les descriptions qu’on possède d’Elizabeth Bathory, ainsi qu’un portrait qu’on en a conservé, nous la montrent d’une grande beauté : « Les démons étaient déjà en elle : ses yeux larges et noirs les cachaient en leur morne profondeur, son visage était pâle de leur antique poison. Sa bouche était sinueuse comme un petit serpent qui passe, son front haut, obstiné, sans défaillance. Et le menton, appuyé sur la grande fraise plate, avait cette courbe molle de l’insanité ou du vice particulier. Elle ressemblait à quelque Valois dessiné par Clouet, Henri Ill peut-être, en féminin ».

Tout ceci filigranait déjà une âme mélancolique, secrète et peut-être cruelle. Composé de trois dents de loup, d’un croissant de lune, d’un soleil en forme d’étoile à six pointes, le tout entouré d’un dragon qui se mord la queue, le blason des Bathory était explicite…

Depuis son plus jeune âge Elizabeth souffrait de maux de tête parfois intolérables qui la faisaient se rouler par terre. Était-ce de l’épilepsie ? Des crises d’hystérie ?

Sa sensualité était incontestablement bisexuelle car elle ne refusa jamais les contacts masculins, mais elle évolua toute sa vie dans des retraites peuplées uniquement de femmes. Par ailleurs, elle ne sacrifia jamais un seul homme à ses débauches, mais uniquement des femmes.

Le 8 mai 1575. Elizabeth avait alors quinze ans, elle épousa Férencz Nàdasdy. L’empereur Maximilien de Habsbourg assista lui-même au mariage. Le roi Matthias de Hongrie et l’archiduc d’Autriche envoyèrent de somptueux cadeaux aux nouveaux époux qui s’en allèrent passer leur lune de miel dans le château de Csejthe, dans le district de Nyitra, région montagneuse du nord-ouest de la Hongrie, encore célèbre aujourd’hui par la qualité de ses vignobles, mais aussi pour ses châteaux forts en ruines, ses histoires de fantômes et ses traditions vivaces de vampires et de loups-garous.

Mais le séjour de Férencz Nàdasdy fut de courte durée. Ses devoirs de combattant l’appelaient à la guerre à travers toute la Hongrie et les pays avoisinants. Il laissa donc sa jeune et belle épouse régner sur le château de Csejthe et sur les vastes domaines qui l’entouraient.

Que se passa-t-il donc alors ? Il est probable que la sensualité d’Elizabeth se sentit quelque peu frustrée. On lui prêta plusieurs intrigues amoureuses, mais sans lendemain, dont une avec un de ses cousins, le comte Gyorgy Thurzo, futur premier ministre de Hongrie qui fut, par la suite, son juge le plus sévère.

Cela ne veut pas dire que les époux ne s’entendaient pas car leurs retrouvailles étaient toujours de nouvelles lunes de miel. Mais le seul tort du mari était d’être trop souvent absent.

Férencz Nàdasdy mourut brutalement en 1604. Devenue veuve, la comtesse semble n’avoir rien changé à son mode de vie. Les tortures qu’elle infligeait à ses servantes, elle les pratiquait depuis longtemps et son mari le savait parfaitement, considérant celles-ci comme de simples amusements de la part de sa femme. Le servage n’existait plus en Hongrie, mais les vieilles habitudes avaient du mal à disparaître,

Les témoignages compilés lors du procès sont catégoriques. Lorsque l’on demanda depuis combien de temps la comtesse maltraitait les jeunes filles, un témoin répondit : « Elle commença quand son mari était encore en vie, mais alors ne les tuait pas. Le comte le savait et ne s’en souciait guère ». On raconte une curieuse anecdote à ce sujet, non pas sur le début des sévices opérés par Elizabeth, mais sur la naissance de sa fascination pour le sang qui coule. « Un jour qu’elle avait frappé une servante assez violemment pour la faire saigner du nez, parce qu’elle lui avait tiré les cheveux en la peignant, un peu du sang de la jeune fille tomba sur le poignet d’Elizabeth. Un peu plus tard, la comtesse crut remarquer que la peau de l’endroit où était tombé le sang était devenue plus blanche et plus douce que la peau environnante. Intriguée, elle se baigna le visage avec le sang d’une des victimes de ses orgies sadiques. Son visage lui sembla rajeuni et revivifié par le traitement ».

Ce détail est important, car le souci primordial d’Elizabeth Bathory depuis son plus jeune âge fut sa beauté. Plus exactement… le maintien de sa beauté ! Pour l’éternité…

Il n’en fallait pas plus pour s’imaginer qu’elle pouvait indéfiniment préserver sa beauté grâce à du sang frais de jeunes filles, de préférence vierges, donc revêtues de cette aura magique que confère la virginité.

Elizabeth Bathory passait son temps au château de Csejthe, faisant également de fréquents séjours à Presbourg et surtout dans la demeure qu’elle avait acquise à Vienne, non loin de la cathédrale, demeure qui semble avoir été marquée aussi par de sanglantes orgies. A Csejthe comme ailleurs, Elizabeth était toujours accompagnée de sa nourrice Jo Ilona et de sa servante Dorottya Szentes, dite Dorko, deux femmes vieilles, vulgaires, sales, d’une totale immoralité. Il semble qu’elles aient été les principales pourvoyeuses de jeunes filles pour la comtesse, en même temps que ses collaboratrices zélées quand il s’agissait de frapper, de saigner, puis d’enterrer les malheureuses victimes.

Autour de ce duo infernal, il y avait un homme à tout faire, Ujvari johanes, dit Ficzko, une sorte de nabot disgracieux, et une lavandière, Katalin Beniezky. Elizabeth vivait au milieu de cette troupe entièrement vouée à son service et à la satisfaction de ses instincts les plus bas. La comtesse veillait à ce que ces jeunes filles retenues prisonnières fussent bien nourries et engraissées, car elle croyait que plus elles étaient dodues, plus elles avaient de sang dans les veines, et que plus elles étaient bien portantes, plus la vertu de ce sang était efficace, lui permettant ainsi d’échapper au vieillissement et à son épitaphe ultime.

Un autre personnage vint bientôt compléter la sinistre troupe entourant Elizabeth, une certaine Darvulia Anna. On a largement brodé sur cette femme sous prétexte que son nom évoque celui de Dracula. En fait, Darvulia était une sorcière de la meilleure tradition, une magicienne noire qui connaissait des formules et des incantations sataniques et qui n’hésitait pas, comme le fera plus tard la Voisin, en France, au moment de l’affaire des Poisons, à procéder à des sacrifices humains pour obtenir l’aide des puissances démoniaques. Sans doute Darvulia Anna sut-elle convaincre Elizabeth Bathory, déjà quadragénaire mais toujours très belle, qu’elle connaissait les recettes infaillibles pour prolonger indéfiniment cette beauté.

La comtesse garda Darvulia à ses côtés et il est établi que sa présence augmenta la fréquence des sacrifices qu’Elizabeth orchestrait afin d’assouvir ses pulsions tout en se préservant des outrages du temps. Repérées par les émissaires de la comtesse, les plus belles filles de Transylvanie et de Hongrie prenaient le chemin du château de Csejthe. Tous les moyens étaient bons : menaces, intimidation, promesses d’argent, achat pur et simple dans certaines familles pauvres. La plupart d’entre elles ne ressortaient jamais plus de la sinistre forteresse.

On a exagéré les récits concernant les supplices infligés à ces innocentes jeunes filles par la comtesse Bathory et ses âmes damnées. Mais on possède suffisamment de faits avérés pour se faire une idée de l’atmosphère malsaine et macabre qui régnait dans les souterrains du château de Csejthe. Les filles étaient frappées. Certaines avaient le cou percé. D’autres étaient liées avec des cordes qu’on tordait ensuite afin qu’elles puissent s’enfoncer dans les chairs, ce qui permettait de leur ouvrir les veines et de faire jaillir le sang sur la comtesse.

On prétend même’ qu’on remplissait parfois des baignoires de sang et qu’Elizabeth s’y baignait avec ravissement. Comme sa peau délicate ne supportait pas d’être essuyée avec des serviettes, ce sont d’autres filles qui devaient la débarrasser du sang en lui léchant le corps avec leurs langues. Celles qui s’évanouissaient étaient sévèrement châtiées avant de servir de victimes à leur tour.

On prétendit aussi que la comtesse utilisait parfois une forme primitive de la « vierge de fer » que nous avons évoquée au début de cet article déambulant au sein des labyrinthes noirs de l’âme humaine.

Personne n’osait porter officiellement plainte, ni ceux qui savaient, ni les parents des jeunes filles disparues qui craignaient des représailles car les Bathory et les Nàdasdy étaient bien trop puissants.

Mais le roi Matthias de Hongrie prit l’affaire en main. Convaincu par certains témoignages, que l’héritière des Bathory était coupable de crimes de sang, il ordonna une enquête qu’il confia au gouverneur de la province, lui-même cousin d’Elizabeth. Le gouverneur se rendit secrètement à Csejthe et s’informa auprès de certaines personnes de confiance, en particulier le curé qui, sans avoir l’intention de le publier de son vivant, avait rédigé un long mémoire dans lequel il signalait quantités de faits pour le moins troublants. L’envoyé du roi Matthias fut très vite édifié, et, lorsqu’il eut fait son rapport, la décision du roi fut implacable: arrêter la comtesse Bathory et tous ses complices. Il confia cette à un autre cousin d’Elizabeth (qui avait été un temps son amant) son premier ministre, le comte Gyorgy Thurzo.

Le 29 décembre 1610, à la tête d’une troupe armée le comte Thurzo pénétra dans le grand château. La garnison n’opposa aucune résistance : « Ils allèrent à travers le château, et, accompagnés de gens munis de torches connaissant les entrées des escaliers les plus secrets, descendirent au souterrain des crimes d’où montait une odeur de cadavre et pénétrèrent dans la salle de tortures aux murs éclaboussés de sang. Là se trouvaient encore les rouages de la « Vierge de Fer », des cages et des instruments, auprès des brasiers éteints. Ils trouvèrent du sang desséché au fond de grands pots et d’une sorte de cuve. Ils virent les cellules où l’on emprisonnait les filles, de basses et étroites chambres de pierre; un trou profond par où l’on faisait disparaître les gens; les deux branches du souterrain, l’une conduisant vers le village et débouchant dans les caves du petit château, l’autre allant se perdre dans les collines… ».

Plus loin, toujours dans le souterrain, Thurzo et ses hommes découvrirent plusieurs douzaines de jeunes filles, d’adolescentes et de jeunes femmes. Certaines étaient affaiblies, presque complètement vidées de leur sang; d’autres, dans un état d’hébétude totale, étaient encore intactes : c’était le bétail réservé aux prochaines orgies. Par la suite, on exhuma une cinquantaine de cadavres de jeunes filles dans les cours et les dépendances du château.

Lorsque le comte Thurzo se présenta devant Elizabeth Bathory elle ne songea pas un seul instant à nier l’évidence. Aux accusations que lui porta son cousin et ex-amant, elle répondit que tout cela relevait de son droit de femme noble, et qu’elle n’avait pas à se justifier.

Mais la procédure de la justice était en marche et plus rien ne pouvait l’arrêter

Le procès fut lourd et très pénible, surtout lorsque les témoins décrivirent certaines scènes. Un premier exemple : « les complices d’Elizabeth attachaient les mains et les bras très serrés avec du fil de Vienne, puis battaient les victimes à mort, jusqu’à ce que tout leur corps fût noir comme du charbon et que leur peau se déchirât. L’une supporta plus de deux cents coups avant de mourir. Dorko leur coupait les doigts un à un avec des cisailles, et ensuite leur piquait les veines avec des ciseaux… Jo Ilona apportait le feu, faisait rougir les tisonniers, les appliquait sur la bouche et mettait le fer dedans. La maîtresse a toujours récompensé les vieilles quand elles avaient bien torturé les filles. Elle-même arrachait la chair avec des pinces, et coupait entre les doigts ».

Un second : « Elle battait les filles cruellement et Darvulia mettait les jeunes servantes dans l’eau froide et les laissait toute la nuit. La comtesse elle-même déposait dans leur main une clef ou une pièce d’argent rougie au feu. A Sravar, Elizabeth a, devant son mari Férencz Nàdasdy, dévêtu une petite parente de son mari, l’a enduite de miel et laissée un jour et une nuit dans le jardin pour que les insectes et les fourmis la piquent. Elle, Jo Ilona, était chargée de mettre entre les jambes des jeunes filles du papier huilé et de l’allumer… Dorko coupait avec des ciseaux les veines des bras ; il y avait tant de sang qu’il fallait jeter de la cendre autour du lit de la comtesse, et celle-ci devait changer de robe et de manches. Dorko incisait aussi les plaies boursouflées et Elizabeth arrachait avec des pinces la chair du corps des filles… ».

Tout ces témoignages, quelles que soient les réserves que l’on peut émettre à leur propos, sont accablant et corroborent partiellement les chiffres ahurissants qui circulent encore : six cents jeunes filles sacrifiées par la comtesse Elizabeth Bathory et ses complices, voire six cent cinquante…

La comtesse fut évidemment reconnue coupable par les juges qui se penchaient sur son cas. Mais la question se posait quant à la peine qu’elle devait encourir. On sait que le roi Matthias était résolu à condamner la comtesse à mort, quels que fussent ses liens avec l’illustre famille des Bathory. Mais la famille Bathory, et le comte Gyorgy Thurzo le premier, n’avaient aucune envie de salir leur nom en faisant procéder à l’exécution publique d’une des plus grandes dames de l’Empire. Il y eut des négociations, des compromis. On se dit qu’il valait mieux faire passer Elizabeth pour folle que pour une criminelle. Le verdict tomba: les principaux complices, Jo Ilona, Ficzko, Dorko et Katalin Beniezky furent condamnés à la décapitation et rapidement exécutés. Quant à la comtesse de sang royal, elle fut condamnée à être murée vive dans ses appartements privés du petit château de Csejthe.

Sous la surveillance des juges et du comte Thurzo, des maçons murèrent donc les fenêtres et les portes de ses appartements, ne laissant qu’une petite ouverture par laquelle on passerait tous les jours de l’eau et de la nourriture. Elizabeth Bathory se laissa enfermer sans prononcer une parole. Elle vécut quatre ans dans la solitude et l’obscurité. Aux dires de ceux qui la virent dans son dernier sommeil, en dépit de son âge : cinquante-quatre ans, sa beauté était inaltérée. On retrouva, dans ses appartements, de nombreux grimoires, et surtout des invocations sataniques dans lesquelles elle conjurait le Diable de faire mourir ses ennemis.

L’examen du cheminement intellectuel conduisant à l’élaboration de la « vierge de fer » et aux outrances sadiques de la comtesse Elizabeth Bathory peut laisser à imaginer que nous nous situons ici aux confins de l’esprit humain. Dans ses pires cheminements…

Hélas… Il suffit d’examiner l’Histoire de l’Antiquité ou l’Histoire contemporaine (y compris en 2010 !) pour se rendre compte que les concepteurs de la « vierge de fer » et la comtesse Bathory sont des humains « presque » ordinaires.

L’Homme peut concevoir et façonner des projets grandioses qui faciliteront la vie de millions d’êtres humains tout en protégeant notre planète. Il peut aussi orchestrer le massacre de millions de victimes innocentes. Ne nous trompons pas, il y a des Elizabeth Bathory partout. Il y a des idéologies criminelles partout. Et si le nazisme et le communisme sont directement responsables du massacre de cent cinquante millions d’êtres humains qui ne demandaient qu’à vivre, les idéologies scélérates sont partout.

Car l’Homme est partout !

Espérons seulement qu’il n’essaime pas à travers l’univers…

Multivers : au-delà du « nombre de Graham » ?

Notre univers n'est peut-être qu'une infime partie d'un ensemble infiniment plus vaste : le multivers...

Lorsque l’on doit évoquer des quantités importantes, il faut prendre en compte des nombres extraordinairement grands. Dans ce cas, on utilise souvent l’expression « astronomique ». L’emploi de ce terme est parfaitement approprié car les nombres les plus élevés se situent généralement dans le domaine de la cosmologie.

Par exemple, le nombre d’atomes existant dans notre univers est égal à 10 puissance 80, soit cent millions de milliard de milliard de milliard de milliard de milliard de milliard de milliard de milliard d’atomes ! Ouf…

On obtient des nombres plus pharamineux encore lorsque l’on examine le nombre de combinaisons différentes dans des jeux aussi complexes que les échecs ou le jeu de Go.

Au sommet de cette impressionnante pyramide de nombres hallucinants, on trouve le nombre potentiel de théories incluses dans la Théorie des cordes, soit 10 puissance… 500 !

Ces quantités vertigineuses sont impressionnantes et difficiles à appréhender concrètement.

Toutefois, ces nombres colossaux sont des nains par rapport à leurs homologues mathématiques, car on est alors réellement en proie au vertige.

Le plus grand nombre entier utilisé dans une démonstration mathématique s’appelle le « Nombre de Graham ». Il est si monstrueux que l’on doit utiliser des notations mathématiques spécifiques pour le représenter sur une feuille de papier. Il s’agit des « puissances itérées de Knuth » et des « flèches chaînées de Conway ».

D’une façon plus simple, on affirme souvent que si tout l’univers était composé d’encre, celle-ci ne suffirait pas pour écrire le Nombre de Graham en utilisant la notation arithmétique usuelle.

Mais on peut encore aller plus loin. Beaucoup plus loin…

Il existe en effet des suites croissantes de nombre entiers qui sont si puissamment « croissantes » qu’elles se multiplient plus vite que n’importe quelle suite calculable.

C’est le cas de la suite Rado(n) qui a été inventée par le mathématicien Tibor Rado. Or la suite Rado(n) croît tellement vite qu’on n’en connaît que les premiers termes. Actuellement, il est impossible de calculer avec précision les valeurs Rado(7) et Rado(8).

On comprend à cet instant que la simple appréhension d’une suite comme Rado(100) donne de fortes céphalées…

Mieux encore, en utilisant des mécanismes théoriques de calcul particuliers que l’on nomme « machines de Turing avec oracle » ou -plus plaisamment- « castor affairé », on peut construire une hiérarchie infinie de suites croissantes Rado(n) = Rado0(n), puis Rado1(n), puis Rado2(n), etc… chacune surpassant la précédente.

Les nombres qui découlent de ces suites « hypercroissantes » deviennent ainsi parfaitement affolants et outrepassent l’imagination la plus féconde.

Et pourtant… il existe peut-être des données plus hallucinantes encore !

Nous avons déjà évoqué ici la notion de « multivers », notion que nous abordons déjà dans « Cathédrales de brume » et que nous développerons dans les deux romans qui complèteront cet étonnant triptyque.

Ce concept est dérangeant, car imaginer des milliards d’univers en amont ou en aval du nôtre est difficilement compatible avec un cartésianisme classique, mais il n’est pas réellement nouveau.

D’Anaximandre à Whitehead, en passant par Nicolas de Cues, Giordano Bruno et Leibniz, elle traverse toute l’histoire de la philosophie et jalonne les grandes cosmogonies.

Toutefois, si cette théorie devait se confirmer, elle constituerait une révolution conceptuelle comparable à la rupture copernicienne.

Ce n’est pas seulement notre représentation du monde qui s’en trouverait transformée, mais également notre manière même de penser la physique et de concevoir la signification de ses modèles. Or la physique fait aujourd’hui face à un sérieux problème lié à la nature même de ses constantes fondamentales, car la plupart de ces grandeurs semblent spécifiquement adaptées à l’émergence de la complexité.

Si l’on souhaite échapper aux explications purement religieuses, il est clair que l’existence de multiples univers au sein desquels les lois physiques se structureraient indépendamment résoudrait la difficulté. Les paradoxes disparaissent effectivement si l’on suppose que les valeurs observées pour les constantes physiques ne sont qu’une réalisation particulière parmi une infinité d’autres.

Exactement de la même façon que nous nous trouvons sur une planète tellurique qui est un lieu très particulier et nullement représentatif du contenu moyen du cosmos, nous nous trouverions, au sein du « multivers », dans un univers hospitalier et très singulier quant à ses propriétés.

Dans le cadre de l’élaboration d’une image cosmologique globale, notre environnement direct n’est donc nullement représentatif du tout. L’existence même du « multivers » offre une solution élégante et concrète à certaines difficultés récurrentes de la physique théorique et s’inscrit dans une évolution non contredite jusqu’alors et que l’on peut résumer ainsi : la taille et la diversité du cosmos n’a jamais cessé de croître au fur et à mesure des découvertes scientifiques. S’il existe de multiples planètes, de multiples étoiles, de multiples galaxies, de multiples amas de galaxies, pourquoi n’y aurait-il qu’un seul univers ?

Différentes définitions du « multivers » s’affrontent. Toutefois, le « multivers » n’est pas en lui-même un modèle, mais une conséquence de modèles préexistants. Ces modèles n’ont pas été élaborés dans le but de créer des univers multiples mais pour répondre à des questions bien définies de physique des particules ou de gravitation relativiste.

Différentes théories prévoient clairement l’existence d’univers multiples, à commencer par l’une des mieux établies, des mieux testées et des plus élégantes : la Relativité Générale.

Le modèle d’Einstein, qui montre que la géométrie de l’espace-temps est façonnée par la matière qu’il contient, prédit effectivement un espace strictement infini dans deux des trois géométries utilisées en cosmologie. Si l’espace est infini, notre univers n’est qu’une minuscule bulle en son sein et tous les phénomènes possibles doivent se produire quelque part.

Ce n’est pas une possibilité mais une nécessité, car tout processus doté d’une probabilité d’occurrence non nulle doit être réalisé. Il existe ainsi une copie à l’identique de notre monde dont le passé est similaire au nôtre mais dont le futur peut éventuellement différer. Cet infini spatial suffit déjà à expliquer certains faits étranges. Ainsi, notre univers présente un haut niveau d’homogénéité primordiale car cet état particulier doit être présent quelque part dans le « multivers » et qu’il est propice à la formation des structures qui ont permis notre propre existence…

La Physique quantique, l’autre grand pilier de la Physique moderne, peut également conduire à l’existence d’univers multiples lorsque ses principes fondateurs sont interprétés strictement sans recourir à des postulats supplémentaires. La superposition quantique, qui n’est pas observée dans le macrocosme, ne conduit pas à l’usuelle projection du vecteur d’état mais plutôt à l’existence d’autres mondes dans lesquels se réalisent les différentes occurrences possibles de l’évolution du système.

L’existence du « multivers » est plus étroitement encore associée aux théories actuelles de la gravitation quantique. Il n’existe pas à l’heure actuelle de modèle absolument satisfaisant pour décrire les propriétés quantiques du champ de gravitation.

Mais deux théories bien différentes ouvrent des voies prometteuses pour explorer les méandres complexes de cette physique dont le graal est la fameuse « Théorie du Tout ».

Curieusement, chacune d’elle conduit à l’existence d’univers multiples…

La première de ces théories fascinantes est la « gravitation quantique à boucles ». Elle s’appuie sur le principe fondateur de la Relativité Générale : l’invariance de fond, c’est-à-dire l’absence de structures absolues. Elle propose un cadre cohérent pour décrire les propriétés quantiques de l’espace-temps. Dans ce contexte, elle prédit l’existence de « rebonds » au cœur des trous noirs qui permettent de concevoir leur structure interne comme des univers à part entière. On assiste alors à l’émergence d’un modèle darwinien de sélection naturelle des univers : chaque monde se reproduit par les trous noirs qu’il engendre et les lois doivent évoluer vers la forme maximisant la formation de trous noirs.

Ce constat ouvre des horizons infinis. Dans son livre : « Le destin de l’univers », l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet (qui nous a fait l’honneur de préfacer « Cathédrales de brume ») résume parfaitement cette situation en forme de mise en abyme : « Des deux questions « qu’y avait-il avant le big bang ? » et « qu’y a-t-il dans un trou noir ? », l’une donne la réponse à l’autre. Dans chaque trou noir il y a un nouveau big bang, c’st à dire un nouvel univers, sorte de phénix renaissant de ses cendres après chaque contraction symétrique du big bang… » (Le destin de l’univers – page 543).

La seconde théorie : la Théorie des cordes (ou Théorie des supercordes lorsqu’elle prend en compte les exigences de la « supersymétrie ») permet de résoudre certaines difficultés de la physique contemporaine : quantifier la gravité et unifier toutes les interactions fondamentales par exemple.

Mais cette théorie remarquable et très élégante implique l’existence de sept dimensions supplémentaires à la géométrie de l’espace.

Les lecteurs de « Cathédrales de brume » observeront immédiatement que nous avons largement utilisé cette singularité de la Théorie des cordes dans notre roman…

En affinant cette théorie, il est apparu que les manières de recourber ces dimensions supplémentaires sur elles-mêmes sont si nombreuses (environ 10 puissance 500 comme nous l’avons signalé plus haut) que la Théorie des cordes conduit à une quasi-infinité de lois physiques possibles.

En complément de cette surabondance déroutante, le modèle actuellement validé du big bang repose sur l’existence d’un processus inflationnaire, c’est à dire une augmentation démesurée de la taille de notre univers dans ses premiers instants, qui conduit à l’image d’un monde en perpétuelle inflation.

Des zones s’extraient parfois de cette inflation éternelle (comme notre propre univers dans sa phase actuelle) mais, examiné dans la globalité, le processus est continu et de nouveaux univers se crée sans cesse.

Dans les milieux de la cosmologie, cette théorie (dont Andrei Linde est le concepteur) est parfois comparée à un « multivers bulles de champagne »…

La conjugaison de la Théorie des cordes et du scénario inflationnaire conduit en tout cas à un « multivers » particulièrement riche et fécond dans sa capacité à rendre compte du réel. La première permet l’émergence de lois multiples, le second prédit des univers-bulles décorrélés les uns des autres. Dans chaque univers, la physique effective se structure indépendamment, donnant lieu à une impensable diversité, non seulement dans les faits, mais également dans les lois physiques.

Vous comprenez mieux ainsi la raison pour laquelle nous mettons en parallèle le caractère « colossal » du nombre de Graham, et le caractère tout aussi colossal et luxuriant d’un « multivers » qui symbolise une fantastique ode à la diversité.

Et nous avons bien besoin de ce symbole à notre époque…

La circulation thermohaline

La beauté des océans risque de se métamorphoser en cauchemar pour nos proches descendants...

« Le temps du Monde fini commence »

Paul Valéry – Regards sur le monde actuel

Nous avons eu un hiver froid en France. Naturellement, les admirateurs de Claude Allègre et ceux qui confondent météorologie et climatologie ont immédiatement décrétés que le « réchauffement climatique » était un leurre.

En réalité, le réchauffement climatique est une réalité avérée que nos propres enfants subiront de plein fouet.

Le phénomène que nous décrivons brièvement ci-dessous s’inscrit totalement dans cette logique douloureuse, même si certains de ses effets peuvent paraître étranges…

Les conséquences les plus dramatiques du réchauffement climatique, que ce soit pour l’Homme ou pour la Nature, ne viendront pas de l’atmosphère.

Elles seront issues de l’eau, que ce soit en raison d’une carence en eau douce ou en raison de l’élévation du niveau des mers.

Tapie dans les profondeurs des océans, une circulation discrète bousculera toutes nos certitudes et crucifiera (le terme n’est pas trop fort…) les espérances de nos enfants. Elle porte un nom bizarre : la circulation thermohaline.

Avant cela, revenons un instant à l’essentiel.

Parallèlement aux grands flux atmosphériques, la circulation océanique contribue à transférer les excédents de chaleur accumulés des latitudes équatoriales vers les océans arctique et antarctique cerclant les pôles. Mais, à la grande différence des mouvements atmosphériques, les courants marins de surface se prolongent souvent sur quelques décennies.

Si l’on prend l’océan Atlantique pour exemple, on constate que les eaux de surface des zones tropicales, chaudes et salées, remontent vers le nord via les courants de surface, c’est-à-dire le courant nord-atlantique et le célèbre Gulf Stream. Pendant leur remontée vers les contrées septentrionales, ces courants se refroidissent et les eaux de surface deviennent de plus en plus denses. Arrivées près du Groenland, du Labrador, de l’Islande et des côtes de la Norvège, ces eaux sont si denses qu’elles plongent dans les abîmes marins et réoxygènent les couches profondes de l’Atlantique nord.

Les eaux de surface qui remontent l’Atlantique par le biais du Gulf Stream se chargent en sel, à cause de l’évaporation et deviennent plus froides, chacun de ces phénomènes contribuant à les rendre plus denses.

Au moment de l’hiver, près du pôle Nord, une partie du sel contenu dans l’eau de mer qui gèle (pour former la banquise) est expulsé, et renforce encore la salinité de l’eau de mer qui ne gèle pas, laquelle se met alors à être tellement dense qu’elle « plonge » vers les profondeurs. On parle de formation d’eaux profondes pour désigner ce phénomène. Les courants de surface de l’océan mondial et cette plongée des eaux dans la mer de Norvège étant en connection permanente, ce courant sert de « moteur » à une partie de la circulation océanique globale

Cette boucle alimente une masse d’eau profonde, North Atlantic Deep Water, qui transporte environ 20 millions de m3 à la seconde.

C’est ce colossal tapis roulant que l’on appelle circulation thermohaline.

Gigantesque, ce courant abyssal parcourt tout l’océan Atlantique du nord au sud.

En arrivant en face de l’Antarctique il bifurque et se sépare en deux branches. L’une remonte l’océan Indien et resurgit en surface au sud de l’Inde, l’autre longe l’Antarctique avec un flux principal qui encercle le continent austral, alors que le second remonte dans l’océan Pacifique en se glissant entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

S’essoufflant enfin, il sillonne la Mélanésie et la Micronésie avant de réapparaître en surface au large du Japon.

Cette circulation thermohaline est un régulateur essentiel du climat et son cheminement est très lent car ce courant abyssal met plus de 500 ans pour parcourir l’océan Atlantique.

Il faut rajouter encore un millénaire avant de parcourir les eaux ultramarines du Pacifique.

On devine à cet instant le sens réel de l’expression « irréversibilité des conséquences climatiques » que certains scientifiques emploient désormais afin de matérialiser crûment les défis qui nous attendent dans les décennies à venir.

Avec des facteurs temps dont l’unité de mesure n’est pas l’année, mais le millénaire, il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste mondialement connu pour imaginer les conséquences potentielles de ces dérèglements dont nous constituons l’un des facteurs aggravant.

Nous évoquions en préambule des effets « étranges » liés à au dérèglement de la circulation thermohaline. On peut en citer un qui séduira les sceptiques…

Si la circulation thermohaline se ralentit ou s’interrompt, ceci perturbera les courants marins de surface. Conséquence : les effets réchauffant du Gulf Stream sur la côte Ouest de l’Europe s’atténueront. Cela signifie que le réchauffement climatique global qui affecte toute notre planète entraînera… un refroidissement du climat sur la façade atlantique !

Ce refroidissement sera passager bien sûr, mais l’emballement de la machine climatique provoquera des effets contradictoires et parfois déroutants. Mais, lorsque l’on aura inopportunément emballé le climat et que les deux types de circulations océaniques -les courants de surface et la circulation thermohaline– se seront affolés, toute action ultérieure sera parfaitement inutile.

Autant essayer d’arrêter un TGV avec un filet à papillon…

Héraclite : un météore dans la nuit

Grâce à Héraclite, tout est possible...

L’Histoire de l’humanité est constellée de destins hors normes. Certains transcendent l’humain, d’autres l’avilissent.

Indéniablement, Héraclite d’Ephèse se situe dans la première catégorie.

Nous avons une tendresse toute particulière pour ce philosophe présocratique que des philosophes aussi prestigieux que Nietzsche et Hegel plaçaient au-dessus de tous les autres.

Un philosophe que l’on mit aussi en parallèle avec Lao Tseu. Il est vrai que leurs apophtegmes se rejoignent parfois en une troublante complicité.

Résumer sa vie est un exercice obligatoirement parcellaire si l’on prend en compte les 2 500 ans qui nous séparent.

Héraclite naquit à Éphèse vers 550 avant J. C. Issu d’une famille de prêtres et de rois (il était un descendant de Codros dont le fils -Androclès- fonda la ville d’Ephèse), il aurait renoncé aux titres et aux honneurs de sa classe.

De son œuvre, ne nous sont parvenus que des fragments épars. Trois thèmes majeurs et récurrents se dégagent : la recherche d’un fondement unique du monde comme totalité, l’unité des contraires et l’écoulement des choses.

Sa recherche du principe matériel du monde le conduit à la considération des éléments premiers: la terre, l’eau, l’air, le feu. À l’origine du Tout était le feu. Soumis à la volonté divine, le feu se transforma en mer, puis la moitié de la mer devint la Terre que nous habitons.

Dans cette perspective, l’origine du monde s’orchestre autour de l’opposition des contraires, du mouvement universel des astres et de l’obsédante cyclicité d’un « éternel retour ».

Il n’y a pas opposition entre le concept de mouvance perpétuelle et celui d’éternel retour. Seule une différence d’échelle entre en jeu.

A l’aune d’une vie humaine : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » car l’eau du fleuve n’est jamais exactement la même à chaque seconde qui passe. Fort de cette analyse, Héraclite démontre par ailleurs que le « devenir » est le lien obligatoire entre les phénomènes.

A l’aune du cosmos, le principe de cyclicité peut se réapproprier une vraie pertinence : « ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l’a fait, mais il était toujours. Il est et il sera, feu toujours vivant, s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure ».

On reconnaît immédiatement ici le caractère prémonitoire d’une analyse qui se fonde sur l’observation de la nature lorsque l’esprit se dépare enfin de tous les carcans qui, trop souvent hélas, le paralyse.

Or ce feu toujours vivant qui s’allume et s’éteint en mesure… c’est la vie des étoiles au sein de leur galaxie tutélaire.

Un brasier stellaire naît des scories d’une étoile défunte (nova ou supernova), puis elle vit pendant plusieurs milliards d’années. Elle s’enfle démesurément, explose et meurt. Et de ses cendres naîtra une autre étoile qui, à son tour, ensemencera l’univers à la fin de sa vie.

Nous touchons ici le génie et l’hallucinante modernité d’Héraclite : il ne s’interdisait rien !

Il laissait fuser son imagination et observait la nature et les hommes avec un regard sombre, inquisiteur. Mais ce regard était empreint aussi -et surtout- d’une fantastique capacité d’émerveillement.

Cela n’échappera à personne, Héraclite d’Ephèse nous fascine.

Il nous fascine tellement que nous lui avons réservé un rôle essentiel dans l’intrigue de « Cathédrales de brume »…

Comme nous le précisions en préambule, les plus grands philosophes du XIXe et du XXe siècle célébrèrent sa lucidité et ses capacités à regarder sans cesse et sans tabou « au-delà des apparences ».

Cette qualité demeure encore assez rare à notre époque pour être soulignée ici.

Nietzsche ne s’y est pas trompé lorsqu’il écrit : « Plus on a voulu cerner de près le problème de savoir comment, par un reniement de soi, le défini a jamais pu être engendré de l’indéfini, comment la temporalité est née de l’éternité et l’iniquité de la justice, plus la nuit s’est obscurcie » (La philosophie à l’époque tragique des grecs). 

Dans le droit fil de l’analyse de Nietzsche, l’héroïsme de l’insondable qu’Héraclite nous propose en partage doit nous interpeller : regardons plus loin ; et différemment.

Se positionner au-delà du défini, de la temporalité et d’une iniquité viscéralement ancrée en nous, symbolise un exercice difficile. Presque insurmontable.

Mais Héraclite est là. A nos côtés.

Il nous convie à l’impossible. Comme nous l’avons déjà précisé dans notre article consacré à Sir Ernest Shackleton, oser l’impossible est la seule attitude raisonnable !

Sans cela, la nuit citée par le grand philosophe allemand s’obscurcira.

Et elle nous engloutira…

Indomptables amazones

L'indomptable courage des amazones qui ne reculent jamais, quel que soit le défi...

« Ne désespérez jamais. Faites infuser d’avantage »

Henri Michaux – Tranches de savoir

Personnages illustres issues de la mythologie grecque, les Amazones symbolisent un peuple constitué exclusivement de femmes guerrières et redoutées dans tous les combats.

On attribue parfois à la légende une origine historique, ces amazones seraient alors une réminiscence des guerrières scythes et sauromates (que l’on appelle parfois aussi « sarmates »).

Toujours selon la légende, elles vivaient en Cappadoce et aveulissaient leurs descendants mâles afin d’en faire des serviteurs zélés.

Téméraires et n’ayant peur de rien, ces guerrières possédaient un bouclier léger et étaient armées de haches, de lances et d’arcs puissants.

Ce terme s’emploie souvent lorsque l’on désire évoquer une femme qui n’hésite pas à lutter jusqu’à la mort et qui ne redoute aucun adversaire.

L’histoire du Monde comporte d’innombrables exemples de ces dignes descendantes des amazones antiques.

Nous pourrions naturellement évoquer Jeanne d’Arc qui, en France, illustre parfaitement ce portrait de jeune femme dénuée de peur et qui outrepasse tous les tabous propres à son époque en forçant son destin.

Mais nous allons ici prendre deux exemples moins connus : une jeune femme qui organisa la libération de sa région : le Dauphiné, et une reine Ostrogoth (cela fait toujours rire à cause du capitaine Haddock…) qui s’efforça de maintenir son peuple en paix en dépit des pressions.

La première s’appelle Philis de la Tour du Pin de la Charce. Un nom assez compliqué il faut bien l’admettre…

Huguenote issue d’une noble famille du Dauphiné, Philis de la Tour du Pin de la Charce naquit en Janvier 1645 au château de Montmorin.

Fréquemment appelée La Jeanne d’Arc du Dauphiné, célébrée par la Marquise de Sévigné et citée par Voltaire dans son Dictionnaire Philosophique à la rubrique « Amazone », Philis de la Charce se retrouva au centre d’une controverse bien inutile et totalement vaine, trois siècles après sa mort.

Mais si l’exactitude des faits historiques est encore à démontrer, le symbole récurrent de l’héroïsme demeure intact et porteur d’espérance.

Philippe de la Tour du Pin de la Charce fut surnommée Philis dès sa naissance, ce qui évita toute ambiguïté quant à son sexe… Elle était le quatrième enfant d’une famille comportant quatre garçons et six filles. L’une de ses sœurs cadette, Marguerite, fut connue ultérieurement sous le nom de plume de Sapho en fréquentant les salons littéraires où régnaient une de leurs amies, Madame Deshouillères. Cette dernière fut célèbre en son temps en tant que dramaturge et poétesse.

Le Dauphiné ayant une importance stratégique considérable pour le Royaume de France et pour Louis XIV, cette région subissait le passage incessant de troupes armées guerroyant à ses frontières. Le climat d’insécurité prévalant alors impliqua que le père de Philis et ses frères aînés soient presque toujours en campagne, laissant la jeune femme, sa mère et sa sœur cadette, au château de la Charce en été et à Nyons en hiver.

Cette atmosphère lugubre et cette vie étroitement rythmée s’égaillèrent enfin lorsque Madame Deshouillères vint s’installer entre 1672 et 1674 à Nyons.

L’arrivée d’une femme de lettres illustre et symbolisant le mouvement précieux alors en vogue à Paris donna une énergie nouvelle à Philis et à sa sœur. Elles s’essayèrent ainsi à la poésie tout en dissipant passagèrement la morosité d’une vie provinciale sans réelle envergure et sans relief.

Quelques mois avant la révocation de l’Edit de Nantes, Philis se convertit au catholicisme, probablement plus par pragmatisme que par conviction religieuse.

La vie de Philis de la Tour du Pin de la Charce bascula lors de la campagne du Dauphiné qui mit la région à feu et à sang en 1692.

Cet épisode dramatique s’inscrit dans la guerre de la ligue d’Augsbourg. Regroupant une meute hétérogène de pays aux intérêts contradictoires, cette coalition (Hollande, Savoie, Espagne) s’opposait aux velléités de conquêtes de Louis XIV et était considérablement renforcée par la Révolution anglaise de 1688 qui avait mis sur le trône d’Angleterre le pire ennemi du Roi Soleil : Guillaume d’Orange.

Souhaitant créer une diversion tout en récupérant des territoires français, les coalisés de la ligue d’Augsbourg alimentèrent un nouveau front à partir des régions comprises entre Grenoble, Sisteron et Gap. Ils demandèrent donc au duc de Savoie : Victor-Amédée II, de pousser ses troupes depuis leurs bases arrières situées dans le Piémont.

Le 21 Juillet 1692 l’armée savoyarde se dirige vers la France. Forte de 40 000 hommes, elle progressa vers Gap. La ville fut prise en Août, mais l’avance des armées savoyardes fut ralentie par la maladie de Victor-Amédée II.

Le chef de l’armée française, Monsieur de Catinat, profita de ce répit pour endiguer l’avance des troupes venues du Piémont. Il fut en cela largement aidé par des révoltes sporadiques qui mirent en péril les troupes du duc de Savoie.

C’est à cet instant qu’intervient, semble-t-il, Philis de la Charce. Elle regroupa autour d’elle une partie du peuple du Dauphiné qui s’échinait à combattre l’envahisseur oeuvrant aux ordres de la ligue d’Augsbourg.

L’immédiateté de sa décision fait écho aux propos d’Eurydice dans la plus belle pièce de Pierre Corneille au crépuscule de sa vie. L’héroïne dit en effet :

« Et quand on veut se vaincre, il y faut peu de temps.

Un jour y peut beaucoup, une heure y peut suffire »

Suréna Acte V scène 1

Eurydice et Philis démontrent que chacun peut se vaincre en un instant et que le basculement d’un destin est toujours possible. Une heure y peut suffire

Il faut simplement être lucide et vouloir. Surtout vouloir.

Les exploits de Philis furent cités par le principal journal de l’époque : Le Mercure Galant.  Dans son numéro de Septembre, celui précise : « Le zèle qu’a fait paraître Mademoiselle Philis de la Charce en Dauphiné, pour le service du Roi, ne doit pas être oublié. Elle a empêché la désertion des peuples depuis les environs de Gap jusqu’aux Baronnies. Elle s’est mise à leur tête, a fait couper les ponts, garder des passages, empêché les ennemies de pénétrer au-delà de Gap. Cette Amazone, ayant informé les généraux de tout ce qu’elle avait fait, en fut approuvée et complimentée et, de leur aveu, elle fit armer tout ce qu’elle put de monde ».

Voilà une analyse qui éclaire d’un jour nouveau la personnalité de Philis. On observera plus particulièrement qu’elle travailla à remonter le moral des défenseurs, qu’elle organisa la résistance, qu’elle fit détruire les moyens logistiques de l’envahisseur et qu’elle fit armer tous les hommes en état de combattre.

Une vraie héroïne en fait, dont l’intrépidité altière et la réflexion stratégique firent merveilles.

Les commentateurs du XIXe siècle se sont échinés à démontrer la véracité ou l’inexactitude de ces exploits de la guerrière Pallas, comme l’appelait affectueusement Madame de Sévigné. Là encore, la vérité historique dans sa rigueur presque clinique importe peu.

Que Philis ait combattu les armes à la main ou qu’elle se soit contentée d’organiser la résistance ne constitue que la partie visible d’un iceberg colossal. Ce qui nous émeut et nous conduit à réfléchir, c’est la capacité d’une femme à outrepasser les rigidités psychiques qui emprisonnent trop souvent ses consoeurs.

Notre second exemple nous replonge au sein d’une époque troublée : la fin de l’Empire romain.

Nous allons donc évoquer le tragique destin de la reine Amalasonthe.

Régnant pendant plus de dix ans à la tête des Ostrogoths, Amalasonthe fut pendant cette courte période la souveraine la plus puissante d’une Europe naissante et déjà déchirée par maints combats fratricides.

Ce constat mérite quelques explications et une nécessaire mise en perspective.

Dès le IIIe siècle les romains se heurtèrent aux ambitions des Goths.

Ceux-ci venaient de l’Est de l’Europe et devenaient menaçant dans les Balkans. A partir de 375 ils furent eux-mêmes repoussés par des hordes venus d’Asie : les Huns.

En 410 les troupes d’Alaric envahirent l’Italie et s’emparèrent de Rome. S’établissant plus tard en Aquitaine, ils fondèrent le royaume de Toulouse et s’installèrent en Espagne. Ces envahisseurs sont désignés comme étant les Wisigoths. Il est à remarquer que leur implantation fut prospère et qu’ils vécurent en Espagne jusqu’aux invasions arabes.

Mais la majorité des Goths étaient restés près des plaines du Danube et subissaient le joug des Huns. Après la mort accidentelle d’Attila, ils envahirent à leur tour l’Empire romain. On leur donna le nom d’Ostrogoths.

Très turbulents et toujours avides de butin, ils constituaient une réelle menace pour l’empereur romain d’Orient qui vivait à Constantinople, car à cette époque l’Empire romain d’Occident n’était déjà plus qu’une coquille vide privée depuis longtemps de tout pouvoir.

Le dernier empereur romain d’Occident fut Romulus Augustule. Ce dernier fut déposé en 476 par un chef barbare nommé Odoacre qui refusa de porter le nom d’Empereur, clôturant ainsi une très longue et très illustre Histoire.

Profitant du désordre qui prévalait en Occident et de l’impuissance passagère de l’Empereur romain d’Orient, Odoacre instaura son propre pouvoir en collaborant étroitement avec le Sénat de Rome et en assurant la sécurité du territoire. Dès 488, les ambitions divergentes des Ostrogoths et de l’Empire romain d’Orient se métamorphosèrent en intérêts communs. Les premiers cherchaient un vaste pays où s’installer et le second souhaitait éloigner de son propre territoire des voisins turbulents et potentiellement dangereux.

Constantinople donna donc assez rapidement son accord de principe. Conséquence immédiate de ce pacte inédit, en 489 le roi des Ostrogoths, l’ambitieux et charismatique Théodoric, envahit l’Italie.

Il devint roi en 493 après avoir battu les troupes d’Odoacre. Dès cette époque l’ancien fief de l’Empire romain fut administré par les ostrogoths qui installèrent leur capitale à Ravenne.

Le statut de Théodoric était complexe et quelque peu ambigu. Il était pleinement roi de son peuple mais exerçait son autorité sur la population romaine par délégation, les Romains ayant rejeté le concept de royauté depuis plusieurs siècles. Cette délégation s’effectuait très logiquement au nom de l’Empereur romain d’Orient, mais elle demeurait lointaine et purement formelle car Théodoric jouissait en réalité d’une très grande liberté d’initiative.

La seule exigence requise était naturellement que Théodoric ne s’oppose pas frontalement à l’Empire d’Orient. Il devait donc faire preuve de diplomatie et utiliser judicieusement les forces intérieures du pays, car quelques centaines de milliers d’Ostrogoths ne pouvaient guère imposer leurs décisions à plusieurs millions de citoyens romains sans un consensus minimum.

Théodoric utilisa donc astucieusement les divisions internes du sénat romain et mit à profit les rouages administratifs existants. Ceci permit de faire cohabiter deux peuples très différents et dont les religions respectives, le christianisme pour les Romains et l’arianisme pour les Ostrogoths, étaient a priori antagonistes.

C’est dans ce cadre original, fécond, mais très instable, que s’inscrivit l’arrivée au pouvoir de la fille du roi Ostrogoth lorsque celui-ci décéda en 526.

Fille de Théodoric et de la sœur de Clovis, Audeflède, Amalasonthe naquit en 498.

Son père n’ayant pas d’héritier mâle, il maria la jeune princesse avec Eutharic auquel il souhaitait transmettre le pouvoir à sa mort. Eutharic décédant en 522, Amalasonthe prit la régence car son fils n’avait que quatre ans.

Femme intelligente, belle et cultivée -elle parlait couramment le grec et le latin- Amalasonthe fut rapidement confrontée à de redoutables échéances car Théodoric le Grand avait été un roi puissant et respecté, mais il avait été tout autant redouté et haï.

Ces facteurs incombèrent en héritage à une jeune femme inexpérimentée et qui ne pouvaient guère espérer de soutiens réellement fiables, hormis auprès de quelques confidents dévoués.

Conseillée par Cassiodore, la reine s’efforça de rapprocher les Ostrogoths et les Romains tout en se conciliant les faveurs de Constantinople.

Ambitieux et presque messianique, cet objectif irréalisable constituait le testament politique de Théodoric. La jeune souveraine dut mettre en œuvre la maxime édictée par Paracelse un millénaire plus tard : « le scorpion guérit le scorpion ».

Dans une lettre envoyée au nouvel Empereur romain d’Orient, Justinien, la prudente Amalasonthe garantissait un retour à des relations normalisées entre les différentes factions qui se déchiraient à la fin du règne de son père.

Mais le décès trop hâtif de Théodoric mettait automatiquement fin aux liens personnels très puissants qui unissaient les deux royaumes Goths (Wisigoths et Ostrogoths), ce qui affaiblissait structurellement ainsi le pouvoir de Ravenne.

Dans le droit fil de cette implacable logique, Amalasonthe dut très rapidement renoncer aux impôts prélevés en Espagne.

Mais, en dépit de ces difficultés, le règne de la souveraine se déroula sans grandes difficultés pendant les premières années car la paix était sauvegardée à l’intérieur, comme à l’extérieur.

L’armée ostrogothique était forte, structurée, motivée et bien commandée. Par ailleurs, les forces de Justinien étaient monopolisées par les combats avec les Perses, ce qui laissait une large liberté de manœuvre à Amalasonthe. Elle en usa astucieusement en essayant même d’améliorer ses relations avec les Burgondes.

Malgré quelques erreurs de jeunesse, sa clairvoyance et son opiniâtreté furent couronnées de succès et Procope célébra son courage et sa sagesse.

Le contexte se compliqua lorsque son fils, Athalaric, s’approcha de sa majorité. Les Goths hostiles à Constantinople et les Romains opposés à l’Empire s’unirent. Puis ils ourdirent plusieurs conspirations visant à écarter Amalasonthe et son fils du pouvoir.

Inquiète, la reine songea à chercher refuge chez l’Empereur en embarquant à bord d’un navire royal emmenant dans ses soutes un fabuleux trésor composé de 40 000 livres d’or, soit deux fois le budget annuel de l’Empire romain d’Occident. Mais ce vaisseau poursuivit seul et la reine resta à Ravenne afin de défendre chèrement sa vie. Manoeuvrant habilement, elle finit par circonscrire cette crise palatiale. Amalasonthe reprit totalement ses prérogatives en 533 après avoir effectué quelques judicieux remaniements au sein des hommes d’influence les plus puissants.

Le 2 Octobre 534 Athalaric décéda prématurément, laissant la totalité du pouvoir à sa mère. Amalasonthe réagit en femme d’action et nomma son cousin Théodahat comme corégent, s’arrogeant implicitement ainsi tous les pouvoirs. Elle devint ainsi la domina rerum, situation inédite chez les Goths qui privilégiaient généralement la virilité et les attitudes martiales qu’imposait implicitement une époque particulièrement rude. Cette situation exaspéra au plus haut point l’ambitieux Théodahat qui décida de faire arrêter sa cousine.

Amalasonthe se retrouva ainsi en résidence surveillée dans une île du lac Bolsena.

Toujours soutenue par Justinien, le puissant Empereur romain d’Orient, Amalasonthe aurait probablement pu être libérée et transférée à Constantinople.

D’après certains récits, l’impératrice Théodora, ancienne courtisane et fille d’un montreur d’ours, aurait souhaité éviter la présence à la cour de cette séduisante reine qui pouvait éventuellement contrecarrer ses desseins. L’hypothèse est envisageable car Théodora ayant subjugué Justinien « par des opérations magiques », comme le prétend Procope, elle pouvait craindre une rivale.

Toutefois, l’énergique courtisane métamorphosée en impératrice démontra par la suite des qualités humaines peu compatibles avec ce refus, même si sa toute puissance dans les domaines de politique étrangère et dans les affaires religieuses la faisait redouter.

Ne pouvant bénéficier d’un asile en Orient, la souveraine se retrouva donc aux mains de son cousin. Pressé de régner seul, Théodahat la fit assassiner par des séides à sa solde. Le décès d’Amalasonthe courrouça Justinien qui arma des troupes importantes. Emmenées par Bélisaire, elles firent rapidement plier Théodahat qui fut à son tour assassiné à la fin de l’année 536, démontrant ainsi que le crime ne paie pas toujours.

Cette défaite du cousin d’Amalasonthe accéléra le processus de décomposition du royaume ostrogoth qui disparut quinze ans plus tard.

La fille de Théodoric le Grand aurait donc pu, par alliances successives et en faisant preuve de pragmatisme, sauver son peuple d’une déroute que le misérable Théodahat ne fit qu’accélérer. Et ceci au plus grand profit de l’Empire romain d’Orient dont la puissance s’accrût désormais sans cesse.

Payant de sa vie son implication au service de son pays, Amalasonthe donna ainsi une très belle leçon de courage tout en ouvrant une porte nouvelle. Dans un univers barbare où la force brute, le meurtre et la félonie, deviennent des vertus indispensables, Amalasonthe sut décliner une palette différente, originale et pertinente.

« Indomptables amazones » disions-nous en préambule…

En réalité, ces femmes courageuses et opiniâtres nous démontrent que… tout est possible !

Il suffit de le vouloir vraiment. C’est par ailleurs un des thèmes principaux de notre premier roman : « Cathédrales de brume » http://www.riviereblanche.com/cathedrales.htm

Nous y ajoutons simplement une notion nouvelle : la démesure…